« A quelle date la Franc-Maçonnerie française a-t-elle abandonné le tablier ? »
En voilà une question étrange et saugrenue pour un franc-maçon d'aujourd’hui, alors qu’il est évident pour lui que le port du tablier est absolument obligatoire pour se rendre en tenue dans une loge maçonnique.
C’est pourtant bien à cette question qu’Albert Lantoine, (photo ci-dessus) l’un des meilleurs érudits de son temps, tente de répondre dans le Bulletin mensuel des Ateliers Supérieurs en 1936 (page 119).
Albert Lantoine (1869-1949), l'un des tous meilleurs historiens de la Franc-Maçonnerie en général et de la Franc-Maçonnerie écossaise en particulier (souvent pillé, rarement cité!) a écrit de nombreux ouvrages qui font encore aujourd'hui autorité.
Pourtant, comme vous pourrez le constater, Lantoine a bien du mal à répondre à la question posée!
Voici le texte de Lantoine
Je suis incapable de vous renseigner, et, bien que publiant ici votre question, il est douteux qu’un lecteur puisse vous en apporter la solution. Ah ! si la modification avait été ordonnée ou suggérée par un texte – soit d’une obédience, soit d’un Franc-Maçon influent – nous aurions au moins un point de repère.
Mais il est probable que l’abandon du tablier s’en opéré insensiblement. Pourquoi ? Maintes explications sont permises, mais aucune, je le crains, ne sera péremptoire.
Cela doit dater du milieu du XIXè siècle, car au début de ce même siècle, des gravures nous montrent encore des maçons décorés de leurs tabliers.
Le F :. Cauwel, qui est Vén :. d’un atelier, dans une communication publiée l’an dernier dans le Bulletin de la Grande Loge, faisait justement remarquer que l’exiguïté ridicule des tabliers donnés aux apprentis n’était pas faite pour redonner du prestique à cet insigne « du métier » toujours usité chez toutes les puissances maçonniques du monde entier. Ici encore on ne voit pas la raison qui a fait changer le tablier en simple cache-sexe. Ce tablier avait jadis en France et a toujours à l’étranger les mêmes dimensions que le tablier de maître. En attendant que l’usage de ce dernier se généralise de nouveau dans un rite qui, étant international, devrait tenir à l’honneur de ne pas se singulariser, il serait souhaitable que les loges consentissent à vêtir leurs nouveaux initiés d’un insigne plus décoratif. Cette réforme heureuse aurait au moins l’avantage d’être fort peu onéreuse.
Ce sont là, je le sais, des considérations qui sont en dehors du sujet même. Espérons qu’un frère plus documenté nous aidera de ses lumières.
A.L
A l’époque en effet, dans la plupart des loges (en fait la quasi-totalité) l’apprenti était revêtu d’un « mini-tablier » le jour de son initiation, puis n’en portait plus. Nous pouvons encore voir, dans les musées, ces tabliers "timbres postes" qui interpellent souvent ceux qui les regardent.
Puis on lui remettait son « mini-tablier » le jour de son passage au grade de compagnon, puis il ne le portait plus.
Enfin, le jour de son élévation au 3ème degré, on le revêtait d’un tablier de Maître… qu’il ne portait plus non plus ensuite.
Je ne sais pas si au Grand Orient de France les frères continuaient de porter leur tablier mais il semble bien que oui. Si Pierre Mollier lit cet article et s'il souhaite apporter une précision concernant le GODF je la publierai.
A la Grande Loge de France, la cotisation annuelle était bien moindre qu'au Grand Orient et les frères - souvent dotés de revenus modestes - pensaient que l'achat d'un tablier était une dépense aussi onéreuse qu'inutile.
En 1936 pourtant, la question du port du tablier en loge se pose à la Grande Loge de France.
Nous savons depuis un article précédent, sur ce bloc notes que le tablier n'était plus porté par les frères de la Grande Loge de France avant la seconde guerre mondiale. C'est bien pourquoi le Convent de 1936 de la GLDF (la même année où Lantoine écrit son article) émet un vœu pour que les maîtres portent dorénavant un tablier en loge. Et encore, ce vœu n’est pas très contraignant !
En voici le texte :
Grande Loge de France
8, rue Puteaux
O :.de Paris le 29 octobre 1936.
Nous avons la faveur de porter à votre connaissance le vœu relatif au port du tablier par les FF :. De la Fédération, vœu ainsi conçu :
« Le Convent émet le vœu :
Que la Grande Loge de France remette en honneur parmi ses membres, le port du tablier, emblème du travail.
Reconnaissant toutefois qu’il est difficile d’imposer cette dépense aux FF :. Déjà pourvus d’un cordon de maître ;
Conseille aux Ateliers de la Fédération de se procurer un jeu de tabliers d’officiers pour les cinq premiers dignitaires ; recommande aux députés le port de l’emblème du travail, lors des tenues de congrès, de Grande Loge et de Convent, et oblige les nouveaux promus au 3ème degré à revêtir le tablier de maître ».
Nous ne saurions trop attirer votre attention sur ce vœu qui tend à inciter les ateliers à reprendre un coutume, toujours observée par la maç :. Du monde entier, et dont la prise en considération témoignait de notre fidélité et de notre attachement à la Tradition Ecossaise.
Veuillez agréer, mon T :. C :. F :. Les pression de mes sentiment bien frat :.
Le Grand-Secrétaire
René LEDOUX
Albert Lantoine faisait parti de ceux - et heureusement ils furent de plus en plus nombreux - qui souhaitaient redonner un caractère spirituel et rituélique fort aux loges de la Grande Loge de France, qui pratiquaient le Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Il faudra un très long chemin et beaucoup de travail pour arriver à la situation actuelle où, grâce à la redécouverte progressive de nos rituels princeps, nous pouvons maintenant pratiquer une maçonnerie et un rite conforme au génie de ses créateurs.
Albert Lantoine avait créé en 1910 une loge « Le Portique » N°427 pour réveiller spirituellement et rituéliquement l'obédience. Cette loge a connu pas mal de vissicitudes lors de ces premières années d'existence car un tel projet connaissait des vives réticences internes.
C'est Michel Dusmesnil de Gramont, aidés des frères comme Antonio Coen, Louis Doignon et bien d'autres, qui - après la guerre - parachevera l'oeuvre initiée par Albert Lantoine, Oswald Wirth, René Guénon ou Jules Boucher.
Et ce n'est pas un hasard. Dumesnil de Gramont, qui avait été initié en 1919 au sein de la loge "Cosmos", rejoindra en 1921 les anciens Frères de la Loge « Le Portique » qui réveillaient cet Atelier et en devint le Vénérable Maître à trente ans.
Pour se rendre compte du chemin parcouru :
Dans la quasi totalité des loges de la Grande Loge de France en 1930 :
- Les apprentis et les compagnons se tenaient (nous l'espérons...) sur leurs colonnes respectives mais en tenue de ville, sans gants ni tabliers blancs.
- Les maîtres maçons portaient simplement leurs cordons de maîtres, mais pas de tabliers. Les députés ne portaient pas non plus leurs tabliers lors des tenues de Grande Loge ni pendant les Convents.
- Il n'y avait pas les trois colonnes Sagesse Force Beauté.
- Il n'y avait pas le Volume de la Loi Sacrée sur l'Autel des Serments (il faudra attendre le Convent de 1954 pour que la Bible soit rétablie).
- La présence du tableau de loge était aléatoire...
- Dire que certaines loges ne travaillaient toujours pas à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers relève d'une certaine réalité.
- La majorité des sujets traités étaient pour le moins sociétaux et politiques pour ne pas dire... profanes (voir par exemple les sujets de planches de Roger Salengro à Lille).
Mais nous ne savons toujours pas depuis quand les francs-maçons écossais avaient perdu l'habitude de mettre leur tablier !
Jean-Laurent Turbet
Le Convent de la Grande Loge de France a commencé ses travaux le 17 septembre 1936 sous la présidence d'André Guillemin, Vénérable de la loge parisienne " La Fidélité ", loge homonyme de cel...
http://www.jlturbet.net/2014/11/gldf-1936-il-faut-mettre-un-tablier-mes-freres.html
1936 : Vœu de la GLDF demandant que les Maîtres portent le tablier en loge.
Décidemment en Franc-Maçonnerie rien n'est vraiment simple, ni tellement compliqué d'ailleurs... Et vice versa... Etant membre de la Grande Loge de France, travaillant donc au Rite Ecossais Anci...
Pourquoi des tabliers rouge ou bleu ?
Je voudrais aujourd'hui vous parler d'un livre qui date de... 1937. La " Lettre au Souverain Pontife " d'Albert LANTOINE. Albert Lantoine (1869-1949) fut membre de la Grande Loge et du Suprême ...
La "Lettre au Souverain Pontife" d'Albert Lantoine 1937
Le grand livre biographique sur Gustave Mesureur est encore à écrire. Figure emblématique du rite écossais ancien et accepté vous trouverez son buste en bronze dès l'entrée en l'Hôtel de la...
Gustave Mesureur Franc-Maçon
En ce mois de novembre 2013, nous entrons dans une dans une période qui va nous mener jusqu'au mois d'août 2014 et à la célébration du centenaire du début de la 1ère Guerre Mondiale. Le Pré...
http://www.jlturbet.net/article-jean-jaures-et-la-grande-loge-de-france-121087374.html
Jean Jaurès et la GLDF
Roger Salengro Je souhaite par cet article rendre hommage à un franc-maçon de la Grande Loge de France trop oublié aujourd'hui, je veux parler de Roger Salengro . Roger Salengro est né le 30 ma...
Roger Salengro Franc-Maçon
Nous connaissions le souhait d'hommes politiques de gauche comme Michel Rocard, Lionel Jospin, Robert Badinter, Bertrand Delanoë. C'est au tour de deux gaullistes historiques, Jacques Chirac (dans...
http://www.jlturbet.net/article-pierre-brossolette-doit-entrer-au-pantheon-118107630.html
Pierre Brossolette Franc-Maçon
Cet article n'est en aucune façon un point de vue officiel de la Grande Loge de France sur ses relations avec le monde politique. Il s'agit ici de libres réflexions qui pourront, évidemment, êt...
http://www.jlturbet.net/article-la-grande-loge-de-france-et-le-politique-114849212.html
La Grande Loge de France et le Politique
Je vous propose la lecture d'une partie d'une conférence publique donnée dans le Grand Temple de la rue Puteaux en 1984 par Henri Tort-Nouguès, alors Grand-Maître de la Grande Loge de France. C...
Henri Tort Nouguès : La Franc-Maçonnerie et sa relation avec le monde politique.
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Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
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Jean-Laurent Turbet
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