Article vu dans Le Monde :
A deux jours de la traditionnelle interview du 14 juillet, Jacques Chirac a rendu hommage, mercredi 12 juillet, au capitaine Dreyfus, injustement accusé de trahison, puis réhabilité voilà un siècle. Une cérémonie célébrée à l'Ecole militaire, lieu symbolique où Alfred Dreyfus fut dégradé, puis décoré, sans réintégrer l'armée. C'est dans cette enceinte, préférée par l'Elysée au Panthéon (Le Monde du 7 juillet), que lui a été rendu "un hommage solennel" de la nation.
A midi, au côté de la famille Dreyfus, le président a écouté, lue par un élève de l'école Polytechnique, une lettre du capitaine Dreyfus, polytechnicien lui aussi. Il est revenu à Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, de lire les attendus de l'arrêt du 12 juillet 1906 de la Cour de cassation, qui réhabilita Alfred Dreyfus.
M. Chirac a ensuite prononcé un discours dans un domaine où il s'est, plusieurs fois, distingué, celui de la mémoire. Après avoir retracé de manière simple et forte les faits, en racontant notamment la scène de la dégradation "dont on ressent encore toute la violence", puis ce qui est devenu l'affaire Dreyfus, le chef de l'Etat en est venu à ses enseignements.
De ce "moment de la conscience humaine", la République est sortie fortifiée, devait souligner M. Chirac, en présence du chef du gouvernement, Dominique de Villepin, et des ministres Michèle Alliot-Marie (défense), Pascal Clément (justice), Renaud Donnedieu de Vabres (culture), Hamlaoui Mekachera (anciens combattants). L'armée, la justice, la presse, les intellectuels, sont sortis eux aussi renforcés de l'affaire Dreyfus, devait rappeler M. Chirac.
De même que les droits de l'homme et les valeurs qui fondent l'héritage français, bien que le combat contre "l'injustice, l'intolérance et la haine" ne soit "jamais définitivement gagné". Et, bien sûr, contre l'antisémitisme. Message que le chef de l'Etat martèle depuis son élection en 1995.
Secoué par la crise des banlieues, en novembre 2005, dont il n'aurait jamais imaginé la violence ni la durée, M. Chirac voudrait faire des valeurs de la République, qu'il exalte mercredi, l'étendard de son deuxième mandat. Si les faits le contredisent parfois, il a peu failli sur l'évocation de l'histoire collective. En tout début de mandat, le 16 juillet 1995, il reconnaît pour la première fois la responsabilité de l'Etat français dans la déportation des juifs, lors de son discours du Vel'd'Hiv. En août 2004, lors du 60e anniversaire du débarquement, il rend hommage aux anciens combattants africains et maghrébins. En janvier 2006, il évoque "la tache indélébile" de l'esclavage, fixant au 10 mai la journée commémorative de son abolition. Le 26 juin, jour du 90e anniversaire de la bataille de Verdun, il rend hommage à ses combattants musulmans et rappelle que Philippe Pétain, le vainqueur de la bataille "couvrira de sa gloire le choix funeste de l'armistice et le déshonneur de la collaboration".
Le seul sujet de mémoire, majeur, sur lequel il se soit empêtré est la colonisation, qui lui a coûté la signature du traité d'amitié franco-algérien. Faute d'avoir voulu ou pu empêcher le vote de la loi du 23 février 2005 qui reconnaissait le "rôle positif" de la colonisation, article trop tard abrogé, M. Chirac a vu les relations avec l'Algérie se dégrader, malgré un voyage triomphal dans ce pays en mars 2003.
L'hommage de M. Chirac à Dreyfus arrive au moment où le chef de l'Etat semble reprendre un peu d'air dans les sondages : l'effet du Mondial de football, même s'il est moins net qu'en 1998, se fait sentir. Celui de son intervention au ton énergique sur France 2, le 26 juin, sans doute aussi. Le dernier 14-Juillet du quinquennat, vendredi, n'en reste pas moins un exercice difficile.
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