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Bastion masculin, le Grand Orient de France pourrait être contraint par la justice à s’ouvrir aux «sœurs».
Les «frangines» sont en train de faire imploser le Grand Orient de France. Incapable de trancher en interne la question de la mixité, la première obédience maçonnique française (44 000 membres exclusivement masculins) risque de se faire prochainement condamner par les tribunaux de la République pour discrimination sexuelle. Un comble pour les prétendus héritiers des Lumières.
La question empoisonne la vie du Grand Orient depuis ses origines. Son règlement intérieur, qui institue la sélection à l’entrée du temple, ne parle que d’initier des «francs-maçons, hommes libres et de bonnes mœurs». Un terme générique, sans distinction de sexe. Si, au XVIIIe siècle, on pouvait considérer que la femme, dépendante de son mari, n’apportait pas toutes les garanties de «liberté», dès le XIXe siècle, le distinguo ne tient plus. Premier réflexe mâle, le Grand Orient exclut la loge des Libres Penseurs, qui avait initié en 1882 la journaliste Marie Deraismes. Virée mais désormais initiée, celle-ci fondera illico une obédience mixte, le Droit humain (13 000 membres aujourd’hui).
Au XXIe siècle, la position du Grand Orient est franchement intenable, comme le confiait son Grand Maître, Jean-Michel Quillardet, devant le Conseil de l’ordre au printemps dernier : «Soyons clairs, l’image du Grand Orient se dégradera vis-à-vis de la société. Pour le Grand Maître que je suis, il est très difficile de répondre aux questions de journalistes sur les piscines réservées aux femmes ou aux hommes. C’est un piège.» Lui-même partisan de la mixité, il n’a pas réussi à convaincre l’ensemble de l’obédience.
Bienvenue au Grand Orient, où on ne badine pas avec la démocratie interne, la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif. L’obédience est une confédération d’un millier de loges locales, souveraines et fières de l’être. Les unes prônent ouvertement la mixité, les autres s’accrochent à la masculinité, le marais s’en tient à la liberté de choix -- oui au principe général de la mixité, mais pas chez nous. Depuis six ans, les convents (assemblées générales) du Grand Orient débattent, non de la mixité, mais plutôt des conditions d’organisation du débat sur la mixité… De ces débats sur le débat, émerge quand même une tendance de fond : le refus des femmes décline de convent en convent, 75 % en 2002, 58 % en 2007, 51 % en 2008.
Lors du dernier raout, début septembre à Lyon (lire extraits du compte rendu de la réunion, ci-contre), le président du convent introduisait la discussion en ces termes : «Les nouvelles générations de frères, qui vivent la mixité dans leur vie profane depuis l’école primaire, ce qui n’a sans doute pas été le cas pour la plupart d’entre nous, moi le premier, ne comprennent pas que nous ayons encore ce débat.» Au terme de l’assemblée, les délégués ont de nouveau fait assaut de subtilités pour ne pas trancher. Sur la liberté des loges d’initier ou pas des femmes : 51 % contre, 49 % pour. Sur la liberté d’affilier des sœurs déjà initiées dans des loges féminines ou mixtes : 58 % contre, 42 % pour. Sur l’affirmation que le Grand Orient serait exclusivement masculin : 36 % pour, 64 % contre… Et comme de juste, sur l’ardente nécessité d’en rediscuter l’an prochain, si tout va bien : 52 % pour, 48 % contre.
Le cas des transsexuels, ou quand un frère devient une sœur
Quelques frères considèrent que ce petit jeu dure depuis trop longtemps. Au printemps 2008, six loges ont initié huit sœurs sans demander d’autorisation. Passage en force de frères «anarchistes et libertaires qui veulent lutter contre l’institution», dénonce alors le Conseil de l’Ordre, dont la plupart des membres sont pourtant eux-mêmes favorables à la mixité. Mais à condition d’y mettre les formes. Le consensuel Quillardet, avocat dans le civil, avait tout fait pour reporter ou suspendre des procédures disciplinaires internes. Son tout nouveau successeur, le cardiologue marseillais Pierre Lambicchi, a au contraire foncé tête baissée : sitôt élu à la tête du Grand Orient, il saisit début octobre la justice maçonnique en vue de «suspendre tous les maîtres qui se mettent en dehors de la règle commune et de la démocratie» : 170 frangins ayant accueilli une frangine sont visés (1).
Certains n’attendaient que ça, impatients d’être virés du Grand Orient pour ensuite réclamer leur réintégration devant la justice républicaine. Un membre du Conseil de l’Ordre s’en désole par avance : «On le sait tous, nous sommes dans une situation difficile où la justice va peut-être nous imposer la mixité.» A l’ouverture du dernier convent, l’ex-Grand Maître avait prévenu : «Je me dois d’évoquer la possibilité d’une assignation devant les juridictions profanes. La probabilité d’une condamnation de l’obédience est forte.»
A sa décharge, le Grand Orient est la seule obédience maçonnique qui ose se saisir à
bras-le-corps de la mixité, fût-ce à retardement. A la Grande Loge nationale de France (GLNF, obédience masculine, composée essentiellement de professions libérales et d’hommes d’affaires, 38 000
membres), il n’en est même pas question ; à la Grande Loge féminine de France (GLFF, obédience qui n’initie pas d’hommes, et compte 9 000 membres, dont bon nombre de lesbiennes), on préfère
également rester entre sœurs. Un dignitaire du Grand Orient, en plein Conseil de l’Ordre, annonçait cet été un autre problème à venir, le cas des transsexuels :
«Il y a une loge dans ma région dont un frère est en train de devenir une sœur. Elle
sera reconnue prochainement par la République en tant que femme. J’ai également été informé que la loge en question avait désigné cette future sœur comme déléguée au
convent…»
Renaud Lecadre
(1) Un membre du Conseil de l’Ordre est également poursuivi pour avoir traité ses pairs de «gérontes incapables» lors de l’initiation d’une sœur à laquelle il avait personnellement
assisté.
Source : Libération
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ont inité desd femmes au GODF ,sur ce site
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Pierre Lambichi, Grand-Maître du GODF (sur le site Rue89).
° Le site du Grand Orient de France.
° Ces francs-maçons suspendus parce qu'ils aiment trop les femmes, sur le
site de l'Express.
° Les enjeux du Convent du Grand Orient de France sur ce site.
° "Frangines indésirables au Grand Orient", article de Libération : sur ce site
° Une femme initiée au Grand Orient de France : sur ce site
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