Il fallait un livre de référence sur la Franc-Maçonnerie et la Commune. Le voici !
André Combes, l’un des tous meilleurs spécialistes de l’histoire de la Franc-Maçonnerie, vient de publier un livre qui fait déjà autorité sur le sujet et qui s’intituleé : « La Commune de Paris (mars-juin 1871). La Franc-Maçonnerie déchirée ».
André Combes est d’une modestie, d’une gentillesse et d’une simplicité qui sont à la hauteur de son érudition et de sa grande connaissance du sujet.
Cet agrégé d’Histoire, membre du Grand Orient de France, saura vous replonger comme personne dans cette période troublée de notre Histoire que fut la Commune de Paris de 1871.
Les personnages et les acteurs principaux de la Commune prennent vies et s’animent sous nos yeux.
Et le Grand Architecte sait combien les maçons de Paris et de sa banlieue furent actifs durant la Commune. Mais pas les responsables des obédiences qui sont à Versailles avec Thiers, ni les frères de province qui sont horrifiés de ce qu’ils entendent.
André Combes rend aussi justice aux francs-maçons écossais (membres des loges symboliques de la Grande Loge Centrale du Suprême Conseil de France). Ils forment les gros bataillons des communards alors que des frères du Grand Orient de France représentent numériquement plus des deux tiers des maçons parisiens.
Mais les fères du GODF furent aussi actifs.
Et des frères des deux obédiences se trouvèrent aussi parmi les « conciliateurs » qui tentèrent en vain d’éviter le massacre.
Parmi les loges écossais actives, André Combes nous parle (notamment) de :
° La Loge « La Justice N°133 », qui existe toujours aujourd’hui à la Grande Loge de France.
Le courant radical est dominant avec Henri Brisson (initié en 1865) et Charles Floquet qui seront présidents du Conseil sous la IIIème République.
Mais aussi bien sûr Gustave Mesureur fondateur de la GLSE (dont il sera Pdt en 1883 et 1894), puis de la GLDF dont il sera Grand-Maître de 1903 à 1910 puis de 1911 à 1913 et enfin en 1924 et 1925 à sa mort. Il ne prendra pas part aux événements de la Commune car il est cantonné dans sa caserne.
La Justice 133 comptera 6 élus à la Commune, deux modérés (Albert Leroy et Ulysse Parent) et quatre plus radicaux (Charles Beslay, Emile Eudes, Gustave Lefrançais et Jules Vallès).
Jules Vallès (1832-1885) : 1867 : Jules Vallès fonde son premier journal, La Rue. 6 janvier 1871 : Vallès est un des quatre rédacteurs de L'Affiche Rouge proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison du gouvernement du 4 septembre » et pour réclamer « la réquisition générale, le rationnement gratuit, l'attaque en masse ». Elle se terminait par : « Place au peuple ! Place à la Commune ! ».
Février : Jules Vallès et son collaborateur Pierre Denis fondent le Cri du Peuple. « La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut. »
26 mars : élection de Jules Vallès à la Commune par 4 403 voix sur 6 467 votants du XVe arrondissement.
Durant la Commune, Jules Vallès intervient contre les arbitraires, pour la liberté de la presse. Le Cri du Peuple (83 numéros du 22 février au 23 mai 1871) fut, avec Le Père Duchêne, le journal le mieux vendu de cette période. Vallès siégea d'abord à la commission de l'enseignement, puis à celle des relations extérieures. Il appartient à la minorité opposée à la dictature d'un comité de Salut public. Deux faux Vallès seront exécutés par méprise durant la Semaine Sanglante.
Charles Beslay (1795-1878), proudhonien est le vétéran de la Commune.
Emile Eudes (1843-1888) est le principal lieutenant de Blanqui. Il est journaliste et gérant de la Revue La Libre Pensée.
Gustave Lefrançais (1826-1901) est un journaliste anarchisant. Eugène Pottier (dont nous reparlerons, lui a dédié sa chanson la plus connue, l’Internationale). Gustave Lefrançais écrit dès 1871 dans son Etude sur le mouvement communaliste à Paris en 1871 en parlant du Palis des Tuileries : « Oui, je suis de ceux qui approuvèrent comme absolument moral de brûler ce palais essentiellement monarchique, symbole abhorré d’un exécrable passé […], où tant de crimes antisociaux avaient été prémédités et glorifiés. »
La Justice 133 comptera aussi les socialistes comme Auguste Desmoulins et Charles Limousin et le chimiste François Raspail.
° La Mutualité 190 avec Grégoire Wyrouboff, l’avocat Edmond Mocqueris et son beau-frère Camille Pelletan.
° L’Alliance Fraternelle avec le docteur Edmond Goupil, l’avocat Louis-Eugène Protot, Joseph Fontaine, le journaliste blanquiste Henry Granger, le cofondateur de l’Internationale et bijoutier Amédée Combault.
° La Ligne droite 146 avec Gabriel Ranvier, commandant de la Garde Nationale, peintre décorateur, proche de Gustave Flourens et de Jules Vallès, élu blanquiste du 20ème arrondissement de Paris, a l’honneur de proclamer la Commune le 28 mars 1871. Il est en tête de la manifestation maçonnique du 29 avril avec Thirifocq.
° La Jérusalem Ecossaise 99 avec Emile Thirifocq (1813-1900), tailleur puis professeur de coupe. Il est spiritualiste, il soutient Adolphe Crémieux en 1869 lors du conflit sur le GADLU. Il sera co-fondateur en 1870 de la loge Le Libre Examen, avec Henri Carle (prof de Philo).
C’est Thirifocq qui propose que des bannières soient plantées sur les barricades et que si elles sont trouées par les balles, la FM prenne partie pour la Commune.
C’est lui qui prend le drapeau rouge de la Commune des mains de Jules Vallès pour le mettre « dans les archives de la FM ».
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° Les Trinitaires N°3 avec Gustave et Elie May, exilé à New York. C’est Elie May qui initiera dans cette ville Eugène Pottier en 1875. Elie May rentrera en loge le 3 avril 1883 et initiera au Trinitaires Zéphyrin Camélinat, le responsable de la monnaie sous la Commune en 1886. Elie May présidera la Fraternelle des anciens combattants et amis de la Commune et sera Grand-Maître adjoint de la Grande Loge de France. Les Tinitaires est aussi la loge du futur SGC du SCDF Louis Proal.
° La Franche Union 189 avec Charles Sylvestre pour l’instruction Publique.
° L’Avenir 168 avec Charles Louis Chassin, historien des Guerres de Vendée et Ernest Hamel le biographe de Robespierre qui sera en tête de la délégation des loges parisiennes auprès de Thiers.
° Le Réveil Maçonnique 209 créé en mars 1870 à Boulogne avec les publicistes Jules Mahias et Allain-Targé. Loge qui initie Emmanuel Arago (parrainé par son oncle Etienne Arago) et Jules Simon le 3 juillet 1870.
Rappelons qu’il n’y eu pratiquement pas un mot des frères du Suprême Conseil de France sur les événements de la Commune de Paris de 1871.
Le 1er mai 1871, le Grand Orateur du Suprême Conseil Malapert protestait simplement — et à bon droit — dans une lettre adressées aux journaux parisiens, que le Rite écossais ne pouvait être engagé par « toutes résolutions arrêtées en dehors de la Grande Loge centrale ». Le rite écossais, fidèle à sa tradition, laissait chacun libre de choisir selon ses opinions et ne prenait pas partie institutionnellement.
Le Grand-Orient de France alla beaucoup plus loin. Dès le 29 mai, au lendemain de la semaine sanglante (21-28 mai 1871 qui se terminât par le passage par les armes de 30 000 communards, sans compter les 3000 morts au combat) et de la victoire de Versailles, une circulaire du Conseil de l'Ordre du GODF condamnait « absolument les manifestations auxquelles s'est livré ce groupe de Francs-Maçons, ou soi-disant tels, recrutés pour la plupart on ne sait où, et dont la majeure partie, nous sommes heureux de le constater, n'appartenaient pas à l'obédience du Grand-Orient ».
Le GODF fait ainsi allusion au grand nombre de francs-maçons qui, à l’image des frères Jules Vallès, Charles Floquet, Elie May, Thirifocq, Emile Eudes, Arthur Ranc, Gustave-Adolphe LeFrançais, le docteur Goupil, l’avocat Protot et bien d’autres communards, n’appartenaient pas au GODF mais bien à la Grande Loge Centrale du SCDF et étaient des francs-maçons écossais.
Le Grand-Maître du Grand Orient de France en 1871, Léonide Babaud-Laribière, élu la même année Maire d'Angoulême et qui succède au Général Émile Mellinet (Grand-Maître du GODF de 1865 à 1870 et qui a passé le temps de la Commune à Versailles avec Thiers) enfonce le clou.
Il qualifie, dans une circulaire aux Loges du GODF, publiée le 1er août 1871 dans le Bulletin Officiel du Grand Orient, le mouvement communard de «criminelle sédition qui a épouvanté l'univers, en couvrant Paris de sang et de ruines », et précise « qu'il n'y a aucune solidarité possible entre ses doctrines [du Grand Orient] et celles de la Commune, et que si quelques hommes indignes du nom de Maçons ont pu tenter de transformer notre bannière pacifique en drapeau de guerre civile, le Grand Orient les répudie comme ayant manqué à leurs devoirs les plus sacrés ».
Eugène Pottier, l’auteur de l’Internationale (dédiée comme nous l’avons vu à Gustave Lefrançais de « La Justice 133 ») est initié franc-maçon en 1875 au sein de la loge Les Egalitaires à New-York.
C’est une loge de communards en exil. Son président est Elie May (les Trinitaires N°3) qui l’initie au rite écossais. Le docteur Edmond Goupil, président du Comité Pottier (dont Elie May sera également pdt de nombreuses années – et membre de l’Alliance Fraternelle) a retenu le souvenir de l’initiation de Pottier.
Pottier définit la Franc-Maçonnerie comme « composée d’un groupe de libres penseurs qui, ayant fait table rase des traditions et ne reconnaissant rien de supérieur à la Raison Humaine, emploient consciencieusement la leur à la recherche de la Vérité et de la Justice. »
Et enfin il conclut « C’est à Paris, dans les derniers jours de la lutte, quand j’ai vu, au milieu des transports d’enthousiasme, le spectacle grandiose de la maçonnerie adhérant à la Commune et plantant ses bannières sur nos murailles &ventrées d’obus, c’est alors que je me suis juré d’être un jour un des compagnons de cette phalange laborieuse. Je me présente à son chantier. Embauchez-moi ! ».
Pottier devait être à son retour régularisé au sein de la Loge Le Libre Examen 217 de la GLC du SCDF le 10 octobre 1887 (celle de Thirifocq) mais il est mort quelques jours avant, alors que tout était prêt et organisé pour le recevoir.
André Combes nous parle aussi des loges et des frères en exil à Londres ou en Amérique latine.
C’est le cas de Jean Baux (1820-1892) par exemple qui est exilé en 1852 en Argentine. Revenu en France il est initié à La Jérusalem Ecossaise 99 en 1866. Communard il est condamné à mort par contumace et retourne en Argentine ou il fonde la Loge Egalité et Humanité. Il rentre en France en 1880, adhère au Libre Examen 217 dont il est VM en 1883, en reçu au Chapitre 72 Les Frères Ecossais (où il retrouve Elie May et Protot) puis à l’aéropage Lutécia. La Libre Pensée et Thirifocq évoqueront ses combats en 1892.
André Combes nous parle enfin du combat livré par les frères pour obtenir l’amnistie des communards en exil.
Cette amnistie n’arrivera qu’en 1975.
C’est un livre distancié, précis, documenté et pourtant très vivant. Une vraie réussite et un livre qui fera date.
Vous pouvez par ailleurs écouter André Combes lors de l’émission du 10 octobre 2014 de 2 colonnes à la 1, que vous pouvez écouter en podcast ici : http://radiodtc.com/2-colonnes-a-la-1/
Très bonne lecture avec ce livre d’André Combes qui est tout bonnement indispensable dans toute bonne bibliothèque !
Jean-Laurent Turbet
° Le Livre :
« La Commune de Paris (mars-juin 1871). La Franc-Maçonnerie déchirée »
d’André Combes
Editeur : Dervy éditions (14 juin 2014)
Collection : L'univers maçonnique
Prix : 24€, 246 pages
ISBN-10: 1024200477
ISBN-13: 978-1024200478
° L’auteur :
André Combes, agrégé d'histoire, est directeur de l'Institut d'Etudes et de Recherches Maçonniques (Iderm, Grand Orient de France) et rédacteur en chef des Chroniques d'Histoire Maçonnique. Il a notamment publié Histoire de la Franc-Maçonnerie au 19ème siècle (Rocher, 1998), Histoire de la Franc-Maçonnerie sous l'Occupation (Rocher, 2001) et Trois siècles de Franc-Maçonnerie française (Dervy, 2007). Il est membre du Grand Orient de France.
° Le mot de l’éditeur :
Les évènements connus sous le nom de Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871) commencèrent par une insurrection patriotique de la population des quartiers Est de la capitale, scandalisée par la mollesse de Thiers et de l'armée face aux Prussiens qui assiégeaient toujours Paris. Gouvernement et militaires s'enfuirent à Versailles, se réorganisèrent puis revinrent en profitant des faiblesses de défenseurs. S'ensuivirent des incendies, des destructions et une terrible répression (la Semaine sanglante). La République se bâtira lentement sans oublier vraiment ces crimes et ces ruines. Quelle fut l'attitude de la Franc-maçonnerie face à cette tentative révolutionnaire animée par des idéaux généreux qui étaient parfois aussi les siens ? Composée elle-même partiellement, à l'époque, d'ouvriers et de gens modestes (25%), d'artisans, de commerçants et de fonctionnaires (20 à 25%), elle sympathisa largement avec les insurgés et participa au pouvoir communal. Certains des siens y assumèrent d'importantes responsabilités. Elle s'illustra par plusieurs manifestations dont une massive (29 avril) sur les remparts, avec décors et bannières qui reçurent des balles. Elle négocia directement mais en vain avec Thiers. Sauf exceptions, la prudence paralysa les loges de province, les dirigeants des deux obédiences fustigeront l'insurrection, le frère Jules Simon accepta d'être ministre à Versailles mais, amnistiés, les anciens condamnés par la justice militaire qui avaient échappé à l'exécution sommaire seront réadmis et fêtés (jusqu'à présent) dans leurs ateliers. La Commune de Paris, parce qu'elle suscite de graves remords dans nos consciences, demeure mal installée dans l'histoire de France, toujours unitariste. André Combes éclaire ici un de ses aspects méconnus dont la franc-maçonnerie, tous comptes maintenant faits, malgré ses tiraillements et ses déchirures, n'a pas à se repentir.
Eugène Pottier, créateur de l'Internationale. Eugène Pottier est célèbre mondialement pour avoir écrit les paroles de l' Internationale qui deviendra l'hymne du monde ouvrier. Voici brièveme...
http://www.jlturbet.net/2014/09/eugene-pottier-franc-macon-ecossais.html
Cet article n'est en aucune façon un point de vue officiel de la Grande Loge de France sur ses relations avec le monde politique. Il s'agit ici de libres réflexions qui pourront, évidemment, êt...
http://www.jlturbet.net/article-la-grande-loge-de-france-et-le-politique-114849212.html
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
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Mes propos n'engagent que moi et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
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Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
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Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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