Vu sur le site des Echos , un article de Léna KOLARSKA-BOBIÑSKA, professeur de sociologie. Elle dirige à Varsovie l'Institut des affaires publiques :
Quant à la société civile, elle a jugé (60 %) que l'Eglise s'implique trop dans la sphère politique. L'épiscopat polonais s'est d'ailleurs mis en devoir de dénoncer cet engagement trop direct. Le soutien au gouvernement actuel, composé de partis eurosceptiques et populistes, a déplu à une partie du clergé représentant une sensibilité plus libérale. Le Vatican lui-même est intervenu, de crainte de voir ces dissensions nuire à l'unité de l'Eglise polonaise. Or, au lieu de s'adoucir, celles-ci se sont accentuées. En effet, une nouvelle question vient de s'inviter à l'ordre du jour, qui divise aussi bien le clergé que la société civile. Il s'agit de l'attitude envers le passé et, concrètement, la collaboration d'une partie du clergé avec les services secrets communistes. On se dispute notamment sur le degré et l'étendue souhaitables de divulgation des pièces d'archives concernant cette collaboration.
Les partis de droite qui ont gagné les élections, notamment le PïS, prônaient la transparence - autrement dit, la publication des noms des ex-collaborateurs, ainsi que des documents le prouvant. Les milieux libéraux s'y opposaient, arguant que l'on ne pouvait pas prétendre faire la démonstration de la vérité à partir des archives des services secrets. En outre, il s'agit, selon eux, de documents qui n'ont plus aucune importance pratique aujourd'hui.
D'une manière assez inattendue, c'est le clergé qui s'est trouvé dans le collimateur. En effet, peu après la mort de Jean-Paul II, l'opinion publique a appris la collaboration avec les anciens services secrets d'un prêtre qui, de longue date, avait des responsabilités importantes à la Cité du Vatican. D'autres révélations de même nature ont surgi à la veille du récent voyage en Pologne du pape Benoît XVI, selon lesquelles le prêtre Michal Czajkowski, proche des milieux libéraux et membre du comité épiscopal chargé du dialogue avec le judaïsme, non seulement avait collaboré pendant des années avec les services secrets, mais également perçu des sommes d'argent à ce titre. Depuis l'indépendance de la Pologne, ce prêtre a fait souvent entendre sa voix dans le débat public. Pour beaucoup, il symbolisait une Eglise ouverte et tolérante.
Cela a relancé le débat sur bien des questions passées jusque-là sous silence. On s'interroge ainsi sur la façon dont, aujourd'hui, il convient de parler et écrire sur une histoire constituée souvent de drames humains. Dans le même temps, on a pu voir à quel point le clergé fut la cible des services secrets communistes. Les prêtres avaient dû prendre part à des entretiens individuels et étaient régulièrement fichés. Une partie d'entre eux ont pu se faire recruter en raison de leurs déplacements à l'étranger, qui supposaient une autorisation (la délivrance du passeport). D'autres, ayant une Eglise à construire, se voyaient obligés de demander l'approvisionnement en matériaux, déficitaires à l'époque. Enfin, certains étaient impliqués dans des affaires de moeurs.
Bref, on découvre la face cachée d'une Eglise considérée jusqu'il y a peu comme monolithique, dont l'homogénéité avait permis de résister, sur le plan organisationnel et moral, au communisme. Reste à savoir comment s'y prendre pour que la lumière soit faite sur le passé de certains prêtres. L'Eglise doit-elle mettre en marche son propre dispositif, ou bien faut-il soumettre cette catégorie professionnelle à la même procédure que le reste des catégories concernées ? Une partie du clergé, ainsi que le Premier ministre, le président de la République et la Plate-forme citoyenne, principal parti de l'opposition, estiment que l'investigation sur l'ancienne collaboration des prêtres est une affaire interne de l'Eglise ; c'est donc aux autorités ecclésiastiques d'y faire face. Or certains prêtres ont vu dans cette approche la volonté de cacher la vérité et se sont mis eux-mêmes à dénoncer les ex-délateurs dans les rangs du clergé. Cela a donné lieu à une nouvelle querelle au sein de l'Eglise, opposant les partisans et les détracteurs de la transparence totale.
Paradoxalement, ce sont, pour l'essentiel, des prêtres se situant à droite qui exigent l'ouverture inconditionnelle des archives. De même, c'est une partie de la droite, et non de la gauche (qui est toujours restée sceptique face aux investigations touchant à l'histoire récente), qui est à l'origine d'initiatives risquant d'engendrer des conflits et des divisions. Enfin, ce sont des journalistes de droite qui défendent l'idée selon laquelle les prêtres doivent être traités de la même manière que les autres catégories. Ce sont eux également qui, depuis peu, soulignent que les politiciens de droite devraient renoncer à leur attitude « serviable » et obéissante envers l'Eglise. Ils devraient relâcher leurs liens avec le clergé et cesser de servir directement ses intérêts.
A cette occasion, l'autorité du président Lech Kaczyñski et de son frère Jaroslaw semble avoir souffert. En effet, aux yeux de l'électorat de droite, leur crédibilité était fondée en grande partie sur le fait qu'ils avaient toujours souligné le besoin d'élucider la question des ex-collaborateurs. Or leurs prises de position récentes sont perçues comme une renonciation à leurs idéaux et à leurs promesses. Ainsi semble se réaliser la prophétie des opposants au processus de dénonciation, selon lesquels celui-ci causerait plus de torts à l'ancienne opposition groupée autour de Solidarnosc qu'aux ex-fonctionnaires des services secrets. On peut effectivement se demander dans quelle mesure ce grand déballage, qui semble entrer dans sa phase décisive, risque de nuire à l'ensemble du camp de la droite.
Source : Les Echos
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