Voilà bien, en France, une question sensible.
Lorsqu'on est franc-maçon, doit-on le dire ou pas?
Dans les pays anglo-saxons les francs-maçons ne se posent pas ce type de question. Dans ces pays, la Franc-Maçonnerie a pignon sur rue.
Les équerres et les compas fleurissent sur les coffres de voitures, les T-shirts ou les casquettes.
A ceci plusieurs raisons. Au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis la Franc-Maçonnerie est sinon une institution officielle (d'ailleurs parfois considérée comme conservatrice), mais du moins possède une histoire souvent mèlée à celle de ces pays.
En Angleterre le Grand-Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre est un membre éminent de la famille royale (quand les rois ne furent pas eux-mêmes maçons comme Edouard VIII).
Aux Etats-Unis, depuis George Washington posant la première pierre du Capitole revêtu de ses habits maçonniques (avec le tablier brodé par l'épouse du marquis de La Fayette, lui-même maçon) jusqu'à Franklin Roosevelt en passant par Benjamin Franklin, John Wayne et bien d'autres, la Franc-Maçonnerie est dans l'imaginaire américain une institution charitable consubstantielle à cette nation.
Bref, pour paraphraser le titre d'un film, tout le monde n'a pas eu la chance de naître en terre protestante.
Car c'est bien l'église catholique apostolique et romaine qui, dès 1738, sans aucune preuve d'aucune sorte, jette l'anathème sur la Franc-Maçonnerie. Les condamnations papales se succèderont les unes aux autres jusqu'à la condamnation du cardinal Ratzinger (alors préfet de la Sacré Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ex Inquisition) de 1983.
Les pays latins où l'Eglise catholique pèse de tout son poids, comme l'Italie, l'Espagne ou la Pologne, appliqueront strictement cette interdiction et les francs-maçons seront pourchassés sévèrement.
En France, terre gallicane, les Parlements refuseront d'appliquer les oukases papaux et la Franc-Maçonnerie pourra se développer.
Dans notre pays, ce sont toutes les forces cléricales, réactionnaires, monarchistes, les Ligues, l'extrême droite et bien entendu l'Eglise catholique qui mèneront le combat anti-maçonnique.
Les francs-maçons sont stigmatisés, montrés du doigt et souvent doivent subir des conséquences professionnelles et familiales douloureuses de leur engagement laïque en faveur de la République. Eugène Le Roy (le père de Jacquou le Croquant) raconte bien comment il a perdu on emploi après avoir refusé de se marier religieusement.
Les journaux de droite et d'extrême droite publient régulièrement des listes de francs-maçons pour nuire aux frères.
Mais le grand traumatisme pour les francs-maçons français vient avec le régime de Vichy.
Le 14 juin 1940, les troupes allemandes défilent dans Paris. Le même jour, les locaux des diverses obédiences maçonniques sont visités, une partie du matériel enlevé et les scellés apposés sur les portes d'entrée. L'immeuble du Grand-Orient, rue Cadet, devient le siège du SD (Sicher heitsdienst), service du contre-espionnage, dirigé pour les questions maçonniques par le lieutenant Moritz.
Les autorités d'occupation qui possèdent déjà un fichier des francs-maçons commencent aussitôt les perquisitions et, le 29 juillet 1940, Otto Abetz, futur ambassadeur du IIIe Reich à Paris, propose à l'état-major de fournir les noms de ceux-ci à la presse.
Pour Hitler, la franc-maçonnerie, véritable force occulte, puissance supra-étatique de domination par les Juifs, ne peut coexister avec le national-socialisme. Pourtant il n'entreprend pas contre elle une liquidation systématique, identique à celle contre les Juifs.
Pour le Maréchal Pétain en revanche, « un Juif n'est jamais responsable de ses origines, un franc-maçon l'est toujours de son choix »: Pour le Maréchal, la lutte antimaçonnique est une vraie obsession personnelle.
D'ailleurs dès le 13 août 1940, deux mois à peine après la défaite, alors qu'il y a tant d'autres choses importantes à faire, une loi de Vichy dissout les « sociétés secrètes » et, quelques jours plus tard, sont déclarées nulles les associations dites de la Grande Loge de France, et du Grand Orient de France, en métropole et dans l’empire.
Les francs-maçons sont pourchassés et livrés à la vindicte populaire avec des listes de noms publiés dans les journaux collaborationnistes. Ils sont très souvent chassés de leur emploi s'ils sont fonctionnaires ou chargés d'une mission publique.
Après la Guerre, la Franc-Maçonnerie peut faire alors le bilan des années noires de Vichy et compter ses victimes : 170 000 suspects recensés, plus de 60 000 francs-maçons fichés, 6000 maçons inquiétés, 989 déportés, 540 fusillés ou morts en déportation. Ceci ne tient pas compte des francs-maçons morts pour également d'autres raisons, en plus de leur appartenance maçonnique : par exemple parce qu'ils étaient juifs, ou pour fait de Résistance.
Après la Libération la Franc-Maçonnerie est moribonde. Moins d'un quart des frères de 1939 retrouvent le chemin des loges en 1945.
L'expérience a tellement été traumatisante que la quasi totalité de frères de cette période appliquent la plus grande discrétion - voire le plus grand secret - sur leur appartenance maçonnique. Chien échaudé craint l'eau froide. La Franc-Maçonnerie française mettra d'ailleurs plus de 30 ans à retrouver ses effectifs de 1939.
O Tempora, O Mores, moteur du combat laïque, républicain et démocratique sous la IIIème République, la Franc-Maçonnerie s'intéresse aujourd'hui à beaucoup de sujets, politiques (dans le sens de vie de la Cité), spirituels, éthiques, moraux...
Il n'y a jamais eu en France, autant de francs-maçonnes et de francs-maçons qu'aujourd'hui.
Et la question se pose donc de nouveau, plus de 60 ans après la fin de la Guerre, de l'extériorisation.
Une règle a de tout temps prévalue en Franc-Maçonnerie : On peut sans problème dire son appartenance à l'Ordre, mais on ne peut révéler celle d'un frère ou d'une soeur. Il s'agit tout simplement de respecter la volonté et le libre arbitre de chacun. Et l'Histoire a démontré de façon dramatique que le fait d'être franc-maçon n'était pas sans risque.
D'ailleurs cette règle vaut pour toute association : quelle association ou quel parti politique met sur la place publique et en libre consultation de tous la liste de ses adhérents? Il en va des obédiences maçonniques comme de toutes les autres associations...
Pourtant, à la fin des années 1980, à la suite de scandales politico-financiers touchant quelques "frères", un certain nombre de Grands Maîtres de toutes obédiences (je pense à Alain Bauer pour le GODF ou Michel Barat pour la GLDF par exemple) ont milités pour que les frères disent plus ouvertement leur engagement maçonnique et le vivent au grand jour.
C'est aussi aujourd'hui la position de Jean-Michel Quillardet (encore Grand Maître du GODF pour quelques jours) ou d'Alain Graësel (Grand Maître de la GLDF). Les francs-maçon n'ont rien à cacher, ils peuvent vivre leur engagement à l'air libre.
Mais il ne faut pas se leurrer. Les préjugés contre la Franc-Maçonnerie restent importants. Certains frères hésitent encore, souvent à juste titre, à faire part de leur engagement à cause de leur employeur ou de quelques membres de leurs familles qu'il savent hostiles à l'Ordre. Les risques ne sont plus aujourd'hui vitaux comme aux heures les plus noires de notre Histoire, mais ils demeurent néanmoins bel et bien réels.
C'est donc à chacun de juger, en son âme et conscience s'il peut dévoiler son appartenance maçonnique ou non.
Ma position personnelle est que l'expérience est tellement belle, intéressante, enrichissante (pas sur le plan monétaire malheureusement, mais je précise pour les mauvaises langues!) qu'il n'y a pas de raison de la taire. C'est juste mon opinion (et elle n'engage que moi comme disent les amateurs de litotes).
Mais ce n'est pas à celles ou ceux qui ne font pas ce choix que je jetterai la première pierre.
A lire également :
° Sur ce site : "Forces Occultes", film antimaçonnique.
° Sur ce site : Peut-on être chrétien et franc-maçon (suite) ?
° Sur ce site : "Peut-on être chrétien et franc-maçon ?", de Mgr Dominique Rey.
° Sur ce site : Peut-on être chrétien et franc-maçon. L'avis d'un jésuite.
° Sur ce site : "Scandale au Grand Orient", d'Emmanuel Thiébot
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