Austerlitz célébré à Paris et en République tchèque
Bataille d'Austerlitz. La victoire de Napoléon sur les armées autrichienne et russe du 2 décembre 1805 fait l’objet d’une reconstitution militaire sur les lieux de la bataille, en République tchèque (photo). A Paris, cérémonie ce soir place Vendôme.
Des passionnés d’histoire approchent du terrain d’Austerlitz, jeudi (AP) |
Ni président de la République, ni Premier ministre : la cérémonie militaire du vendredi 2 décembre à Paris marquant le bicentenaire de la bataille d'Austerlitz se passera des chefs de l’exécutif. Jacques Chirac se rend à Bamako, pour le 23e sommet Afrique-France. Sa présence à la cérémonie du bicentenaire d'Austerlitz n'avait jamais été évoquée.
Dominique de Villepin se rend pour sa part à Amiens. Son entourage précise qu'il n'a "jamais été question d'ajouter cette cérémonie à son agenda".
La célébration marquant le bicentenaire de la bataille remportée par les armées de Napoléon se déroulera sans eux, à partir de 19h30 place Vendôme, en présence d'un bataillon de l'Ecole de Saint-Cyr et des drapeaux et étendards des régiments de l'armée de Terre ayant participé à la bataille en 1805. Le service communication de l’Armée de terre annonce une cérémonie militaire et un spectacle son et lumières.
Cette manifestation accueillera, à l’invitation du chef d'état-major de l'Armée de terre Bernard Thorette, de l'association la Saint-Cyrienne et du Comité Vendôme, des représentants de l'Union européenne, de la Russie et des Etats-Unis.
Des associations d'outre-mer appellent de leur côté à manifester samedi "contre le révisionnisme historique et les commémorations officielles de Napoléon", soulignant qu'il avait rétabli l'esclavage outre-mer, en 1802.
Alliot-Marie sur le terrain
La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie assistera de son côté, en République tchèque, à une cérémonie sur le lieu même de la plus célèbre des victoires de l'empereur.
Les passionnés de stratégie militaire et les nostalgiques de l’Empire se retrouvent en effet vendredi et samedi sur le plateau de Pratzen, dans l’est de la République tchèque, pour revivre la bataille. Egalement appelée bataille des Trois empereurs, Austerlitz marque, le 2 décembre 1805, une des plus grandes victoires stratégiques de Napoléon Ier.
Près de 4.000 soldats volontaires devaient converger sur le terrain de bataille pour une reconstitution historique. Bénévoles et passionnés par les armes, les arts militaires et l'histoire napoléonienne, ces nouveaux hussards, dragons et fantassins sont venus de toute l'Europe et de Russie, mais aussi des Etats-Unis, du Canada et d'Australie.
30.000 spectateurs
Le "chef d'état-major général" Jakub Samek, un Tchèque de 27 ans, supervise la coordination des troupes. "C'est une organisation logistique énorme !", s'enthousiasme-t-il.
Le projet "Austerlitz 2005" nécessite 16.000 portions de nourriture, des milliers de litres de boissons, 1,5 tonne de poudre pour les fusils, 200 kg d'explosif pour les effets pyrotechniques et 9 km de barrières mobiles.
Le tout pour un budget de 15 millions de couronnes. Les 30.000 spectateurs payants attendus financeront ces frais.
Pour la région de Brno, l’anniversaire est une aubaine. L'agence touristique pragoise Euroagentur, en charge de la commercialisation de l'événement, prévoit au total plus de 100.000 visiteurs sur la semaine.
Ces chiffres impressionnants restent pourtant dérisoires à l'aune de la réalité historique.
Le 11 frimaire de l'an XIV, 71.000 soldats de la Grande armée mirent en déroute en moins de six heures les 91.000 hommes des forces russe et autrichienne. La bataille laissa 19.000 morts et blessés du côté des vaincus, 9.000 de l'autre.
Un Napoléon américain
Austerlitz permit à Napoléon de briser la troisième coalition.
Cette bataille est considérée par des experts comme un chef d'œuvre d'art militaire: en effet les forces austro-russes connaissaient le terrain, occupaient les meilleures positions et jouissaient de l'avantage du nombre, et pourtant celui que les Anglais surnommaient "l'ogre corse" mit ses adversaires en déroute par une offensive inattendue.
"Il vous suffira de dire j'étais à la bataille d'Austerlitz pour que l'on vous réponde: "Voilà un brave", s'enflamma Napoléon après la victoire.
C'est un Américain de Virginie qui devait incarner l'homme au tricorne cette année. Mark Schneider se flatte d'avoir le même âge que Napoléon au moment de sa victoire. Il explique qu’il se prépare depuis plusieurs semaines "en lisant des bulletins militaires d'époque".
Jan Dora, président de l'association tchèque qui organise "Austerlitz 2005", raconte que "la sélection des participants et la logistique de la reconstitution ont exigé des mois de préparation".
Au grand dam des puristes, c’est la date du 3 décembre qui a été retenue pour la reconstitution de la bataille. Pour des raisons commerciales, le 2 décembre tombant un vendredi.
Source : Le Nouvel Observateur
La nouvelle bataille d'Austerlitz
représentait la France. Et le 21 octobre, nous avons eu droit à une soirée franco-britannique, sous le double haut patronage de la reine Elsabeth II et du président Chirac. L'Entente cordiale n'en a pas été écornée. Or, sauf erreur, pour les Français, Trafalgar reste un cuisant désastre naval. Et Austerlitz une victoire emblématique, celle qui a consolidé le sacre de 1804 et conduit à la dislocation du Saint Empire romain germanique, ce qui n'est pas rien.Le paradoxe est gênant. L'anniversaire de la bataille de Trafalgar, il y a quelques mois, a été entouré de fastes maritimes spectaculaires : au milieu d'une escadre de la Royal Navy, le porte-avions Officiellement, le triomphe d'il y a deux siècles n'a droit qu'à un ersatz. Une misère. On s'excuse, on a honte ! L'autoflagellation et une sournoise repentance ont encore frappé. Il semble, ces temps-ci, que nos dirigeants préfèrent évoquer des défaites plutôt que des victoires. Or, les souvenirs napoléoniens sont présents dans notre République. Deux exemples : chaque semaine, à l'Elysée, le Conseil des ministres se tient dans le salon Murat. Et notre premier ministre a signé une brillante étude sur «Les Cent-Jours» qu'il eut la délicatesse, rare chez les politiques, d'écrire lui-même ! Que l'on aime ou que l'on déteste l'Empereur, sujet de nouvelles polémiques aussi ridicules qu'insensées, le passé n'est pas falsifiable.
L'erreur est de juger les événements d'il y a deux siècles avec les critères et les obsessions d'aujourd'hui. L'histoire ne se fractionne pas. «Les faits sont têtus», disait Lénine. Quel est le programme officiel ? Ce soir, entre 17 h 30 et 20 heures, la place Vendôme vivra à l'heure impériale sous l'ombre portée de sa haute colonne. La projection d'un film sur grand écran sera suivie d'une prise d'armes avec quatre cents saint-cyriens, en présence du ministre de la Défense et de celui des Anciens Combattants. Pourquoi n'a-t-on pas choisi les Invalides, où repose Napoléon, et le Musée de l'armée ? Premier mystère dans cette bataille du souvenir occulté.
Sans l'initiative du Comité Vendôme et de la Saint-Cyrienne, nous n'aurions droit, à Paris, qu'à une marche funèbre, celle qui accompagne le politiquement correct. Une fois de plus.L'endroit, que toute l'Europe connaît, s'appelle aujourd'hui Slavkov et se trouve en République tchèque, à 8 kilomètres de Brno, anciennement Brunn, et à plus de 200 kilomètres de Prague. S'il y a des Français ce soir sur cette immense plaine vallonnée, on le devra à l'initiative du général Kessler, qui a négocié, avec la Saint-Cyrienne et la Sabretache, un avion militaire spécial pour transporter une centaine de personnes dont plusieurs généraux jusqu'au château d'Austerlitz, magnifique édifice baroque où l'Empereur avait installé son quartier général.
Mais l'organisateur discret, même s'il s'en défend avec élégance, de ce rattrapage est Yves Guéna, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel, président de l'Institut de monde arabe et de la Fondation Charles-de-Gaulle. Ce gaulliste viscéral, également historien, s'est étonné de la frilosité des autorités françaises. Sans en être l'organisateur direct, il présidera le dîner, servi dans l'ancienne résidence de la famille Kaunitz, dont était issu l'illustre chancelier de l'impératrice Marie-Thérèse. C'est Yves Guéna qui conduit la nouvelle bataille d'Austerlitz, la plus dure, celle contre l'oubli volontaire. Il se dit très honoré de cette mission inattendue. Or, comme ce républicain le rappelle avec malice, «tout ce qui est national est nôtre», selon le mot d'un prince d'Orléans. La preuve que notre histoire ne saurait être saucissonnée pour choisir les prétendus bons morceaux et rejeter les supposés mauvais.
En revanche, on peut se réjouir, l'honneur sera sauf dès ce soir, dans la nuit glacée d'Austerlitz, à l'endroit même où l'Empereur, par une manoeuvre géniale, profita du brouillard pour faire avancer la Grande Armée, numériquement plus faible et moins bien dotée en artillerie que ses adversaires. Cette attitude est d'autant plus choquante que, sur place, la bataille fait l'objet d'un véritable culte et le site reste protégé comme on défend et honore chez nous les cimetières militaires.
Rien n'a changé, ni le tumulus d'où l'empereur des Français commanda les manoeuvres ni celui d'où les souverains austro-russes subirent leurs défaites. Le silence, solennel, qui y règne n'est pas celui du refus mais du respect. Sur le plateau de Pratzen, l'un des trois sites des engagements, à côté d'un remarquable musée, on peut lire, entre autres : «La gloire est le soleil des morts !»
Chaque 2 décembre, des milliers de gens revêtent les uniformes de l'époque. Cette année et pendant plusieurs jours, ils sont des dizaines de milliers. On a peine à croire que la France occulte ces cérémonies grandioses rappelant une date essentielle de l'histoire européenne d'autant que commémorer ne veut pas dire célébrer.
Cerise sur le gâteau, l'Otan envisage la construction d'un radar, ce qui met en émoi les associations historiques mais prouve que cette puissante organisation militaire rend justice à Napoléon. Après le soleil, le radar d'Austerlitz démontre l'intérêt stratégique de l'événement. La presse étrangère évoque largement cette page d'histoire, notamment l'influent quotidien allemand Frankfurter Allegemeine Zeitung, dans son édition du 26 novembre. On y souligne la peur des Français, qui changèrent le nom de Moravie en «mort à vie» !
Aux dernières nouvelles, Mme Alliot-Marie, notre ministre de la Défense, devrait quitter la place Vendôme pour rejoindre Austerlitz dans la nuit. Elle risque d'y arriver tard, pour une cérémonie qualifiée, bizarrement, de «privée». On pourra toujours nous dire que le 2 décembre peut être commémoré le 3. Ce ne sera pas la première fois que nous devrons remettre les pendules à l'heure.
(*) Ecrivain. Dernier ouvrage paru : Le Roman de Vienne (Editions du Rocher).
Source : Le Figaro
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