La Toussaint : la fête de tous les saints,
entre mémoire, lumière et mystère
Introduction : un jour de lumière dans l’automne.
Chaque 1er novembre, l’Église catholique apostolique et romaine célèbre la Toussaint, la fête de tous les saints. C’est un jour de joie, de recueillement, et d’espérance.
Joie, parce qu’il célèbre la multitude des saints connus et inconnus, qui, selon la foi chrétienne, vivent dans la lumière de Dieu.
Recueillement, parce qu’il nous rappelle la vocation universelle à la sainteté.
Espérance, enfin, car il affirme que la mort n’a pas le dernier mot.
Mais derrière cette fête paisible se cache une histoire complexe et millénaire, où se rencontrent traditions païennes et révélation chrétienne, mémoire des martyrs et spiritualité mystique.
La Toussaint, avant d’être une simple commémoration, est une théologie du lien entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible, entre la communauté des vivants et celle des bienheureux.
I. L’origine chrétienne de la Toussaint : une fête de la victoire des martyrs.
1. Des catacombes à la basilique : la mémoire du sang des martyrs.
La Toussaint plonge ses racines dans les premiers siècles du christianisme, à une époque où la foi se vivait souvent dans la clandestinité et la persécution. Les premiers chrétiens se rendaient sur les tombes des martyrs, dans les catacombes, pour célébrer l’Eucharistie et honorer ceux qui avaient donné leur vie pour le Christ.
Tertullien, au IIᵉ siècle, écrivait cette phrase fameuse :
« Le sang des martyrs est semence de chrétiens. »
Ces martyrs, témoins fidèles jusqu’à la mort, étaient considérés comme les premiers saints, les premiers à avoir atteint la pleine communion avec Dieu.
Très vite, chaque Église locale célébra un ou plusieurs martyrs à des dates précises.
Mais, dès le IVᵉ siècle, on commença à ressentir le besoin d’une fête commune, rassemblant la mémoire de tous ceux dont les noms pourraient être oubliés.
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2. De la fête des martyrs à la fête de tous les saints.
À Antioche, au IVᵉ siècle, on trouve la trace d’une « fête de tous les martyrs » célébrée au printemps, le dimanche après la Pentecôte — une date toujours conservée dans les Églises d’Orient.
À Rome, la fête apparaît plus tard. Le pape Boniface IV (608-615) fit transporter dans le Panthéon les reliques de nombreux martyrs et le consacra à la Vierge Marie et à tous les martyrs (en 609 ou 610).
Le Panthéon, temple romain dédié à tous les dieux, devenait ainsi un sanctuaire chrétien dédié à tous les témoins du Christ.
Ce geste est d’une puissance symbolique considérable : le christianisme ne détruit pas le monde antique, il le transfigure. Les dieux de pierre font place aux saints vivants, la multiplicité païenne se résorbe dans l’unité du Dieu unique et de sa multitude d’amis.
La fête fut ensuite déplacée par Grégoire III (731-741) au 1er novembre, lors de la dédicace d’une chapelle à tous les saints dans la basilique Saint-Pierre de Rome.
Son successeur, Grégoire IV (827-844), étendit cette célébration à toute l’Église.
Ainsi naquit la fête de la Toussaint que nous connaissons aujourd’hui.
Sans qu'il y ait de chiffres officiels, il semble que l'église compte plus de 10000 Saints, dont plus de 1600 auraient été canonisés suivant les formes modernes. Dans l'Antiquité et au Moyen-Age des Saints ont été déclarés par les églises locales sans forcément avoir été comptabilisés comme tels de façon centralisée à Rome.
II. Les racines préchrétiennes : Samhain, Parentalia et transmutation spirituelle.
1. Les fêtes de l’au-delà dans le monde païen.
L’Église n’a pas choisi la date du 1er novembre par hasard. Ce temps correspondait, dans l’Europe préchrétienne, à des fêtes liées à la mort, au cycle des saisons et à la communication entre les mondes.
Elle s'inscrit en cela dans une tradition commune à toutes les religions : ni les lieux ni les dates ne sont jamais choisis par hasard. Mais correspondent toujours à des lieux où des dates utilisés par les religions antérieures que l'on remplace. Cela a été vrai pour les chrétiens comme pour les celtes qui ont utilisé des mégalithes disposés des centaines d'années avant leur arrivée, cela vaut pour les grecs, les romains, les juifs, les égyptiens, les mésopotamiens et cela se perd dans la nuit des temps.
Chez les Celtes, la fête de Samain (ou Samhain), marquant la fin de l’année, était un moment où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts devenait perméable.
Feux rituels, offrandes et banquets réunissaient les communautés autour de la mémoire des ancêtres.
De même, dans le monde romain, les Parentalia ou les Lemuria honoraient les esprits des défunts.
Mais la différence essentielle entre ces cultes anciens et la Toussaint chrétienne tient à leur orientation spirituelle.
Les fêtes païennes cherchaient souvent à apaiser les morts, à se concilier leurs forces, ou à marquer le retour cyclique du temps.
La fête chrétienne, elle, se tourne vers l’éternité : elle ne cherche pas à apaiser les morts, mais à célébrer ceux qui vivent désormais en Dieu.
Elle n’est pas une magie du retour, mais une espérance de résurrection.
2. Transmutation symbolique : du cycle naturel à la lumière spirituelle
La Toussaint naît dans une continuité culturelle, mais en la transfigurant.
Ce n’est plus le passage de la vie à la mort, mais celui de la mort à la vie éternelle.
Elle ne marque pas la fin du cycle naturel, mais l’ouverture d’une perspective céleste.
Là où la Samain celte évoquait le monde des esprits errants, la Toussaint célèbre la communion des saints, c’est-à-dire l’unité mystique de tous les croyants — vivants et morts — dans le Christ.
C’est l’idée paulinienne de l’Église comme corps mystique, où « si un membre souffre, tous souffrent avec lui ; si un membre est glorifié, tous se réjouissent avec lui » (1 Co 12, 26).
III. La signification religieuse et symbolique de la Toussaint.
1. La communion des saints : un mystère d’unité spirituelle.
La Toussaint est d’abord la fête de l’universalité de la sanctification.
Elle proclame que la sainteté n’est pas réservée à quelques héros, mais qu’elle est la vocation de tous.
Comme le rappelle le concile Vatican II (Lumen Gentium, 40) :
« Tous, dans l’Église, sont appelés à la sainteté. »
Dans la théologie catholique, la communion des saints exprime le lien entre :
- L’Église militante (les vivants sur terre).
- L’Église souffrante (les âmes du purgatoire).
- L’Église triomphante (les saints du ciel).
La Toussaint célèbre cette triple dimension de l’unité spirituelle, comme un vaste champ de forces lumineuses reliant le visible et l’invisible.
2. La sainteté comme transfiguration.
Sur le plan symbolique, la sainteté est une transfiguration.
Les saints sont des êtres humains qui, en laissant passer la lumière divine à travers leur vie, deviennent transparents à Dieu.
Ils réalisent ce que les mystiques appellent la déification (theosis), thème cher à la tradition orthodoxe : participer à la nature divine sans cesser d’être soi.
C’est le but ultime de la vie spirituelle.
Le mot « saint » (du latin sanctus, « séparé », « consacré ») désigne celui qui a franchi le seuil de la dualité : il vit dans l’unité du divin et de l’humain.
Ainsi, la Toussaint est la fête de la lumière réalisée dans la chair, de l’Esprit devenu visible à travers des vies humaines.
3. Dimension ésotérique : la hiérarchie invisible.
Dans la perspective hermétique qui m’est chère, la Toussaint manifeste la hiérarchie lumineuse des âmes — ce que la tradition chrétienne appelle les « chœurs angéliques » et les « saints ».
C’est la reprise terrestre du Ciel spirituel décrit par le Pseudo-Denys l’Aréopagite : un ordre cosmique d’êtres unis dans la contemplation de Dieu.
Les saints sont alors des archétypes vivants, des médiateurs entre l’humanité et le divin.
Ils forment une chaîne d’or (selon le mot d’Hermès Trismégiste), reliant le haut et le bas, la terre et le ciel. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
Chaque saint incarne une vertu, une énergie spirituelle particulière — charité, courage, humilité, sagesse — qui devient une porte symbolique vers le divin.
IV. La Toussaint et la Réforme : la question du culte des saints.
Les protestants ne célèbrent pas la Toussaint.
Pourquoi ? Parce que, pour la théologie issue de la Réforme, il n’existe qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : Jésus-Christ (1 Tm 2,5).
Les réformateurs, Luther en tête, ont rejeté le culte des saints comme une déviation idolâtre de la foi primitive.
Jean Calvin, dans son Traité des reliques (1543) écrit : « Les premiers chrétiens laissèrent les corps des saints dans leurs tombeaux, obéissant à la sentence universelle : que toute chair est poussière, et à la poussière elle doit retourner, et ne cherchèrent pas à les faire sortir avant le temps fixé en les élevant avec pompe et faste. Cet exemple n’a pas été suivi par leurs successeurs ; au contraire, les corps des fidèles, en opposition au commandement de Dieu, ont été déterrés pour être glorifiés, quand ils auraient dû demeurer en leurs lieux de repos, attendant le jugement dernier. On les adora, on leur rendit toutes sortes d’honneur, et les gens mirent leur confiance en de telles choses. Et quelle en fut la conséquence ? Le diable, voyant la folie de l’homme, ne se contenta pas de l’avoir conduit dans une tromperie, mais y ajouta une autre, en donnant aux choses les plus profanes le nom de reliques de saints. Et Dieu punît les crédules en leur ôtant tout moyen de raisonner correctement, de sorte qu’ils acceptèrent sans enquête tout ce qui leur était présenté, ne faisant aucune distinction entre le blanc ou le noir. »
Pour lui, les premiers chrétiens respectaient les morts sans vouer un culte aux saints, mais plus tard, l’Église catholique apostolique et romaine aurait dérivé vers une vénération superstitieuse, transformant la mémoire des saints en idolâtrie.
Pour les catholiques et les orthodoxes, honorer un saint ne signifie pas l’adorer, mais vénérer l’action de Dieu en lui.
C’est la distinction entre latrie (adoration due à Dieu seul) et dulie (vénération des saints).
Mais cette nuance théologique ne convainquit pas les réformateurs, qui voyaient dans la prolifération des cultes locaux une superstition contraire à la simplicité de l’Évangile.
Ainsi, pour les protestants, la Toussaint perd sa fonction liturgique, mais conserve une valeur spirituelle : elle rappelle que tous les croyants sont des saints, comme tous les croyants sont des prêtes (le sacerdoce universel selon Jean Calvin) au sens paulinien du terme (hagios), c’est-à-dire des membres du peuple de Dieu sanctifiés par la foi.
La sainteté n’est pas un état canonisé, mais une attitude de vie dans la grâce.
V. Du culte des saints au Panthéon des grands hommes : les saints laïcs.
En France, le 1er novembre résonne d’un double écho : religieux et républicain.
La Révolution française, en abolissant le culte des saints, a institué un autre sanctuaire : le Panthéon, où reposent les « grands hommes » de la Nation.
Le mot grec pan-theos signifie « tous les dieux » — le même mot que celui du temple romain devenu sanctuaire chrétien de la Toussaint !
Ironie de l’histoire : la République a créé, à sa manière, un nouveau culte des saints, mais laïcs et universels.
Le Panthéon, temple de la mémoire collective, célèbre ceux qui ont élevé la conscience humaine par leur pensée, leur courage ou leur art.
Voltaire, Rousseau, Condorcet, Dumas, Hugo, Zola, Schoelcher, Jaurès, Eboué, Moulin, Brossolette, Zay, Manouchian, Badinter, Marie Curie, Germaine Tillon, Simone Veil, Joséphine Baker… sont nos saints civiques, témoins d’un idéal de liberté et de dignité.
« Aux grands hommes la Patrie reconnaissante. »
Cette démarche, paradoxalement, prolonge l’intuition chrétienne : célébrer ceux qui ont élevé la conscience humaine.
Pourquoi ne pas, ce jour-là, se souvenir de ces figures spirituelles, philosophiques, artistiques, scientifiques, qui ont illuminé notre humanité ?
La Toussaint peut devenir un jour de reconnaissance envers tous les porteurs de lumière, qu’ils soient religieux ou laïcs.
VI. Conclusion : la Toussaint, miroir de notre destinée spirituelle.
La Toussaint, fête de la lumière au cœur de l’automne, nous rappelle que la sainteté n’est pas un privilège rare, mais l’appel universel à l’amour et à la transformation.
Elle réconcilie mémoire et espérance, visible et invisible, histoire et mystère.
Elle est aussi une invitation initiatique : entrer en soi-même pour retrouver cette parcelle divine, cette flamme intérieure qui fait de chaque être humain un saint en devenir.
Dans le langage hermétique, c’est le passage de l’ombre à la lumière, du plomb à l’or spirituel, du moi à l’être.
C’est, au fond, le sens de toute voie initiatique : devenir ce que l’on est, selon le mot de Pindare.
Post-scriptum spirituel pour demain...
Le lendemain de la Toussaint, le 2 novembre, l’Église – comme d’ailleurs beaucoup de non-croyants - commémore les fidèles défunts.
C'est un des moments pour se souvenir de ceux qui sont partis et que nous aimons.
Là où la Toussaint célèbre la Lumière, le Jour des Morts invoque la compassion. Le souvenir. L'amour.
L’un et l’autre forment un diptyque de la vie et de la mort transfigurées.
En ce sens, la Toussaint ne parle pas seulement des saints d’hier, mais de l’espérance de chacun de nous : tenter de devenir des êtres de Lumière, Lumière parmi les lumières.
Jean-Laurent Turbet
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