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Le Blog des Spiritualités

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Le mal de vivre, pourquoi ?

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 21 Décembre 2005, 01:16am

Catégories : #Protestantisme

Vous trouverez ci dessous un très beau texte d' Alain Houziaux, pasteur de l'Eglise Réformée de l'Etoile, paru dans le dernier numéro de l'hebdomadaire "Réforme".

Vous pouvez également très utilement consulter le site de l'Eglise Réformée de l'Etoile , ainsi qu'un autre site où sont disponibles les textes des conférences données par Alain Houziaux.


« Tout est vanité », nous dit l’Ecclésiaste. Mais il ajoute : « sous le soleil ». Pour nous faire saisir que tout est vain, même le sentiment de vanité. C’est alors que le tragique de l’absurde se transfigure en gratuité joyeuse.

L’Ecclésiaste décline ce qu’il y a de plus profond dans le mal de vivre et la mélancolie, à savoir le « rien ne sert à rien ». Le mal de vivre, ce n’est pas être malheureux, c’est le sentiment de l’absurde. « Vanité des vanités et tout est vanité », c’est ce que dit le livre de l’Ecclésiaste. Tout est vain, inutile et absurde, même le bonheur. « Tout est vanité » signifie « tout est bulle de savon, feu de paille, vapeur vaporeuse ». Tout est inconsistant, tout disparaît, tout s’évapore, tout est passager, le bonheur comme le malheur. Et « tout est vanité » signifie aussi « au fond, tout nous est indifférent » ou, pour le dire plus crûment, « on se fout de tout ». Tout revient au même. On s’est demandé comment le livre de l’Ecclésiaste, avec un tel message, a pu être accepté dans le canon des Ecritures saintes du judaïsme et du christianisme. Au fond, ce message est peut-être le préalable à la compréhension de l’Evangile. D’ailleurs la plupart des conversions les plus radicales ont souvent été précédées par une conscience aiguë de l’absurdité de toute chose. C’est le cas en particulier pour saint Augustin et Pascal.

Notons aussi un autre point. S’il est vrai que le « vanité des vanités » est le refrain du livre, on y trouve également très fréquemment l’expression « sous le soleil ». Elle revient vingt-neuf fois. Vanité des vanités, et tout est vanité, mais c’est « sous le soleil ». L’Ecclésiaste nous conduit insensiblement du « vanité des vanités, tout est vanité » au « sous le soleil, tout est vanité ».

Il prend au sérieux le mal de vivre et le sentiment de la vanité. Il ne l’escamote pas. Bien au contraire, il prend appui sur lui pour faire découvrir la dimension du soleil et de la transcendance. Comment se fait cette évolution ? Celui qui dit « vanité des vanités » découvre qu’il y a aussi une forme de vanité du sentiment de vanité. Tout est vain, y compris le sentiment de vanité. Celui qui dit « tout est vanité » est lui-même pris à son propre piège et découvre que, sous le soleil, il y a une vanité de tout, y compris de la vanité.

La fête de Souccoth

C’est la référence au soleil éternel et somptueux qui conduit à un sentiment de petitesse, de relativité et de fugacité de toutes choses. Le soleil, c’est en quelque sorte le regard de Sirius qui voit avec quelque distance, quelque hauteur et quelque sourire, le sempiternel labeur des petites fourmis que sont les humains qui œuvrent en grignotant le temps, qui s’agitent, se prennent au sérieux, se disputent, s’impatientent et se croient le centre du monde.

La référence au soleil n’est d’abord rien d’autre qu’une explicitation du sentiment de vanité. Puis elle devient un éclairage et une lumière sur ce sentiment de la vanité. Enfin, la lumière du soleil devient l’objet premier de l’attention et du plaisir, et le sentiment de la vanité en devient la conséquence bienheureuse.

Dans la tradition juive, le livre de l’Ecclésiaste est lu lors de la fête de Souccoth. Souccoth, fête des cabanes, des huttes, des abris provisoires et fragiles. Chacun doit édifier sous le soleil puis sous les étoiles sa dérisoire hutte. Un fois par an, il faut abandonner toutes les possessions, tous les biens, toutes les sciences, toutes les sagesses, bref toutes les vanités et, pour toute une semaine, vivre sous une simple hutte. Et cette fête de la fragilité et de la précarité est aussi celle de la joie.

Le lendemain du dernier jour, on reprendra la vie quotidienne, et il faudra continuer à faire ce que l’on a à faire, comme si de rien n’était. « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le avec la force que tu as », mais sache que tout est soumis au jugement de la vanité (Ecclésiaste 9,10).

Quelle différence y a-t-il entre le « vanité des vanités » du mal de vivre et le « vanité des vanités sous le soleil » de l’Ecclésiaste ? Le « vanité des vanités sous le soleil », c’est l’absurde transfiguré en gratuité. La vie est alors vécue comme une absurdité gratuite, généreuse et festive. Le mal de vivre est introverti, l’absurde sous le soleil est extraverti, festif, dionysiaque. C’est l’une des formes du potlach. Et l’on peut passer de l’un à l’autre par un simple changement de regard.

Il suffit d’aimer la vie comme cela, sans raison, même si cela paraît absurde. Aimer sa dulcinée, sans savoir pourquoi. Travailler, semer et moissonner, sans savoir pourquoi. Partager et donner, sans savoir pourquoi. Oublier les offenses, sans savoir pourquoi. Mettre au monde des enfants, sans savoir pourquoi. Retrouver sa lune de miel à cinquante ans passés, sans savoir pourquoi. Raconter sa part de rêve à ses petits-enfants, sans savoir pourquoi. Et, enfin, quitter ce monde, sans savoir pourquoi, en disant seulement : « C’était bien. Amen et merci. »
Alain Houziaux est pasteur de la paroisse réformée de Paris-Etoile.


Les cinq caractéristiques du mal de vivre

Il y a d’abord une déficience biologique dans la production des deux principaux neurotransmetteurs, la sérotonine et la noradrénaline, et cette carence ralentit les fonctions cérébrales.

Le mal de vivre est ensuite constitué par une dévaluation de l’image de soi, un sentiment de dévalorisation dont l’origine peut être dans la petite enfance : le sentiment d’avoir été dévalorisé par ses parents, rejeté par ses amis, ses frères et sœurs, ce qui conduit à un sentiment d’insécurité.

Il se manifeste aussi par une carence d’énergie vitale, spécialement dans le domaine relationnel. C’est le sentiment de solitude qui peut être déterminant et celui-ci est indépendant du fait d’être effectivement seul ou non. L’expérience prouve que les mésententes dans les couples, bien loin de susciter des dépressions et des suicides, entretiennent plutôt un flux énergétique. D’après les travaux du neurologue Davidson, la dépression serait suscitée par une mauvaise communication entre les deux hémisphères cérébraux, c’est-à-dire par un déséquilibre entre la sensibilité et l’activité intellectuelle. Trop de sensibilité conduit à une forme de satiété et d’écœurement, et trop d’activité intellectuelle dessèche.

Le mal de vivre atteint les gens malheureux mais aussi les gens heureux ou plutôt ceux qui ont « tout pour être heureux ». On peut être jeune, beau, plein d’avenir et de succès en menant une vie heureuse et réussie, et néanmoins être tenté par le suicide. Le mal de vivre peut même être considéré comme un sous-produit de la civilisation du bonheur.

Pendant les périodes de guerre, de conflit et de combat, on se suicide beaucoup moins car on ne s’ennuie pas. Dans les camps de concentration, les prisonniers étaient incontestablement éprouvés mais ils n’éprouvaient pas le mal de vivre. Primo Levi ne s’est pas suicidé pendant qu’il était en camp de concentration mais après en être sorti.

Enfin, ce qui est déterminant dans le genèse du mal de vivre, c’est le sentiment de l’absurde et de l’absence de sens.


A.H.

Source : Réforme

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