Article d'anne Bénédicte Hoffner, vu sur le site de La Croix :
Si l'engagement politique est prôné avec constance par les Églises, les croyants passent souvent par le monde associatif et investissent encore peu les partis.
Protestant, Gilles Mirieu de Labarre croit à la «spiritualité de service». Il y a deux ans, doté déjà d’une solide expérience associative, il a fait acte de candidature au Centre d’action sociale protestant, qui emploie à Paris 240 salariés dans ses centres d’accueil pour personnes sans domicile ou demandeurs d’asile. Et il en est aujourd’hui le président.
«Le Casp est pour moi le moyen de concilier éthique de responsabilité et éthique de conviction. C’est le prolongement d’une réflexion personnelle et de ma foi.»
Si son engagement est « vraiment associatif », Gilles Mirieu de Labarre est bien conscient que le politique n’est jamais très loin. «Nous sommes financés à 97 % par les pouvoirs publics, nous travaillons avec eux. Et puis, nous proposons ce que j’appelle des innovations sociales, qui sont ensuite reprises par les politiques. En ce sens, nous avons une influence politique. » Si le Casp n’a pas, à lui tout seul de «stratégie de revendication», il lui arrive de surcroît d’interroger les élus au travers d’autres instances, la Fédération de l’entraide protestante, par exemple.
Ensemble souvent pour interpeller ensemble les élus
«Avec d’autres représentants des Églises, Jean-Arnold de Clermont, l’ancien président de la Fédération protestante de France, a aussi dénoncé la loi récente durcissant les conditions d’immigration», rappelle Gilles Mirieu de Labarrre.
Les croyants ont toujours largement investi le champ associatif, et donc, indirectement, le champ politique. Certains choisissent des structures d’origine confessionnelle : Secours catholique, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, Cimade (service œcuménique d’entraide), Fondation Armée du salut, Fonds social juif unifié…
D’autres optent pour des organisations sans lien avec les grandes religions. Mais, au-delà de ces clivages, les militants associatifs se retrouvent souvent pour interpeller ensemble les élus.
Début mars, le collectif Alerte, regroupant 37 associations de solidarité très diverses, a ainsi appelé les principaux candidats à l’élection présidentielle à préciser leurs engagements en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (lire La Croix du 13 mars).
Les chrétiens doivent « redevenir des militants »
Responsable de la communication de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, «un mouvement laïc soutenu par l’Église», Bruno Dardelet, 64 ans, en est d’ailleurs convaincu : les chrétiens doivent «redevenir des militants».
«Il faut qu’on réapprenne à interpeller les politiques, lance-t-il. Il faut aller les voir, leur envoyer des mails, les appeler, prendre rendez-vous. Et tant pis si ces méthodes dérangent.» Cet ancien adjoint au maire RPR (Alain Carignon) de Grenoble de 1983 à 1989 et ancien imprimeur est d’ailleurs l’un des auteurs de la pétition lancée par la Société de Saint-Vincent-de-Paul sur son site Internet et intitulée « Et les pauvres, monsieur ou madame le Président ? ».
C’est parfois directement à l’intérieur des partis que les croyants viennent défendre leurs valeurs. Avocat, membre de Socialisme et judaïsme, Patrick Klugman, 29 ans, est de ceux-là. Le vice-président de SOS Racisme relie en effet son engagement politique à «quelques thèmes auxquels il est très sensible» : le racisme et l’antisémitisme, la paix au Proche-Orient et la laïcité «car pour moi, elle est une garantie pour les croyants».
"Les chrétiens ne sont pas assez présents dans les partis"
C’est aussi à cause de «valeurs issues du corpus judéo-chrétien» qu’il a choisi son camp : celui du PS. Il vient d’ailleurs de prendre, avec d’autres, l’initiative d’une pétition (www.juifsdegauche.org) pour rappeler «la nécessité d’un débat» au sein de sa communauté. «Il m’est difficile de dire : en tant que juif, voilà pour qui je voterai. En revanche, ma foi me dit contre quoi je dois m’élever», résume-t-il.
(...)
"Une société qui ne soit dominée ni par l’État ni par l’argent"
Pour Franck Fregosi, responsable de l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence, l’islam français est lui aussi traversé par ce désir d’engagement. «Beaucoup, notamment chez les jeunes, se disent : “La religion est une part importante de notre identité.” Et finalement, elle favorise de leur part une citoyenneté plus active», constate-t-il.
Si certains sont partisans de l’affirmation identitaire – un groupe des «cathos de l’UMP» s’est créé –, d’autres, comme Dominique Baud, sont d’avis, au contraire, que les chrétiens doivent «se noyer au milieu des autres» pour mieux défendre leurs convictions.
Conseiller général du Nord, Denis Vinckier, 35 ans, défend la même ligne. S’il reste, en tant que chrétien, «rivé sur un objectif : construire une société qui ne soit dominée ni par l’État ni par l’argent», il juge ce combat plus efficacement mené par un François Bayrou à la tête d’une UDF «déconfessionnalisée» que par les anciens démocrates-chrétiens qui «plaçaient leur religion comme un étendard».
Pour ce jeune élu, l’engagement des chrétiens reste néanmoins souhaitable, parce qu’ils «ont une autre manière de faire de la politique» : ils sont ceux qui «ne sont pas là pour prendre». «En France, les partis ont tendance à s’approprier la liberté ou l’égalité, estime Denis Vinckier. Les chrétiens, eux, sont assez sensibles à la fraternité.»
Anne-Bénédicte HOFFNER
Commenter cet article