Article de Mati Ben-Avraham.
Le Père Emile Puech, dominicain, de l’Ecole biblique et d’archéologie de Jérusalem, directeur de recherches au CNRS, auteur de multiples publications, a abordé les manuscrits de la mer morte en tant qu’étudiant à Paris, puis en tant que chercheur depuis une bonne trentaine d’année.
C’est l’un des grands spécialistes mondiaux de la question essénienne. Ces temps derniers, entre autres activités, il a mis un point final à une formidable aventure scientifique, qui autorise une approche renouvelée du développement de ce courant du judaïsme d’avant la destruction du 2ème Temple.
Il s’agit de la restauration des « rouleaux de cuivre », dont le contenu a donné lieu à des interprétations des plus farfelues, à des recherches style Indiana Jones et j’en passe…
Ses travaux seront publiés sous peu, par une maison d’édition hollandaise, spécialiste de ce genre d’ouvrage. Il a réservé à « Israelvalley » la primeur de ses conclusions.
Mati Ben-Avraham : Père Puech, situez-nous la place de ce document, dans le contexte général des manuscrits découverts à Qumran, à l’extrémité nord de la mer morte.
Père Emile Puech : C’est un rouleau spécial et unique. Il a été découvert par le Père de Vaux et son équipe lors de l’exploration de la falaise, en mars 1952 – 8 kilomètres environ – dans l’une des grottes situées le plus au nord (en ce temps, cette partie de la mer morte et du désert de Judée étaient sous souveraineté jordanienne tout comme la partie oriental de Jérusalem où se trouve l’Ecole biblique et archéologique. MBA).
De cette grotte, il a été retiré deux rouleaux de cuivre, le plus petit en- dessous, le plus grand au-dessus. Ce qui signifie, à mon sens, que c’est celui qui l’a déposé est aussi celui qui l’a enroulé et, à mon sens encore, celui qui l’a gravé. Et quand il l’a roulé, les rivets de la première feuille, celle qui se trouve donc à l’intérieur, se sont cassés. Ce qui fait que nous avons deux rouleaux, mais qui n’en font qu’un.
L’emplacement où il a été trouvé est également important et il est heureux que ce fut des archéologues et non pas des bédouins. Il était déposé au fond de la grotte, dont l’entrée s’est écroulée, et derrière laquelle ont été trouvés des débris de jarres et des restes de cuivre. Ce qui me fait dire que le rouleau appartient aux même groupe de documents.
Aussi, il est inimaginable que des gens soient entrés dans la grotte, au plafond bas, à l’entrée écroulée pour aller cacher ce rouleau au fond. Ce qui est très important dans la mesure où des personnes ont voulu dissocier le rouleau du reste, pour en faire une liste de trésors cachés se rapportant au Temple de Jérusalem.
Ceci ne tient pas debout, vu comment ce rouleau a été trouvé.
MBA : Mais voilà, ce rouleau a été trouvé en piètre état !
Père Emile Puech : Oui, c’est du cuivre mais, somme toute, il ne s’est pas si mal comporté en 2000 ans. Ceux qui l’avaient conçu estimaient, et à juste raison, que ce support perdurerait mieux que le cuir ou le papyrus. Mais le cuivre a aussi son temps de vie. Il n’est pas éternel. Et le temps a passé.
Selon les spécialistes des métaux, il ne reste plus que de l’oxyde de cuivre, qui est un métal instable. Si bien que, maintenant, on dirait que c’est du papier cigarette que l’on touche. C’est très, très, très léger. Alors, quand le père de Vaux a trouvé ce rouleau, il a été impossible de l’ouvrir. Il a lancé une demande de conseils, une enquête pour savoir comment procéder pour pouvoir lire le texte gravé. Beaucoup de personnes ont répondu. Des réponses assez farfelues. Comme celle d’un rabbin d’Europe ou des Etats-Unis, je ne me rappelle plus, qui conseillait de le tremper dans de l’huile bouillante pour l’adoucir, l’assouplir… Le seul qui a présenté un projet raisonnable était un anglais, le professeur Bekker de Manchester.
Il avait conçu une machine avec des bras articulés, comme chez les dentistes, et une petite scie. L’idée a été acceptée. Le rouleau a été découpé, par segment de ¾ de circonférence, à peu près, en passant entre les colonnes pour endommager le moins possible les lettres. Le déchiffrement était difficile, car il était impossible de prendre des photos valables. En l’absence d’une surface plate, vous focalisez sur une partie, et le reste est soit en dehors de l’objectif, soit déformé. Le tournant est intervenu au début des années 1990.
L’Electricité de France (EDF) a été sollicitée par le Musée d’Amman où le rouleau reposait sous verre depuis son retour de Manchester. EDF, il faut le savoir, est spécialiste à la fois de la pierre et du cuivre : la pierre en raison de la construction des barrages, le cuivre qui est un excellent conducteur d’électricité. Une équipe de la société française travaillait alors à Petra, pour une tentative de sauver le site, attaqué par un excès de salinité et d’autres choses. 40 ans après sa découverte par le père de Vaux, en 1993, le précieux rouleau a été emporté à Paris. Avant de commencer quoi que ce soit, ce qui était très astucieux, les spécialistes ont procédé à un état du document.
Ils ont, entre autres, réalisé des radiographies, comme pour le corps humain. Et quand j’ai vu ces photos, j’ai été estomaqué par le résultat obtenu. Je n’avais jamais vu des photos aussi claires, aussi belles. Extraordinaire. C’est alors que j’ai été appelé été à me joindre à l’équipe en raison de mes compétences propres. J’ai donc travaillé sur ces radiographies. Puis, il m’a été demandé de faire un relevé graphique à partir de ces photos.
J’ai répondu : impossible ! Les bords étaient, en effet, déformés et je ne pouvais m’amuser à progresser millimètre par millimètre. Je leur ai dit d’effectuer un moulage. Impossible ! m’a-t-on rétorqué. Trop fragile ! En fait, l’équipe n’a pas baissé les bras. Elle a cherché des solutions.
Elle y a mis le temps, mais finalement les spécialistes ont abouti à un produit qui ne soit pas oxydant, destructeur pour la surface, très léger, très fluide pour épouser toutes les aspérités de la surface et très souple pour s’enlever et être mis à plat. A partir de là, ils ont fait des répliques en plâtre, un support neutre, passé ensuite dans un bain spécial de cuivre pour, à l’arrivée, obtenir des plaques plates, répliques exactes de la surface première.
Un rouleau de 2m30 de long. Chapeau aux techniciens d’EDF. Cette recherche va être profitable A partir de là, je crois que EDF est en mesure de proposer diverses solutions de restauration aux Musées, au cas par cas. Moi, j’ai été ahuri par le résultat. A partir de là, il m’a été possible d’exécuter un dessin, qui a été fort utile pour le déchiffrement.
MBA : Parlons-en de ce déchiffrement…
Père Emile Puech : En fait, je n’avais pas attendu la réplique pour commencer mon travail de déchiffrement, d’annotations. Je me suis appuyé sur les radiographies. Ce n’est que vers la fin que j’ai pu bénéficier de la réplique. Ce qui m’a permis de revoir certains passages, d’opérer des mises au point.
Alors, c’est un texte très particulier que celui-ci. Vous avez une liste d’indications : à tel endroit, sous la pierre, à tant de coudées, telle chose…C’est un texte très stéréotypé. Il n’y a pas de phrases fluides. Ma difficulté était de savoir comment localiser les lieux en question. Il n’y a jamais la mention de Jérusalem.
Je pense qu’il est question du Temple, mais sans le dire. Et puis, il y a des mots, des noms, des choses. Tel arbre. Telle maison. Tel canal. On n’a pas le cadastre de l’époque. C’est très difficile, donc. Je suppose qu’un lieu est Jéricho, un autre Siloé, le Cédron. Sokoka revient plusieurs fois, qui est pour moi l’ancien nom de Qumran. Ce que je crois avoir résolu, c’est que j’ai en mains une liste double.
Les 15 ou 16 premières entrées mènent quelque part depuis le Jourdain, on tourne autour de Jéricho et on monte vers Jérusalem, au sud et à l’est de la ville. J’ai sept fois trois lettres en grec, à la fin du livre. Je pense que ce sont des abréviations de noms propres de gens responsables de secteurs, de groupes, de caches. De là à la 60ème entrée, il n’y a plus ce genre d’indication.
Il me semble que l’on revient à nouveau dans le même secteur, en gros autour de Jéricho pour revenir à Qumran, vers le barrage et l’on remonte le Cédron pour arriver aux alentours de Bethléem et de Jérusalem. A mon avis, il s’agit d’une autre liste de cachettes, placées directement sous la responsabilité de la communauté elle-même. A la fin, dans les trois dernières lignes, il est fait état de copies, probablement en cuir ou papyrus, déposées à l’entrée du tombeau… Et voilà !
L’hypothèse est que le rédacteur a effectué une copie en cuivre d’originaux en cuir ou papyrus, moins détaillée, de manière à ce que après X temps, on puisse au moins retrouver un rouleau de cuivre pour retrouver les choses cachées ailleurs, que les gens devaient connaître mais que maintenant nous ne connaissons plus.
MBA : Le contenu de ces caches.
Père Emile Puech : De tout : des rouleaux qu’il ne faut pas abîmer, des objets, des habits, de la monnaie, en or, en argent. C’est laconique. Dans le pigeonnier X, dans le séchoir Y près de Jéricho, tel canal à tant de distance…Absolument impossible à localiser. Alors, d’aucun phantasme sur le contenu de ces caches. De l’or. De l’argent. Le trésor du Temple. Il ne faut pas rêver.
Pour moi, l’intéressant – je le dit dans ma conclusion du livre à paraître- c’est, dans la mesure où l’on peut définir cette topographie qui nous échappe, c’est de retrouver la géographie de l’implantation du mouvement essénien, soit dépendant directement de la communauté, soit d’obédience essénienne, c’est-à-dire ceux qui se reconnaissaient davantage dans ce courant que dans celui des pharisiens ou des sadduciens. On les retrouve, en gros, autour de Jéricho, Bethléem, Tekoa, Jérusalem. Rien à l’ouest !
Trois autres sites : Har Guerizim – qui peut-être celui que l’on connaît, mais il y a aussi un Har Guerizim, à l’époque plus tardive, à l’ouest de Jéricho ; Beit Sheam, avec un M et non un N mais je pense que c’est bien Beit Shean ; et il y a Bezek, que je localise entre le Guerizim et Beit Shean. Rien en Galilée. Rien sur le Golan. Rien en Jordanie. Pour moi, c’est une révélation intéressante car, jusqu’ici, il était fait une lecture factice, après coup, qui ne présentait aucun intérêt historique. Chacun tirait la couverture à soi, pour justifier son interprétation. Je crois être assez proche de la réalité historique. J’attends les critiques qui ne manqueront pas.
MBA : Dernière question, père Puech : quelle est, aujourd’hui, votre hypothèse quant aux origine et développement du courant essénien, de ce Maître de justice, de l’approche religieuse qui le distinguait des pharisiens et des sadduciens ?
Père Emile Puech : Pour moi, le mot essénien qui vient, en français, du latin esseni et du grec essenoï, est la traduction du mot hébreu Hassid, en araméen Hassin, au pluriel Hassiyah, d’où essenoï. C’est le courant religieux traditionnel du judaisme ancien, de l’époque perse et du début de l’hellénisme. C’est le courant orthodoxe. Simon le Juste était un représentant de ce courant. Vous savez qu’à un moment, le grand prêtre Onias III est parti en mission auprès du roi seleucide. Son frère, Jason, pro-grec, en a profité pour prendre le pouvoir. Il a été assassiné trois ans plus tard par son cousin, Menelas, pro-helléniste également. A la mort de Menelas, c’est Alcime qui lui succède. Il meurt en 159. De là jusqu’en 152, il n’y a pas de grand prêtre, officiant au Temple de Jérusalem. Puis arrive Jonathan Maccabée. Il n’était pas, tout comme Menelas, de la lignée des grands prêtres. A mon avis, le fils de Onias III, dont on n’a pas le nom, n’était pas en âge d’être grand prêtre en 159, mais l’étant à la mort d’Alcime et il a été nommé grand prêtre. Les hassidim ont combattu aux côtés des Maccabées pour éliminer l’hellenisme. Seulement, à la mort de Judas Maccabée, son frère Jonathan, qui avait la haute main sur l’administration civile, également stratège, a pris le relais. Il avait la charge de restaurer Jérusalem, mais aussi de continuer la guerre. Il a engagé des mercenaires. Il lui fallait donc des sous. C’est ce qui lui manquait le plus. Et où trouver de l’argent, sinon dans la banque de l’époque : le Temple. Le grand prêtre, dont on ignore le nom mais je crois qu’il s’agit de Simon, a répondu: “non, pas question. Cet argent est sacré, il est interdit de le détourner.” Jonathan s’est incliné, mais il a fait alliance avec les séleucides qu’il combattait peu de temps auparavant pour chasser le grand prêtre et se nommer lui-même grand prêtre légitime. ” Simon ” est parti,a fui Jérusalem, suivi des prêtres fidèles à la lignée Tzadok, emportant selon toute vraisemblance des rouleaux de la bibliothèque du Temple, des ustensiles cultuels, des habits sacerdotaux afin de pouvoir le culte authentique après leur retour car, entre-temps, ce coquin de Jonathan avait adopté le calendrier solaire et, par conséquent, avait bouleversé le calendrier liturgique.
Le grand prêtre légitime, que je nomme Simon, s’est établi dans le désert avec les siens, convaincu que Dieu fera périr ce faux prêtre de Jonathan. Celui-ci est bien mort en 143 de manière peu brillante. Mais c’est son frère qui a pris le pouvoir. Le retour a donc été bloqué. Et comme Simon n’était plus très jeune, il a perdu tout espoir de retrouver sa fonction, à Jérusalem. A ce moment là, à mon avis, le groupe de Qumran s’est organisé, a pris ses dispositions pour pallier aux sacrifices sanglants par une autre forme. Ce fut la louange. Et puis, quand on est isolé, on se met à édicter des règles d’organisation, de plus en plus strictes, pour éviter toute déviance. C’est ainsi, à mon sens, que s’est constituée la communauté, formée de célibataires, à Qumran. Parce que le groupe de prêtres et de lévites, de service une semaine au Temple, devait observer un état de pureté cultuel, les femmes étant à la maison.
Quittant Jérusalem, ils ont appliqué cette pureté au sein de leur communauté, sorte de substitut du Temple et pour aussi, partir en guerre en état de pureté rituelle, pour que Dieu leur accorde la victoire. Voici deux motifs de célibat temporaire, dans l’attente du retour à Jérusalem pour y rétablir le culte, selon leur conception du judaïsme authentique. Le groupe a également développé une eschatologie propre, avec l’intervention successive des deux messies, calculs à l’appui, selon leur calendrier propre. Après la mort de Simon, ils ont vécu dans cette attente du messie. Mais sans composer de noux textes. Ils se sont contentés de copier et recopier ceux élaborés du temps de Simon. Et cela jusqu’en 68 de notre ère.
A l’approche de la 10ème Légion, qui a pris Beit Shean et Jéricho, les esséniens de Qumran se sont dépêchés de cacher leurs documents dans les grottes, en vrac comme dans la grotte 4 entre autres. Ils se sont dispersés. Quelques uns ont gagné Massada. A ce moment, a été gravé le rouleau de cuivre qui résume les caches principales. Je vois cela comme ça. Cela me paraît logique.
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