Vu sur le site du quotidien suisse "Le Courrier" :
PORTRAIT - Malek Chebel était de passage à Genève, mercredi, invité par le Musée de la Réforme. Rencontre avec cet avocat de l'islam des Lumières.
Pour quelqu'un qui se situe «entre Calvin et Luther», Malek Chebel n'a rien d'austère. Ce serait un comble pour ce spécialiste de la sexualité en islam, auteur du récent Kama-Sutra arabe.[1] Chaleureux, il nous retrouve dans le hall d'un hôtel genevois.
Si ce musulman se compare aux grandes figures du protestantisme, ce n'est pas seulement parce qu'il est venu de Paris, mercredi, pour donner une conférence au Musée de la Réforme.
Mais parce que, comme ces théologiens statufiés, il se veut un réformateur de sa religion. Cet Algérien né en 1953 fait partie des «nouveaux penseurs» musulmans, qui travaillent à revivifier les lumières de l'islam. Humaniste en quête de sens religieux, Malek Chebel revisite les textes avec les lunettes de la modernité, de la laïcité, de la liberté de conscience.
On ignore s'il rêve d'avoir un jour sa statue. Mais un auteur –mystère sur son nom– écrira bientôt sa biographie, annonce-t-il. C'est que l'homme savoure son succès. Son prénom, qui signifie «roi» en arabe, le prédestinait peut-être à régner en bonne place sur la scène intellectuelle de l'islam européen. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, il est en tout cas devenu incontournable sur les plateaux télés. A chaque crise, «des journalistes du monde entier» l'assaillent par dizaines sur son portable, souligne-t-il sans fausse modestie.
Combat de coqs
Comme tout roi, il désigne ses adversaires. Intellectuels, s'entend: l'un d'eux s'étale justement en une d'un gratuit posé sur la table. Mercredi, Tariq Ramadan était le «rédacteur en chef d'un jour» du Matin Bleu. «Moi, je travaille pour un islam des Lumières, pour tous, réagit Malek Chebel. Lui oeuvre pour sa propre paroisse. Mais je note qu'il a mis de l'eau dans son vin et adopte toujours plus mon discours.» Ce combat de coqs ne doit pas faire oublier que l'universitaire algérien est bardé de diplômes.
Quatre fois docteur –en anthropologie, en psychopathologie clinique et psychanalyse, en histoire des religions et en sciences politiques–, Malek Chebel est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages. «J'en prépare déjà un pour 2008.» L'anticipation et le flair ont été la clé de sa réussite, analyse-t-il. Il travaille sur l'islam depuis trente ans. «J'ai tout de suite compris qu'il faudrait compter avec cette religion, et que les gens reviendraient vers la morale et le conservatisme.» Si les attentats de New York l'ont propulsé sous les feux des projecteurs, l'intellectuel Malek Chebel n'est pas né ce jour-là, insiste-t-il.
Le fruit défendu
Et c'est vrai: son best-seller l'Encyclopédie de l'Amour en Islam (Payot, 1995) a intégré notre bibliothèque dès l'année de sa parution. Le corps en islam est en effet le point de départ de la réflexion de Malek Chebel. Dans son travail, il a exhumé la richesse de la littérature érotique musulmane pour montrer que la civilisation islamique a valorisé le corps et le sexe avant que les bigots et les intégristes ne le briment.
Auteur d'une thèse sur «le tabou de la virginité au Maghreb», l'étudiant en psychologie a découvert son sujet d'étude lors d'un stage à l'hôpital de Skikda. Une gynécologue russe lui montre alors sans détour comment il doit opérer face à une patiente: «Le touché vaginal se fait comme ça, m'a-t-elle montré», raconte Malek Chebel en joignant le geste à la parole.
Depuis, il n'a plus lâché le fruit défendu. Antimacho, ouvert à la cause homo, il se qualifie même de féministe. On lui demande si, père de trois enfants, il est un époux moderne, qui partage les tâches domestiques. «Quand j'ai passé deux heures devant l'ordinateur, j'apprécie les tâches manuelles.» Il ajoute: «J'ai toujours aimé être autonome, je me suis marié tard.» De là à se transformer en fée du logis...
De père à fils
L'intellectuel est en tous cas un paternel libéral: mardi, il se baladait sur les Champs-Elysées avec son aîné, 13 ans, pour évoquer une histoire de préservatif confisqué six mois plus tôt: «Beaucoup de filles tournent autour de toi», lui fait-il remarquer avant d'autoriser le condom. Et de rappeler au fiston que, pour toute question relative à la sexualité, il dispose à la maison d'une tonne d'ouvrages et «du» spécialiste en la matière.
Et dire que le petit Malek aurait pu finir simple docker ou marin si l'école ne l'avait sorti des difficultés de son enfance. Lesquelles? Notre Sinbad en costard cravate reste allusif, réservant le croustillant pour sa future biographie.
Tout juste apprendra-t-on qu'issu d'un milieu pieux, le garçon n'a pas fréquenté l'école avant 9 ans. Il a cet âge quand survient l'indépendance de l'Algérie. On devine des origines modestes quand il évoque les «privilèges sociaux plus importants» de ses camarades de lycée. Détail révélateur: tandis qu'ils jouaient au foot, lui s'éclatait en labo de physique.
En 1980, il obtient une bourse et découvre une France où il se sent bien. A cette époque, «le pays avait refoulé le traumatisme algérien, c'est pourquoi les Algériens y souffraient moins de discriminations qu'aujourd'hui», soutient-il. Un message adressé au prochain président? Au fait, malek Chebel est-il plutôt Royal ou Sarko? «Je suis républicain.»I
Note : [1]Notre édition du 3 juin.
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