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Jean de Coras, grand jurisconsulte et professeur de droit du XVIème siècle, est surtout connu pour son récit de l’affaire Martin Guerre. C’était un huguenot zélé, qui figure parmi les victimes de la Saint-Barthélemy toulousaine.
4 octobre 1572, à peine plus d’un mois après le massacre des réformés parisiens. Des hommes armés de couteaux et de haches pénètrent de force dans la conciergerie du palais de justice de Toulouse. Ils y assassinent quelque 300 prisonniers, tous protestants, un à un, après les avoir appelés par leur nom. Parmi eux, Jean de Coras, un des plus grands juristes de son temps.
Le professeur de droit
Jean de Coras serait né à Réalmont, dans l’actuel département du Tarn, le 3 décembre 1515. C’est du moins ce qu’affirme son petit-fils et biographe, Jacques de Coras. Car le grand professeur de droit se présente lui-même dans un de ses livres comme natif de Toulouse. Il est vrai qu’il est arrivé très jeune dans la Ville rose où il a passé une bonne partie de sa vie. Il y étudie le droit civil « presque dès le berceau » et à treize ans à peine, il y aurait donné ses premiers cours magistraux. Jean de Coras quitte une première fois Toulouse, vers l’âge de 18 ans, pour approfondir ses connaissances dans les universités d’Angers, Orléans et Paris. Ensuite, il se rend à Padoue, puis à Sienne, « attiré par la réputation des Italiens » et « voulant étancher auprès d’eux sa soif prolongée » de savoir. Docteur en droit à 20 ans à peine, il rentre à Toulouse où il est nommé régent de droit civil. Il y acquiert semble-t-il une renommée considérable. Mais quelques années après, en 1540, son école est incendiée au cours d’une émeute. Coras quitte de nouveau Toulouse en 1544, pour enseigner à Valence. Engagé par le duc de Ferrare, Hercule d’Este, qui lui offre un salaire des plus alléchants, il retourne en Italie. Mais en 1552, suite au décès de son épouse, il rentre définitivement à Toulouse.
La conversion de Coras
Au cours de ce début de carrière aussi mouvementé que glorieux, Coras a côtoyé les grands esprits et les « idées nouvelles » de son temps. Les élites intellectuelles du XVIème siècle, sont très soucieuses du salut de leur âme. Elles sont très sensibles au vent de renouveau insufflé au christianisme par les humanistes, puis par Luther. Est-ce à l’université de Toulouse, au contact de professeurs tels que Boyssonné, jugé pour hérésie en 1532, que Jean de Coras adhère au protestantisme ? Ou bien lors de ses séjours à Valence et à Ferrare où la Réforme était prêchée avec ardeur ? Difficile de retracer le cheminement spirituel de Coras, les indices étant peu nombreux. D’autant que dans les premières années de la Réforme française, il est bien souvent impossible de distinguer les « sectateurs de Luther et Calvin », des catholiques pratiquant la lecture et la méditation des Ecritures. Est-ce en calviniste convaincu que Coras fait son entrée au parlement de Toulouse, le 4 février 1553 ? Rien de moins sûr, même si certains érudits affirment qu’il s’est converti en 1548. Un indice semble suggérer qu’en 1553, il ne soit pas encore gagné aux idées de la Réforme : lors de son introduction au parlement, il prête serment la « main levée vers la passion figurée de notre Seigneur Jésus-Christ », c’est-à-dire probablement en direction d’un crucifix. Curieux, de la part d’un nouveau converti à l’iconoclasme calviniste ! D’ailleurs, le très catholique Henri II aurait-il nommé un huguenot en sa cour souveraine de Toulouse sans s’enquérir soigneusement de son orthodoxie religieuse ? Très improbable... En 1557, un de ses écrits prouve la catholicité de Coras : « Le seul consentement des parties et non point le lit, ou attouchement charnel, fait le mariage, affirme-t-il dans un traité de droit familial. Ce qu’est très véritable : car autrement entre la glorieuse vierge Marie, et saint Joseph, n’y eut eu vrai mariage : partant que cette très sacrée Dame persévéra en perpétuelle virginité qu’elle avait vouée. » A-t-on déjà entendu un protestant tenir pareil discours ?
Jean de Coras, préfère s’engager au sein de l'église réformée où il trouve une foi vivante.
C’est plutôt dans les années 1558-1561, qui marquent l’apogée de l’Eglise réformée de Toulouse, que le grand juriste rejoint le camp calviniste. A l’aube des premières guerres de religion, il est difficile de rester neutre. Jean de Coras, en homme éclairé de la Renaissance, préfère s’engager au sein d’une Eglise moderne. Il y trouve une foi plus vivante que celle de la religion catholique romaine, sourde aux demandes de réforme de ses contemporains. La participation de Coras à la première guerre civile (1562), se fera au sein du parti protestant.
Le calviniste engagé
Les dernières années de paix lui laissent un peu de répit pour se consacrer à l’écriture. Il instruit en 1560 avec beaucoup de perspicacité, l’étrange affaire Martin Guerre, dont il rédige le récit. Mais avec le début des conflits, il abandonne sa plume afin de militer pour la Réforme. Il participe activement au soulèvement protestant de 1562 et figure parmi les huguenots toulousains poursuivis. Jean de Coras est l’une des victimes de l’autoépuration du parlement : sur 74 membres de la cour, 30 sont interdits. Tous ces proscrits ne sont pas protestants. Certains sont des catholiques modérés sensibles aux idées réformées. Coras n’est pas de ceux-là : un témoin oculaire des événements le désigne explicitement comme « le ministre de la cour », c’est-à-dire le pasteur des parlementaires toulousains ! Et le grand juriste ne s’en sort que grâce à l’intervention du gouverneur du Languedoc, qui aurait eu « grand peine à le sauver d’entre les mains du peuple » (catholique.) Coras, véritable missionnaire de la Réforme auprès de ses collègues, évite de justesse le lynchage... Peut-être les 29 autres parlementaires - poursuivis par leur propre cour - avaient-ils écouté d’une oreille trop attentive les sermons du « ministre » Coras ?
Le conseiller calviniste n’en reste pas là. S’appuyant sur de bonnes relations avec la monarchie, il s’efforce d’obtenir sa réintégration et celle de ses pairs huguenots au sein du parlement de Toulouse. Le 22 octobre 1562, il présente aux parlementaires toulousains des lettres patentes qu’il a reçues du roi, qui mettent un terme à la poursuite des protestants. La cour souveraine résiste. Coras doit revenir à la charge avec une seconde déclaration du roi Charles IX, datée du 9 novembre 1562, confirmant l’amnistie des huguenots rebelles. Le parlement de Toulouse poursuit son bras de fer avec la monarchie : le 10 mai 1563, elle impose à ses membres une profession de foi excluant tout compromis avec les doctrines calvinistes. Le chrétien réformé Coras ne peut et ne veut s’y soumettre. Il n’est rétabli dans son office qu’en août 1563, mais s’en avoir à faire profession de foi. Un arrêt du Conseil du roi est adressé au parlement de Toulouse, cassant les procédures faites à l’encontre des parlementaires interdits. La cour toulousaine réagit en envoyant des remontrances au roi... en vain. L’opiniâtreté de Coras a payé.
Le conseiller calviniste compte d’autres ennemis, hors du parlement. L’évêque d’Albi, le cardinal Strozzi, excommunie Coras en 1565. Curieux geste de ce prélat : l’excommunication n’est-elle pas une prérogative de l’évêque de Rome ? Ne s’adresse-t-elle pas aux seuls catholiques ? Coras n’en a cure, lui qui est un hérétique convaincu et fier de l’être, depuis au moins trois ans. Ce qui n’empêche pas la monarchie de voler au secours de son brillant conseiller. Par lettres royales du 18 mars 1566, elle casse la condamnation du cardinal Strozzi comme « faite par personne non ayant puissance. »
Les dernières années de Coras
Les six années qui suivent - les dernières de la vie de Coras - sont extrêmement mouvementées. Aux alentours de 1567, Jean de Coras cumule les fonctions de conseiller au parlement de Toulouse et celle de chancelier de la très huguenote reine de Navarre, Jeanne d’Albret : c’est en tant que chancelier de Navarre qu’il participe à la défense de la Rochelle, refuge des huguenots rebelles. Il y demeure plusieurs mois, en 1568-1569. Vers 1570, il est également « Intendant de la justice et finances de Messeigneurs les Princes (protestants).»
Son engagement au sein du camp réformé laissait-il à Coras la possibilité de se consacrer à sa charge de conseiller au parlement de Toulouse ? Sa correspondance trahit son tiraillement entre le service du roi de France et celui de la reine de Navarre, donc du parti protestant. La très catholique cour de justice toulousaine ne peut le lui pardonner. Elle ne cesse de tracasser son conseiller calviniste et le condamne en 1570 à la confiscation de ses biens. Puis le 14 mai 1572, le roi doit intervenir par lettre patentes : le parlement de Toulouse, par décision inscrite sur un registre secret, refusait à Coras et à ses pairs huguenots de participer aux procès entre catholiques. Nous sommes à quelques mois de la Saint-Barthélemy. La monarchie se veut encore conciliante envers les calvinistes.
Jean de Coras, aux dires mêmes de sa seconde épouse, compte à cette époque bien peu d’amis à Toulouse. Les parlementaires catholiques n’ont guère de sympathie pour lui. Pas plus que les magistrats municipaux, les capitouls, qu’il a souvent critiqués dans ses écrits. Pourtant, Coras, qui se trouve à Réalmont depuis la fin de la troisième guerre de religion (1570), décide de revenir à Toulouse. Le climat de sécurité apparente qui suit la paix de Saint-Germain et les sollicitations de son fils Jacques l’incitent à rentrer.
La Saint-Barthélemy toulousaine
Dans les jours qui suivent le 24 août 1572, la nouvelle de la Saint-Barthélemy parisienne se répand en Province. A Toulouse, le gouverneur du Languedoc, le duc de Joyeuse s’est engagé à respecter l’édit de paix. Pourtant, dès le 4 septembre, environ 300 huguenots sont emprisonnés par ordre du parlement et des capitouls. Parmi eux se trouvent Jean de Coras et deux autres parlementaires protestants, François de Ferrière et Antoine de Lacger. Un notable est envoyé à Paris pour s’enquérir des intentions du roi. Le premier président du parlement toulousain fait savoir par écrit à Charles IX l’emprisonnement des calvinistes dans la conciergerie. Dans les semaines qui suivent, les prisonniers sont interrogés. Le 23 septembre, Coras, Ferrière et Lacger comparaissent une première fois devant les « commissaires députés par la cour. » Mais les trois conseillers refusent de répondre aux accusations qui pèsent sur eux : des documents compromettants qu’ils auraient produits ont été saisis. Auraient-ils conspiré contre leur ville, comme le pense un érudit du XVIIème siècle ?
Le 27, ils sont admonestés par la cour de répondre à leurs interrogateurs. Aucun arrêt de condamnation à l’encontre de Coras et de ses coreligionnaires n’a été retrouvé dans les archives du parlement. Le 27 septembre, la procédure vient à peine de commencer pour les trois conseillers, qui sont exécutés ou plutôt assassinés le 4 octobre. C’est bien d’un assassinat dont il s’agit. Il est le fait d’une bande de catholiques fanatisés, conduite par un riche marchand toulousain, Pierre Delpuech, soi-disant porteur d’un ordre du roi. Delpuech était capitoul en... 1562 : sans doute s’agit-il d’une vengeance, patiemment ruminée depuis la première guerre de religion et le soulèvement des huguenots toulousains. Coras s’en était alors sorti de justesse. Il n’a pas eu cette chance dix ans après. Lâchement assassiné dans sa cellule, il est pendu avec ses deux amis au grand orme du parlement en tenue de conseiller. Homme de loi « dès le berceau », il l’est resté jusque dans ses derniers instants.
Par Thierry Hernando.
Illustrations: Calvin, Jeanne d'Albret.
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