Chaque année, une vingtaine d'hommes et de femmes choisissent cette voie dans l'une des Églises du protestantisme historique français. Rencontre avec ces nouveaux pasteurs
A l’éternelle question : « Vous faites quoi, dans la vie ? », ils suscitent en général la curiosité et un brin de perplexité… Ils – et elles – ont choisi la «profession pasteur». Chaque année, une vingtaine d’hommes et de femmes décident ainsi de devenir ministres dans l’Église réformée de France (ERF), l’Église évangélique luthérienne de France (Eelf) ou les Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (Epal), héritières des branches historiques de la Réforme du XVIe siècle.
Un chiffre, stable depuis dix ans, qui permet de couvrir globalement les départs et les prises de retraite. Parmi ces nouveaux pasteurs règne un subtil équilibre : autant d’hommes que de femmes, autant de « jeunes » vocations que de candidats se tournant vers le pastorat la quarantaine passée, après un parcours professionnel consistant.
Jean-Christophe Perrin est de ces derniers. Marié, père d’une fille de 25 ans, cet homme de 50 ans est aujourd’hui pasteur « proposant » à Dreux (Eure-et-Loir). Il a d’abord, pendant dix ans, enseigné la religion au Canada, avant de choisir de devenir pasteur au sein de l’ERF.
Une démarche de foi
« Je voulais vivre vis-à-vis des gens un autre rapport que d’autorité, et une relation basée sur une démarche de foi plus que sur une démarche pédagogique », explique-t-il. C’est en faisant du bénévolat dans des « œuvres de charité catholiques » qu’il a découvert son désir d’être pasteur : « J’ai vu la relation que les prêtres catholiques pouvaient avoir avec les plus démunis. J’ai eu envie de vivre ce lien fort, parlant, être porteur d’un message d’espoir… sans chercher à évangéliser les foules ! »
Pour d’autres, la vocation est venue plus tôt. Marianne Guéroult, 28 ans, pasteure proposante à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), a pris cette décision deux ans après son bac. Très engagée dans la communauté luthérienne depuis son enfance, elle a sauté le pas, « pour servir l’Église de cette manière, et parce que Dieu avait une place importante dans ma vie ».
Pour tous, le parcours sera le même, jusqu’au « culte de reconnaissance » qui marque l’admission solennelle dans le pastorat. D’abord, une solide formation théologique : cinq années d’études, validées par un master dans l’une des facultés protestantes de théologie de l’Hexagone (Paris, Montpellier, Strasbourg…). Puis deux années de « proposanat », où le candidat vit toute la dimension du ministère, sans être encore officiellement reconnu pasteur.
Discernement dans le temps
Au cours de ce long parcours, le futur pasteur est suivi par la « commission des ministères » de la Fédération protestante de France (FPF). C’est elle qui accompagne les vocations. Ce discernement se fait dans le temps, par une série de rencontres. « La commission est attentive à trois dimensions, explique Christian Baccuet, son actuel président.
Première attention, la dimension de foi : nous attendons des pasteurs qu’ils soient des témoins. Deuxième attention, une capacité théologique, validée par un parcours académique. Le futur pasteur doit être capable de parler en “je”, de dire et de questionner le sens des choses. »
Dans les Églises protestantes, cette capacité à mettre la foi en perspective théologique demeure la spécificité du pasteur qui reste, même une fois ordonné, laïc parmi les laïcs. Troisième attention, « la dimension relationnelle et la capacité du futur pasteur à travailler en équipe ».
« On ne cherche pas des personnes idéales, précise toutefois Christian Baccuet, mais une circulation entre convictions personnelles, capacité théologique et insertion relationnelle. Une solidité et, en même temps, une capacité d’évoluer et de bouger dans le temps. »
"Leur" pasteure
Au cours des deux ans de proposanat, le pasteur peut se frotter à la réalité de la vie quotidienne en paroisse : prédication, baptêmes, mariages, funérailles, catéchèse et visites pastorales, relations avec le maire, avec les autres Églises… C’est une période de découverte.« J’ai appris à être regardée comme pasteure, souligne Marianne Guéroult. Les premiers temps, je me centrais sur les tâches à accomplir. Je revendiquais d’être moi, et de ne pas être changée par la fonction. Puis, grâce à la confiance de mes paroissiens, leurs confidences et leur manière de me présenter aux autres, je me suis sentie petit à petit devenir “leur” pasteure. J’ai senti une transformation qui a touché à mon être. »
Jean-Christophe Perrin reste impressionné par le tragique de l’existence humaine, approché au fil des premières visites pastorales. « J’ai été surpris de découvrir qu’il y a un drame dans chaque famille : un enfant décédé, un autre dont on est sans nouvelles depuis des années, des couples qui vont mal…
Ce n’est pas toujours quelque chose qui empêche de vivre, mais cela fait souffrir. » Le nouveau pasteur apprécie sa mission d’accompagnement et de fraternité : « On attend souvent beaucoup – parfois trop – du pasteur, mais je suis toujours très content quand je sors d’une visite. Il y a, dans ces échanges, quelque chose de très humain, de très touchant.»
Un temps d'ajustement
Les premiers mois en paroisse sont aussi, pour les pasteurs, un temps d’ajustement. Après un parcours spirituel et théologique souvent très personnel, il faut apprendre à faire avec d’autres. « Il y a tout un temps de découverte de ce qu’est une Église, avec ses richesses et ses lourdeurs, souligne Denis Heller, ancien président de la commission des ministères.Il faut alors faire comprendre aux anciens professeurs que leurs paroissiens ne sont pas des élèves, aux anciens médecins que ce ne sont pas des malades, aux anciens DRH que ce ne sont pas des employés… Les pasteurs doivent saisir que, dans le protestantisme, les personnes sont considérées comme adultes, responsables. »
Dans une société où la quête spirituelle se vit de manière très individualisée, les parcours des nouveaux pasteurs sont plus que jamais différenciés. Il n’est plus rare de trouver parmi eux d’anciens agnostiques, évangéliques ou catholiques. Pasteur depuis 2006 à Nérac (Lot-et-Garonne), Hérizo Rajakoba a ainsi « mis du temps à rejoindre l’ERF. »
Vigilance sur le discernement
Arrivé de Madagascar à 12 ans, il se sentait, « de cœur », « davantage adhérent à la ferveur évangélique ». Il s’est finalement tourné vers l’Église réformée, attiré par le « sérieux » de sa structure institutionnelle. « C’est une Église dont l’institution est en même temps installée et ouverte à une évolution constante. Pour le travail pastoral, il est important que les structures fonctionnent et qu’il soit possible d’y revenir pour s’y appuyer ou pour les faire évoluer. »Pour Hérizo Rajakoba, Malgache envoyé dans les terres huguenotes du Sud-Ouest, l’inculturation s’est faite en douceur. Mais les Églises demeurent vigilantes sur le discernement des vocations. « Nous écartons environ un quart des candidatures, indique Denis Heller ; souvent des candidats des pays du Sud, parce que leur vision de la place et du rôle des pasteurs, ainsi que des relations hommes-femmes, n’est pas la même que celle de nos Églises. Mais le refus n’est jamais définitif. Certains peuvent revenir quelques années plus tard, avec une expérience nouvelle, et on peut réétudier leur candidature. »
Elodie MAUROT
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