Les places boursières n'en finissent pas de chuter... Le crach financier est à nos portes.
Pour comprendre la situation actuelle, je vous propose en avant première un article d'Alain Vidalies, député des Landes et membre du Bureau National du Parti Socialiste, spécialiste des quastion
sociales et financières, à paraître dans la revue socialiste de février.
Réformer le système financier, par Alain Vidalies
Réformer le système financier
Si le développement des entreprises et partant la production de biens et de services, s’appuie toujours sur le système financier, celui-ci, au
cours des 20 dernières années, s’est autonomisé de façon spectaculaire par rapport à « l’économie réelle », pour devenir un secteur économique à part entière, une véritable
« industrie », comme diraient les Anglo-Saxons, avec sa logique propre et ses contraintes, qui pèsent de plus en plus fort sur les économies du monde entier.
Économie réelle et sphère financière
Aujourd'hui, la finance sert surtout à mobiliser l’épargne disponible en faveur de… la finance. L'ampleur du phénomène n'est
plus à démontrer : chaque jour de l’année 2007, environ 64 milliards de dollars s’échangeaient sur le marché monétaire mondial pour payer les exportations et les importations de marchandises. Et
chaque jour de l’année 2007, le montant total des devises échangées à des fins purement financières, c’est-à-dire ne servant en rien à payer des marchandises réelles, s’élevait à… 3210 milliards
de dollars ! Pour un dollar utilisé à payer un Airbus ou un T-shirt, nous en avons donc 50 fois plus, utilisés chaque jour, pour acheter des euros, des titres de dette publique américaine ou
des actions du Nasdaq.
Ce phénomène est principalement la conséquence de la liberté (quasi)totale de circulation des capitaux. Pour financer leur
déficit croissant, provoqué par les chocs pétroliers des années 1973 et 1980, les Etats occidentaux ont autorisé le capital à circuler librement, de manière à pouvoir s’approvisionner partout
dans le monde en argent frais. Ils ont permis à pratiquement n’importe qui d’effectuer des opérations sur le marché financier, alors que cette faculté n’était auparavant ouverte qu’aux banques
(« désintermédiation » financière). Ils ont d’autre part élargi l’offre d’outils financiers, en permettant notamment aux marchés dérivés de se développer, puis ils ont diminué fortement
les impôts de bourse, qui empêchaient précisément une extension inconsidérée de la sphère financière. Ce faisant, les pays développés ont provoqué dans les années 80 une explosion de l’activité
financière, qui s’est traduite par la prise du pouvoir effective des détenteurs de capitaux sur l’ensemble de l’économie.
Circulant librement, le capital peut, contrairement au travail, se localiser à l’endroit qui lui semble le plus judicieux pour
obtenir le maximum de rendement. Se met alors en place un système dans lequel les entreprises n’ont plus d’autre choix que de se plier à ces exigences nouvelles de rentabilité, pour capter ce
capital désormais si dur en affaires. Ce n’est plus le manager ou le capitaine d’industrie, secondés par ses cadres et ses employés, qui détermine la politique de l’entreprise, mais
l’actionnaire. Le cours de bourse de l’entreprise étant fonction du montant des profits rapportés aux capitaux propres, il ne reste plus alors au manager qu’à mettre en œuvre une politique
conforme à cette équation, c’est-à-dire, grossièrement, cracher le plus d’argent possible à partir d’une masse de capital donnée, sous peine de voir ses actionnaires retirer leurs billes et lui
préférer une entreprise plus obéissante. Dans ces conditions, la seule variable d’ajustement qui reste est le travail. D’où la pratique grandissante des licenciements boursiers, uniquement
destinés à augmenter le profit et donc le cours de bourse.
Le pouvoir actionnarial
Pour acclimater les managers à ce changement, leur rémunération a été modifiée pour varier aussi en fonction des performances
boursières de l’entreprise. Avec la généralisation des stock-options, les dirigeants sont devenus les plus fidèles alliés des détenteurs de l’entreprise, et s’enrichissent désormais au même
rythme qu’eux. La conséquence de cette mutation est connue : les managers ont été conduits à prendre des risques grandissants pour faire monter le cours de bourse de leur entreprise, allant
jusqu’à truquer ses comptes (scandale Enron), voire dissimuler aux actionnaires des informations cruciales pour revendre leurs stock-options au cours le plus favorable (scandale EADS).
Mais la caricature de ce type de comportements est moins à rechercher dans ces affaires connues du grand public, que dans des
politiques de long terme, moins visibles, mais aux effets tout aussi dévastateurs, comme la théorie de « l’entreprise sans usines », qui conduit le centre opérationnel à se
délester de l’ensemble de ses établissements, ne gardant que le siège social, qui organise le ballet incessant des sous-traitants participant à la production des différentes pièces du produit
fini. Ainsi, le dégagement par le capital de la contrainte travail est absolu : si un sous-traitant ne donne pas satisfaction (en général au niveau prix), on en change sans attendre, en
priant pour que la logistique suive, ce qui n'est pas toujours le cas : ainsi, remplacer au pied levé un sous-traitant européen par un sous-traitant asiatique n’est pas chose aisée, comme en
témoigne l’effondrement d’Alcatel en 2003.
La mainmise de la finance sur l'économie réelle se traduit par une externalisation généralisée, la rémunération des managers
en fonction du taux de profit, et le ligotage du facteur travail.
Or, contrairement à ce qu'affirment en choeur les docteurs de la foi du nouveau capitalisme financier transnational, cette
mutation entrave aujourd’hui la production plus qu’elle ne l’encourage. Ainsi, depuis le début du XXIème siècle, les détenteurs du capital productif prélèvent plus d’argent sur les entreprises
qu’ils ne leur en octroient ! Ce phénomène a été mis en évidence par Dominique Plihon, dans son ouvrage référence paru en 2004, Le nouveau capitalisme (La Découverte). Chaque année
depuis 2000, le montant des dividendes versés aux actionnaires, additionné du montant des rachats par les entreprises de leurs propres actions, est supérieur, dans les pays développés, au montant
des fonds propres qu’elles trouvent sur les marchés financiers. En raisonnant par l’absurde, cela conduit à un état où la finance aura provoqué… une extinction du capital productif !
Une économie en crises
Comme le capital est libre et qu’il peut se positionner facilement sur l’investissement dont il attend le rendement le plus
élevé, cela pousse toujours les investisseurs à adopter un comportement moutonnier en faisant les mêmes investissements que les autres. Or lorsqu’un secteur est trop approvisionné en capital, il
y un moment où, forcément, son rendement baisse. D'où la multiplication des crises. Ainsi, de 1991 à 2007, nous avons donc vécu pas moins de 4 crises financières majeures, soit une tous les 4
ans!
Les exemples, hélas, ne manquent pas. En 1991-92, les caisses d’épargne américaines ont massivement investi dans les
obligations à risque, puis la réalité s’est imposée à elles : le risque était trop important, le cours des obligations s’est effondré et les caisses d’épargne ont fait faillite.
Addition : 150 milliards de dollars. Mais la Réserve fédérale a « épongé » cette dette en injectant des sommes équivalentes sur le marché financier. Rassurés, les investisseurs se
sont trouvé, vers 1995-96, une nouvelle marotte : les économies émergentes d’Asie. Une fois de plus, trop d’argent a été investi dans ces économies, qui n’ont pas réalisé les performances
attendues. Les dégagements ont été si violents qu’ils ont provoqué en quelques jours un quasi-effondrement de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de la Malaisie et de l’Indonésie. Qu’à ce la
ne tienne, le FMI est venu à la rescousse de ces économies, sauvant ainsi les créances occidentales posées sur elles (la Corée du Sud a reçu en 1998 pas moins de 70 milliards dollars de prêts du
FMI). Dans les années 1999-2001, ce fut le tour d'internet. Récemment enfin, la crise de subprimes. A chaque fois, ce sont les banques centrales qui épongent la dette ! A chaque fois, ce sont les
salariés, les retraités ou les petits actionnaires qui trinquent.
Des pistes de réforme
La gauche de gouvernement a trop souvent donné l'impression d'être impuissante face au développement du capitalisme financier
transnational. Quand elle n'a pas carrément encouragé son déploiement... Or ce qu'attendent de nous les citoyens, ce ne sont pas seulement des discours témoignant de notre « rapport
critique au capitalisme ». Celui-ci doit
se traduire en actes. C'est pourquoi, dans l'hypothèse de notre retour au pouvoir, nous devons travailler sur un certain
nombre de pistes de réforme.
1) l'urgence, c'est évidemment de reconnecter la sphère financière et la sphère réelle, et faire en sorte que la croissance
des marchés boursiers soit plus conforme à la croissance du PIB. Or aujourd’hui, ce n’est plus le cas : pour une croissance française de 2 %, on mesure en moyenne une croissance du CAC40 de
6 %. Au bout d’un moment, ce n’est plus tenable. Comme les marchés financiers ne sont pas capables d’avoir une appréciation de long terme sur les perspectives économiques, il convient en
conséquence d’en limiter l’extension et de s’attaquer aux causes de la situation actuelle, à savoir la liberté absolue des mouvements de capitaux. Pour limiter cette liberté, nous devons remettre
l’idée de « taxe Tobin » au goût du jour : d’un montant faible mais frappant chaque mouvement de capital, elle restreindrait certainement l’emballement des marchés. Mais elle ne
peut être mise en œuvre qu’à un niveau pertinent, à savoir, pour ce qui nous concerne, le niveau européen.
2) Nous avons vu que le pouvoir actionnarial contribuait fortement à la croissance disproportionnée de la sphère financière.
Des mesures simples de limitation peuvent être appliquées. Il faut taxer plus fortement les bénéfices distribués sous forme de dividendes que les bénéfices réinvestis. De cette façon, comme cela
a été fait sous le gouvernement Jospin, les autorités publiques enrayeront ce mouvement insensé d’accumulation du capital au détriment de l’investissement des entreprises. On notera qu’entre 1997
et 2002, à l’époque où la France mettait en oeuvre, même timidement, cette politique, la croissance de l’investissement était deux fois supérieure à ce qu’elle a été entre 2002 et 2007. Depuis,
la droite a laissé filer le déficit de notre balance commerciale et se détériorer la compétitivité de nos entreprises, qui investissent moins.
3) Il nous faut par ailleurs examiner avec sérieux la question des stock-options, puisque c’est précisément ce mode de
rémunération qui scelle le pacte entre les actionnaires et les managers. Hors le cas des jeunes entreprises innovantes, pour lesquelles les stock-options ont une utilité réelle, la gauche ne doit
pas hésiter à les taxer sévèrement, voire à les supprimer totalement.
4) La politique d’investissement nationale et a fortiori européenne n’existe pas (ou pas assez), alors même que les
enjeux du futur (révolution énergétique, transports, santé…) ne peuvent pas être sérieusement pris en main par le seul marché. Sauf à décider que seuls les riches bénéficieront des prochains
traitements anti-cancer, ou que les transports en commun seront aux mains, comme en 1830, des seules compagnies privées, il faut faire des efforts colossaux dans ce domaine. Loin d’être utopique,
l’idée d’une nouvelle politique d’investissement public est déjà mise en œuvre, aujourd’hui, par les pays émergents et les pétro-monarchies, via la mise en place de « fonds
souverains ». Sans le dire, la France le fait aussi d’ailleurs, au travers d’instruments comme la Caisse des Dépôts. Cette politique d’investissement public n’est pas forcément conditionnée
à une appropriation publique des établissements financiers voire des entreprises même si, dans ce domaine, le gauche ne doit rien s'interdire.
5) La puissance publique doit envisager à nouveau d’orienter l’épargne. Cela passe par la généralisation des règles dites
« prudentielles », qui enjoignent aux investisseurs institutionnels (par exemple les compagnies d’assurance), d’investir un certain pourcentage de leurs avoirs sur des placements sûrs
(par exemple en obligations du Trésor). Nous pouvons envisager (même si les actuels traités de commerce international semblent s'y opposer!) d’obliger les banques à investir ailleurs que
dans l’immobilier ou l’internet quand une folie spéculative saisit le secteur. Il est clair qu’un contrôle public sur les investissements institutionnels est aujourd'hui nécessaire.
6) Enfin, c’est évidemment à la réforme en profondeur des institutions financières internationales qu'il faut
s'atteler.
L’histoire récente prouve qu’aussi bien le Fonds Monétaire International (prêteur à court terme) que la Banque Mondiale
(prêteur à plus long terme), conditionnent leur aide aux pays en développement à la mise en œuvre de politiques d’austérité qui tuent dans l’œuf toute reprise durable de leur économie. Les
mesures draconiennes et suicidaires de réduction de la dépense publique qui sont imposées se traduisent le plus souvent par des suppressions d’écoles, d’hôpitaux, de programmes d’infrastructures.
Ces politiques ont échoué. Il a ainsi été établi que le taux de croissance de long terme des pays qui ont fait appel au FMI pour résoudre leurs problèmes d’endettement, a été significativement
moindre (de l’ordre de 0,5 à 1 % par an) que le taux de croissance des pays qui tout en connaissant les mêmes difficultés financières, n’ont pas fait appel au FMI.
Les institutions financières internationales doivent en conséquence « changer de logiciel »! Au-delà de la réforme
urgente des droits de vote au sein de l’institution, pour tenir compte du poids croissant des pays émergents, c’est à une véritable refondation idéologique que doit se livrer le FMI. Cette
refondation doit tirer les enseignements des échecs passés, et relever les nouveaux défis mondiaux, comme le développement durable. Ces nouvelles politiques pourraient ainsi prévoir, par exemple,
de forcer les pays aidés, au cas où la gravité de leur situation financière ne peut éviter un plan d’austérité, de baisser en priorité leur budget militaire par préférence à tous les autres. Dans
le même ordre d’idées, des facilités de remboursement supplémentaires (sous forme de simples avances remboursables prélevées sur un montant de droits de tirages spéciaux) pourraient être
consenties aux pays qui investissent dans l’éducation, la santé ou les infrastructures de transport.
Il convient également, et c’est d’ailleurs le vœu de Dominique Strauss-Kahn, de conférer au FMI et à la Banque Mondiale un
pouvoir de contrôle effectif sur les transactions financières internationales, qui pourrait prendre des formes diverses. En tant que prêteur à long terme, la BM pourrait parfaitement devenir le
contrôleur en dernier ressort de la solvabilité des Etats et des entreprises, être en quelque sorte « l’agence de notation des agences de notation ». De la sorte, une autorité publique,
indépendante et mondiale, aurait son mot à dire sur ces agences qui effectuent certes un travail important, mais qui ont le défaut d’être… rémunérées par les organismes qu’elles contrôlent ;
et qui sont généralement incapables de tirer la sonnette d’alarme à l’approche d’une crise financière majeure (comme ce fut le cas lors de la crise des subprimes).
La réforme du système financier international n'est pas chose aisée. Les tenants de l'ordre libéral n'ont aucun intérêt à
celle-ci. Pour nous socialistes, il s'agit d'un combat prioritaire. C'est la condition sine qua none pour construire un autre monde, plus juste et plus solidaire.
Alain VIDALIES, député des Landes, membre du Bureau National
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