Cet été, la démission de la pasteure Dominique Roulin a remué l'Eglise protestante genevoise. Ce départ s'inscrit dans la fermeture par l'Eglise, en 2005, du ministère sida, créé quatorze ans plus tôt par cette femme connue pour ses coups de gueule et son engagement auprès des personnes en détresse. Vague sur son désaccord avec les orientations de l'Eglise pour ne pas alimenter la polémique, elle dit sa frustration au sein d'un protestantisme qui ne la nourrit plus théologiquement. Lundi, elle prenait la direction de la Halte-Femmes d'Emmaüs-Genève.
Pourquoi avez-vous démissionné?
Je ne me retrouve plus dans l'Eglise protestante de Genève. L'institution me pose problème dans ses choix et orientations, mais ce sont des raisons théologiques et d'identité réformée à laquelle je suis très attachée qui m'ont motivée. Je ne supporte pas d'être incohérente avec mes principes et ce qui fonde ma foi. Ce malaise m'empêchait d'exercer mon ministère de façon authentique. J'avais l'impression de ne plus pouvoir nourrir ma prédication.
A quels choix et orientations songez-vous, qu'est-ce qui a changé entre l'Eglise que vous avez intégrée et celle que vous quittez?
Il y a vingt ans, l'Eglise genevoise m'a accueillie et m'a laissée m'épanouir en son sein. J'ai trouvé extraordinaire cette grande liberté qui y régnait, très chère au protestantisme. L'Eglise avait ce côté prophétique que j'ai pu vivre à travers mon travail sur le sida. Ce genre d'enjeux, l'Eglise a accepté de les relever. Mais la crise actuelle de la société, l'interrogation sur la spiritualité et les valeurs me donnent le sentiment que l'Eglise est davantage dans une phase de repli sur soi que d'ouverture. Je ne suis pas sûre que j'aurais la même liberté aujourd'hui de créer le ministère sida.
Votre départ sonne comme la suite logique de sa fermeture.
Cela a été un temps de crise. Si c'était pour des raisons théologiques que ce choix avait été fait, j'aurais pu l'assumer. Mais ce n'était pas le cas, donc j'ai eu du mal à l'assumer vis-à-vis de mes ouailles.
L'Eglise protestante a mené une réforme qui a conduit il y a deux ans à la création d'une direction puis à la nomination à sa tête de Jean Biondina. Qu'en pensez-vous?
Joker! J'ai dit aux intéressés ce que j'en pensais, mais cela doit rester interne à l'Eglise. Toutefois, je dis qu'il ne faut pas confondre la fin et les moyens. La nouvelle structure, avec une direction opérationnelle et un consistoire (parlement, ndlr) stratégique, à l'image des entreprises, est bonne. Mais ce n'est qu'un outil pour que l'Eglise ne s'embourbe pas dans des problèmes de structure.
Estimez-vous qu'il y a moins de débat au sein de l'Eglise?
Il est plus difficile. On trouve aussi, en Europe comme ailleurs, moins de courants théologiques et de théologiens affirmés, comme il y a cinquante ans, sur lesquels s'appuyer. La nourriture théologique manque. Certes, on discute de la spiritualité, de la prière... C'est important mais ne suffit pas pour se positionner dans une société où la théologie catholique se recadre, où l'islam crée sa voie, et où les autres traditions s'interrogent. Le protestantisme, dont les idées ont souvent servi à construire les sociétés laïques postmodernes, a du mal à trouver une spécificité dans sa parole. Je pense que la seule possibilité est de se confronter à la théologie. Souvent, quand on est en panne théologique, on fait du biblique, soit de l'étude de textes... C'est insuffisant.
Nourrie par la théologie de la libération, votre pastorat dans la banlieue française puis dans le milieu du sida, regrettez-vous aujourd'hui un manque d'engagement de l'Eglise?
Je suis partisane d'une théologie contextuelle, la théologie de la libération m'a nourrie, mais dans un contexte très particulier. Avec le sida, j'ai revisité ma théologie en laissant plus de place à un discours sur Dieu, un Dieu présent, qui abandonne ou qui laisse faire. J'ai revisité les théologiens de la Seconde Guerre mondiale, qui se demandaient comment garder la foi quand on est confronté à l'impensable.
Dietrich Bonhoeffer?
Entre autres. Plutôt qu'un manque d'engagement, c'est un manque de réflexion permettant un engagement authentique et crédible qui fait aujourd'hui défaut. Pourtant, n'y a-t-il pas une réflexion théologique à mener et une parole interpellante à avoir face à la question du sens dans une société où chacun est intéressé par son bien-être personnel; où tout nous pousse à nous sentir mieux dans notre corps; où on fait appel à des psys au moindre problème? Dans la tradition protestante, il faut un aller-retour sur la pratique et le discours. Si on n'a que la pratique, enracinée dans rien, on est juste des assistants sociaux, des psys. Voilà le genre de questions qui m'habitent.
Vous sentez venir dans l'Eglise genevoise un courant proche des évangéliques. Face à leur popularité, les réformés sont-ils tentés de suivre leur modèle?
Oui. Par exemple, on insiste beaucoup sur l'organisation de Taizé à Genève, qui accueillira 30 000 jeunes. Mais ira-t-on au-delà de l'émotionnel? Un débat doit traverser le protestantisme en Europe, et donc à Genève, sur le rapport des traditions évangéliques et réformée.
Votre départ a secoué l'Eglise genevoise, c'était votre but?
Non... en même temps j'ai envie que le débat existe. La difficulté, c'est qu'on reste crochés sur des problèmes de personnes. L'Eglise a réagi, car c'était encore Dominique qui faisait du foin.
Source : Le Courrier (Suisse)
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