En vacances à Teuleda-Moraira dans la région de Valence en Espagne (c’est chouette il fait beau et chaud !) j’ai pu
prendre connaissance dans la presse locale du projet de l’archevêque de Valence, Agustin Garcia-Gasco, qui veut installer dans sa bonne ville un sanctuaire en hommage aux
religieux tués pendant la guerre civile.
Avec la bénédiction des autorités ecclésiastiques espagnoles actuelles ce mémorial se veut le symbole des
«persécutions religieuses» des années 30.
L’ultra conservateur Garcia-Gasco, heureusement bientôt à la retraite, est donc bien en phase avec sa hiérarchie qui le
soutient totalement dans ce projet.
Les touristes nostalgiques du fascisme – pardon, on dit franquisme en Espagne – pourront donc bientôt visiter à Valence un
monument à la gloire du national-catholicisme de Franco.
En effet, les travaux de ce temple design de 3000m2 construit sur les restes de l’usine chimique de Cross (près de la mer
et de l’auditorium Hemisfèric) en sont à leur dernière phase. Les deux architectes de ce monument sont MM Aloy et Ordura (sic).
Il servira bien entendu de paroisse où près de 900 fidèles pourront prier à la mémoire des séides de
Franco.
Selon ses initiateurs ce projet à vocation à rendre hommage aux centaines de religieux valenciens assassinés au début de
la guerre civile (1936-1939) par les milices anarchos-communistes.
L’épiscopat espagnol : l’un des plus réactionnaires d’Europe.
Après le putch du général
Franco en juillet 1936, l’église catholique espagnole s’est immédiatement rangée du côté de la sédition franquiste.
Cette attitude avait exacerbé l’anticléricalisme des défenseurs du régime légal de l’Espagne, à savoir la Deuxième
République, née en 1931.
Dès l’été 1937 la hiérarchie catholique signait un «pacte de sang» avec le dictateur. Dans la lignée de la
Limpieza de Sangre de l’église catholique de la Reconquista auquel le Pacte fait explicitement référence.
Je ne peux ici relater
toutes les horreurs du franquisme. Mais l’église catholique a soutenue des deux mains ce régime et ne regrette rien aujourd’hui.
C’est un peu normal, le régime franquiste se définissant comme catholique et pourchassant tout ce qui ne l’était pas. Un
article du supplément du journal El Pais N° 1611 de cette semaine cite quelques passages d’un livre de Miguel Delibes, El Hereje : «Sin olvidar la
represion franquista contra todo lo no catolico en general, y lo protestante en particular».
L’épiscopat espagnol estime que 6 832 religieux dont 4 184 prêtres et 12 évêques ont été tués à
l’époque.
Depuis l’église espagnole ne cesse de militer pour que ses victimes soient reconnues en tant que «martyrs» dont
on précise qu’ils ont été tués «par haine de leur foi».
Comme si aucun hommage ne leur avait jamais été rendu. Au contraire, les victimes ont reçus sous le franquisme des
hommages officiels ad nausaeam car jusqu’en 1975 le sabre et le goupillon faisaient bon ménage en Espagne.
Ils étaient même les héros et martyrs officiels du régime dictatorial.
Franco a dépensé des fortunes pour offrir une sépulture digne à tous ceux «tombés pour Dieu et pour la Patrie»,
les militaires, mais aussi les prêtres, les religieuses et les évêques.
Julian Casanova, un historien espagnol rappelle que pendant le
franquisme, «innombrable étaient les cortèges religieux en mémoire des martyrs qui traversaient solennellement villes et villages vers les cimetières et les chapelles. Mais pour l’Eglise ce
n’était pas suffisant, il fallait aussi les béatifier».
Il précise d’ailleurs que «le problème n’est pas que l’Eglise honore ses martyrs, c’est son droit le plus légitime. Ce
qui n’est pas acceptable, c’est qu’elle demeure l’unique institution qui, en plein XXIème siècle, défend la mémoire des vainqueurs de la guerre civile et continue d’humilier les familles des
vaincus».
En effet, jamais rien, pas un mot de l’église catholique espagnole pour les centaines de milliers de victimes du
franquisme…
L’alliance de fait entre le régime franquiste et l’église n’a jamais donné lieu depuis le retour de l’Espagne dans le
giron démocratique à un mea culpa de la part de cette dernière.
A une exception près – le cardinal Tarancon dans les années 70 – les responsables de l’épiscopat ne se sont jamais
démarqués de la dictature, bien au contraire. C’est le bon temps du franquisme qui est loué le dimanche dans les églises espagnoles.
Non seulement il n’y a eu aucun repentir, ce qui aurait été la moindre des choses, mais jamais une excuse, jamais un mot
pour les centaines de milliers de victimes du franquisme ou leur familles.
Au contraire : l’église catholique espagnole est aujourd’hui la grande nostalgique du franquisme en Espagne.
L’archevêque Garcia-Gasco n’est pas un marginal. Il a le soutien plein et entier de sa hiérarchie et de l’ensemble des ses collègues prélats espagnols.
L’église catholique espagnole est aujourd’hui l’une des plus réactionnaires d’Europe, avec l’église polonaise. Elle a
par-dessus tout vénéré son pape réactionnaire polonais.
Elle peut aujourd’hui compter sur un allié de poids : le pape Benoît XVI.
Avec le soutien actif du Vatican :
Le projet de sanctuaire n’aurait pas pu voir le jour il y a 25 ans.
L’église catholique voguait alors sur les vagues œcuméniques et tolérantes de Vatican II.
Il est de plus de notoriété publique que les papes Jean XXII et Paul VI détestaient Franco.
Tout a changé avec Jean-Paul II et le tournant réactionnaire qu’il donnât à la théologie catholique, épaulé en cela par le
fidèle cardinal Ratzinger, nommé par lui à la tête de la Sacré Congrégation pour la doctrine de la foi (anciennement l’Inquisition, fondée justement en Espagne et à la triste réputation que l’on
connaît) qu’il dirigeât pendant plus de 20 ans.
Prenant le contre-pied de son prédécesseur, le cardinal Sepper, Ratzinger allait faire de la Sacrée Congrégation, avec la
bénédiction et les encouragements de Jean-Paul II, l’arme de la reconquête réactionnaire de l’Eglise catholique.
Œuvre que Ratzinger, devenu Benoît XVI, poursuit et amplifie allègrement aujourd’hui. On se réfère en cela à la
permission de célébrer la messe de rite Tridentin (bonjour les traditionalistes) et la déclaration récente que seule l’église catholique est bien la voie du salut (exit les
protestants).
N’oublions pas que c’est Jean Paul II qui a voulut, en octobre 2002, la canonisation d’Escriva de Balaguer, le fondateur
(là encore espagnol) de l’Opus Deï.
En 2001, 226 religieux valenciens morts pendant la guerre civile ont été béatifiés.
En 2005, le Vatican a donné son onction à la béatification de 250 autres prêtres de la région.
A la fin du mois d’octobre 2007, 498 religieux espagnols encore seront béatifiés à Rome.
Jean-Paul II hier comme Benoît XVI aujourd’hui ne cessèrent de donner des gages à la frange la plus réactionnaire de
l’église catholique.
Contre le gouvernement socialiste de Zapatero :
L’affaire du sanctuaire arrive à point nommé et n’est pas le fruit du hasard.
L’église catholique et les conservateurs de tout poil (mais c’est un pléonasme en Espagne) entendent prendre à contre-pied
le gouvernement espagnol.
Que prépare donc de si terrible le gouvernement de José Luis Zapatero ?
Tout simplement une loi, dite de la «Mémoire Historique», en faveur des victimes du franquisme, que le parlement
devrait voter en septembre. Rien qui semble plus normal. Ce qui nous étonne de l’autre côté des Pyrénées est qu’elle n’ait pas été prise depuis longtemps… Franco est mort il y a 32
ans…
Cette loi prévoit des réparations morales pour les victimes du franquisme et leurs descendants, l’éradication des symboles
de l’ancien régime (noms de rues, statues etc…) et probablement le changement se statut du Valle de los Caidos (La «Vallée des Tombés»), mausolée et lieu de culte de Franco, qui se
trouve à environ 100 kms de Madrid.
Sous l’impulsion des partis de gauche, la Basilique de la Valle de los Caidos pourrait être transformée en musée.
Un changement auquel bien évidemment s’oppose farouchement le Parti Populaire, les nostalgiques du franquisme, ainsi que l’épiscopat (mais en fait c’est les mêmes…). On pourrait proposer une
autre solution : pourquoi ne pas tout bonnement la détruire?
Le projet de loi sur la «Mémoire Historique» a spécialement provoqué la colère des évêques espagnols. Normal, ils
étaient les meilleurs soutiens du régime franquiste et en sont aujourd’hui les thuriféraires.
La contre attaque cléricale se manifeste avec d’autant plus de fougue que l’épiscopat espagnol est en guerre ouverte
contre le gouvernement Zapatero.
On se croirait encore au temps de l’Inquisition lorsqu’on entend des prélats espagnols dire que les socialistes
travaillent «en faveur du mal»! Et oui, en 2007 en Espagne on en est encore là !
Tout cela parce que le gouvernement socialiste a voté des lois en faveur du droit des homosexuels, pour faciliter le
divorce ou pour pouvoir effectuer des recherches sur les cellules souches.
Et surtout, last but not least, parce qu’il a mis fin au catéchisme obligatoire à l’école!
Le Parti Populaire souffle sur les braises. On oublie trop souvent en France, en le considérant comme un parti de droite
«normal», combien il est intimement lié à la période franquiste. Certes ce n’est pas le parti du franquisme mais bien souvent c’est du franquisme recyclé, du franquisme light, ultra catholique et
réactionnaire.
D’ailleurs, le maire de Valence, qui appartient au Parti Populaire, soutient le projet de sanctuaire de l’église
espagnole.
En plus, la mairie veut étendre le cimetière de la ville sur une gigantesque fosse commune où gisent 26 500
républicains fusillés par les franquistes.
De très nombreuses voix en Espagne s’élèvent d’ailleurs contre ces deux projets et les démocrates espagnols considèrent
que l’affaire du sanctuaire relève de la provocation pure et simple.
En Espagne, comme ailleurs en Europe, les vieux démons ne sont pas morts.
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