Comme chacun le sait je ne suis pas l'un des grands spécialistes des rites maçonniques égyptiens. Mais Serge Caillet oui ! Et c'est toujours un grand bonheur que de le lire.
En effet, il est question dans ce livre de maçonnerie égyptienne et des frères qui l'on animée au 20ème siècle.
Comme le note fort judicieusement Pierre Mollier dans sa préface (et avoir une préface de Pierre Mollier est toujours un gage de sérieux du livre !) « Comme le lecteur le sait déjà, Serge Caillet connaît admirablement son sujet. Il s'intéresse à la Maçonnerie égyptienne depuis plus de trente ans, a rassemblé sur son compte une très importante documentation et a déjà publié sur elle deux ouvrages de référence qui sont aujourd'hui des classiques. Le nombre de notes qui accompagne cette étude témoigne de la richesse et de la qualité de ses sources. Mais, derrière l’érudition, la longue fréquentation des archives lui a rendu ces personnalités familières. A la lecture de ces lignes, on a souvent le sentiment que l’auteur nous présente des hommes qu’il a bien connus, voire, pour certains, des amis » (page 9).
Dans une œuvre foisonnante, particulièrement féconde et passionnante, Serge Caillet nous livre ici le troisième (et dernier ?) volet de ce que j'appelle sa « trilogie égyptienne ».
En effet les « Les Compagnons d’Alexandrie » viennent utilement compléter « La Franc-maçonnerie égyptienne de Memphis-Misraïm », publié en avril 2003 chez Dervy (avec une préface de Robert Amadou) et « Arcanes et rituels de la franc-maconnerie Egyptienne », publié en décembre 2017 toujours chez Dervy.
Dans toute la littérature traitant des rites égyptiens, dits de Memphis, de Misraïm, ou de Memphis-Misraïm, j'avoue me fier quasiment exclusivement aux écrits de Serge Caillet (exception faite du "Que-sais-je?" de Roger Dachez « Les Rites maçonniques Égyptiens » publié aux PUF en 2012).
L'histoire des rites égyptiens est tellement compliquée que l'on s'y perd aisément !
Comme je le faisais remarquer précédemment, Serge Caillet se cantonne fort judicieusement dans cet ouvrage au XXème siècle. Serge Caillet s'en explique d'ailleurs fort bien : « Avec le XXIème siècle, Memphis-Misraïm est entré dans une période chaotique, d’un esprit très différent de celui qui a présidé à la construction des rites égyptiens tout au long du XXème siècle. C’est une période, sur laquelle je n’ai pas souhaité m’étendre. D’abord, parce qu’elle est vraiment navrante et que, contrairement à la précédente, elle ne me plait pas. Et ensuite, parce que nous n’avons absolument pas le recul nécessaire pour en parler ». Nous resterons donc au XXème siècle pour notre plus grand plaisir !
Serge Caillet nous détaille son projet : « Je n’avais pas du tout l’intention de faire un dictionnaire, mais simplement de proposer une galerie de quelques portraits choisis, de personnages que j’ai côtoyés, directement ou indirectement, depuis tant d’années, dans mes recherches sur les rites égyptiens, mais aussi sur le martinisme, les courants rosicruciens, etc. Je me suis donc limité d’une part historiquement au XXe siècle, très caractéristique d’une période spécifique de l’histoire des rites égyptiens, illustrée par des hommes qui sont avant tout des bâtisseurs. Et, d’autre part, je me suis également limité géographiquement à la France. (...) les Français ont des caractéristiques uniques et une histoire commune spécifique. Et puis, j’ai pris des personnages dont j’avais envie de parler, dont deux d’entre eux ont été mes amis, pour lesquels j’éprouve respect et admiration, tout simplement ! »
Mais avant d'aller plus loin, comment ne pas dire qu'il me semble qu'il y ait une parenté avec le livre (presque posthume) de Victor-Emile Michelet (1861-1938), parut en décembre 1937 aux éditions Dorbon Aîné et qui s'intitule "Les Compagnons de la Hiérophanie" (souvenirs du mouvement hermétique à la fin du XIXème siècle").
Victor-Emile Michelet n'y parle pas uniquement de maçonnerie égyptienne mais nous dresse les portraits des hermétistes du 19ème siècle et du début du 20ème : Stanislas de Guaïta, Papus, Paul Adam, Joséphin Péladan, La librairie d'Edmond Bailly (Mallarmé, Rops, Debussy, Odilon Redon), F-Ch Barlet, Albert Poisson, Albert Jounet, Paul Sédir, Marc Haven et "Monsieur Philippe", Eliphas Lévi, Saint-Yves d'Alveydre, Villiers de l'Ile-Adam...
Certains parmi ceux là ont également été des maçons égyptiens.
Il y a un seul personnage en commun entre Victor-Emile Michelet et Serge Caillet; il s'agit évidemment du Docteur Gérard Encausse, "Papus", qui va faire revenir en France les rites égyptiens, en 1906 avec la loge Humanidad (qui recevra René Guénon en 1907 avant que celui-ci rejoigne la Grande Loge de France en 1912 au sein de la loge Thébah) puis en 1908 après un convent maçonnico-spiritualiste lorsque Papus reçoit patente de Theodor Reuss le 24 juin 1908 et qu'il devient le premier Grand Maître des Rites Unis de Memphis et de Misraïm. Les rites égyptiens sont de retour en France et Papus en est le chef.
Papus qui est par ailleurs Grand Maître à vie de l'Ordre Martiniste depuis 1891, évêque Gnostique de l'Eglise Gnostique de Doinel puis de Jean Bricaud, membre de la H B of L et chef de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix après F-Ch Barlet qui avait lui-même succédé à Stanislas de Guaïta après sa mort.
Papus ouvre la voie et il en sera comme de même pour nombre de frères "égyptiens" présentés par Serge Caillet dans ce livre. Ils seront souvent membres de plusieurs ordres ou sociétés initiatiques.
Comme le souligne Pierre Mollier dans sa préface : « Les Rites Egyptiens s’épanouissent sur les marges de la Maçonnerie classique dans ces zones un peu insaisissables où elle touche à l’ésotérisme, l’hermétisme, voire l’occultisme. Ainsi ils ouvrent à la voie maçonnique de nouveaux horizons et l’irriguent d’une autre sève. On y croise les églises gnostiques, les ordres martinistes, les fraternités Rose-Croix et d’autres ordres encore plus mystérieux. »
Et il faut le dire, Serge Caillet est bien le mieux placé pour nous faire comprendre tous les liens qui unissent ces frères et les sociétés initiatiques dont ils sont (tous) membres par ailleurs !
C'est une histoire (très) complexe, mais grâce à Serge Caillet qui est en quelque sorte ici l'« initiateur inconnu » qui nous fait entrer dans ce monde - passionnant ! - des sociétés initiatiques. Saluons ici l'œuvre trentenaire de Serge Caillet, connu des spécialistes, mais beaucoup moins d'un public plus large. Et Serge mérite ce public plus large.
Ce sont dix portraits passionnants de frères qui nous sont proposés. Après lecture du livre de Serge Caillet il vont seront familiers.
Gérard Encausse (Papus), le semeur de moissons futures (tout part de lui !), Charles Détré (Teder), le polémiste effronté, Jean Bricaud, le patriarche gnostique, Constant Chevillon, le philosophe sacrificiel, Raoul Fructus, l'astrologue au cœur pur, Georges Lagrèze, le noble voyageur, Jean-Henri Probst-Biraben, le philosophe de l'unité, Henri-Charles Dupont & Henri Dubois, les passeurs de mémoire, Robert Ambelain, le gnostique agnostique, Albert Audiard, l'aigle vellaunien.
De Papus à Robert Ambelain, c'est un siècle - et quel siècle ! - de rites égyptiens qui défilent devant nos yeux. Certains se sont chamaillés à travers des ordres (martinistes notamment) parfois opposés.
Constant Chevillon mourra en martyre de l'initiation et de la franc-maçonnerie, tombant sous les balles des collaborateurs le 25 mars 1944, arrêté chez Mme Eugénie Bricaud chez qui il avait trouvé refuge.
Constant Chevillon qui écrivait de façon prémonitoire : « personne ne peut connaître les gloires de l’ascension sans avoir gravi, d’abord, le Golgotha » ou encore « il n’est pas nécessaire de se précipiter vers le martyre, mais il faut savoir y marcher le cas échéant, d’un pas délibéré et la tête haute, car le maçon est un homme sacrificiel ».
Raoul Fructus, qui avait prit parti pour la FUDOSI contre Bricaud avant de revenir vers Constant Chevillon à Lyon (en maçonnerie comme en martinisme) est arrêté par la Gestapo le 8 mai 1844. Déporté au Camp de Bergen-Belsen il y meurt du typhus le 26 février 1945.
Robert Ambelain sera résistant et fera de la "résistance initiatique". Ambelain - alors que la maçonnerie comme le martinisme sont interdits par Vichy, initie Jules Boucher et Georges Tainturier au martinisme en avril 1942, créé avec eux le triangle Bethelios qui initie Robert Amadou le 6 juin 1942...
Tous les récits de Serge Caillet sont passionnants. Comme les personnages qu'il met - si bien - en scène.
Ce sont des heures de lectures qui sont tout simplement un pur bonheur. Je pourrais développer longuement sur chacun des frères ici présentés. Mais je vous laisse les découvrir en lisant ce livre passionnant qu'est « Les Compagnons d’Alexandrie »
Vous avez compris que je vous recommande chaudement la lecture de ce livre que j'ai dévoré avec enthousiasme. Merci à Serge Caillet. Vraiment. Eh oui, restons dans le 20ème siècle des rites égyptiens sans rentrer dans les querelles actuelles de multiples obédiences qui se combattent sévèrement entre elles.
Restons dans la "spiritualité égyptienne", celle aussi de l'Egypte réelle qui fut la matrice de nombreuses spiritualités ultérieures. Les frères que nous présente Serge Caillet ont fait œuvre utile : ils ont travaillé pour l'Initiation.
Reste pour moi un "absent" (qui ne l'est pas tout à fait...) dans ce livre : c'est le (très grand) Robert Amadou (1924-2006). J'espère que Serge Caillet - qui fut son plus fervent disciple - travaille déjà à un livre qui lui sera entièrement consacré et qui constituera la somme littéraire, symbolique, initiatique et spirituelle qui lui revient de droit.
Depuis plusieurs années je travaille, j'apprends, sur les ésotéristes de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, tous ces hommes de désir qui avaient à cœur de renouveler la Tradition et de la faire connaître et aimer. En ce domaine, les travaux de Serge Caillet sont extrêmement précieux et importants. Je lui dois beaucoup.
Pour conclure je n'ai qu'un conseil à vous donner : procurez-vous sans attendre « Les Compagnons d’Alexandrie » de Serge Caillet (chez votre libraire de quartier de préférence, sinon en ligne). Lisez-le comme je l'ai lu, avec gourmandise et appétit : appétit d'en savoir plus, d'aller plus loin...
Jean-Laurent Turbet
* la photo de Serge Caillet est extraite de la vidéo de l'Ordre Martiniste : https://www.youtube.com/watch?v=tZ0-p1CIt4c&t=1961s
Le mot de l'éditeur :
"Quelques hommes de désir, parmi des figures connues des rites maçonniques égyptiens, se sont illustrés dans le maintien de l’héritage de l’hermétisme alexandrin dans les rites de Memphis-Misraïm, en France, au xxe siècle.
Ces Compagnons d’Alexandrie, comme les nomme Serge Caillet, en ont ainsi illustré l’histoire en portant témoignage, chacun à sa façon, d’une quête exceptionnelle et merveilleuse. Les voici rassemblés dans une galerie de onze portraits : Gérard Encausse (Papus), Charles Détré (Téder), Jean Bricaud, Constant Chevillon, Raoul Fructus, Georges Lagrèze, Jean-Henri Probst-Biraben, Henri Dubois, Henri Dupont, Robert Ambelain, Albert Audiard.
Les Compagnons d’Alexandrie sont des marginaux selon le monde et souvent aussi aux yeux de leurs frères et sœurs des grandes obédiences. Mais leur contribution à l’histoire et au patrimoine des rites de Memphis-Misraïm est essentielle.
Serge Caillet s’intéresse à la maçonnerie égyptienne depuis plus de trente ans. Il a déjà publié sur elle deux ouvrages de référence qui sont aujourd’hui des classiques. Mais la longue fréquentation des archives lui a aussi rendu ces personnalités familières. Ces portraits en pied ne se contentent donc pas d’une solide étude biographique, car l’auteur nous propose aussi d’aller à la rencontre des principaux acteurs des rites maçonniques égyptiens, en France, au xxe siècle, dans ce qu’ils ont de plus humain et, par conséquent, de plus vrai".
Le livre :
« Les Compagnons d’Alexandrie » de Serge Caillet
publié aux éditions de la Tarente en septembre 2020.
224 pages, 23€
ISBN : 2916280537
Procurez-vous vite le livre :
Serge Caillet nous propose 11 portraits de personnages connus des rites maçonniques de Memphis-Misraïm qui se sont illustrés dans le maintien de l'héritage de l'hermétisme alexandrin en France...
https://latarente.fr/accueil/158-les-compagnons-d-alexandrie-9782916280530.html
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Serge Caillet nous parle de ses Compagnons d'Alexandrie
Les Éditions de la Tarente : Dans votre panorama de ces compagnons, on ne peut pas dire que vous avez été exhaustif. Pourriez-vous nous dire ce qui a présidé à vos choix ? Serge Caillet : Je ...
https://latarente.fr/smartblog/13_serge-caillet-nous-parle-de-ses-compagnons-d-.html
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Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
« Jurez-vous, de plus, d’obéir fidèlement aux chefs de notre Ordre, en ce qu’ils vous commanderont de conforme et non contraire à nos lois ? » (Extrait du Serment prêté par chaque franc-maçon lors de son initiation).
Jean-Laurent Turbet
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