La 133 ou, comme on dit aujourd'hui la Justice 133 est une loge historique de la Grande Loge de France. Je vous propose, à travers cet article (pour une fois ce sera un article long), de découvrir l'histoire de cette loge et de ses membres emblématiques (Mesureur, Floquet, Brisson, Nadar, Vallès, Lefrançais, Eudes, Raspail et bien d'autres).
Je précise que cet article n'est pas de moi mais est dû à deux frères de la 133, Malik T. et Daniel P. Qu'ils en soient remerciés. Malik T est un fin connaisseur non seulement de la 133 mais aussi de toute la période 1865 - 1930 qui est au coeur de l'histoire de la 133 telle que vous allez le lire plus bas.
AVERTISSEMENT
Le texte qui suit a été réalisé pour être lu à plusieurs voix lors de la cérémonie du 24 mars 2013 commémorant le bicentenaire de la création de la Loge « La Justice n°133 » de la Grande Loge de France à Paris. Il ne se présente donc pas sous la forme d'une étude historique classique et ne prétend pas à l'exhaustivité de tous les faits et dates. Il est plus à considérer comme un témoignage tentant d'évoquer le passé d'un atelier et l’esprit qui le traverse et le constitue.
Ce texte, perfectible, fait toujours l'objet de recherches, d'améliorations et de référencements. Bien évidemment le travail continue et s’enrichit.
TEXTE
200 ans d’histoire ne se résument pas, tant on sait bien que les principales étapes ne sont pas directement appréhensibles et que suivre le développement historique d’un bout à l’autre n’y suffit pas.
Pour célébrer au mieux « la 133 », nous nous proposons de parcourir les faits, les partis pris et les présupposés qui se sont enfouis et sédimentés dans son histoire. Ainsi pensons-nous éclairer ce qu’il en est de ses possibles, puisque nous savons tous que le commencement n’est pas inscrit une seule fois dans le temps. Il est à l’œuvre à chaque fois que nous disons : Prenez place mes Frères.
Ni lever, ni baisser de rideau. Toute fin est un début. A partir de ce qui s’achève s’enfante du nouveau : nous n’avons affaire qu’à des transitions continues pour faire paraître un ordre.
Notre propos est de vous inviter à un voyage, à parcourir 200 ans de notre histoire commune, à retrouver des hommes dont les chemins se sont entrecroisés dans la quête de soi et du monde, dans les rapports multiples à la société, à la nature, à l’espace et au temps. Dans ce voyage nous croisons des visages connus et des noms dont nul ne sait rien, si ce n’est qu’ils sont ou ont été des hommes, voyageurs sans bagage qui se sont levés, qui ont marché pour penser et agir. Hommes éclairés, groupés pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité, pour philosopher, pour agir et rendre plus habitable la cité des hommes. Ces rencontres témoignent d’une précieuse certitude : celle de la beauté et de la diversité de la Franc-Maçonnerie qui nous donne matière à croire, à douter, à vivre.
En retraçant les possibles si divers de la pensée et de l’action, nous sommes donc appelés à développer une intelligence polyglotte et traductrice se réfléchissant dans ses partis pris qui sont autant d’appuis pour nous et ceux qui viendront.
Notre histoire est la chronique de ces hommes qui ont cherché à s’élever de la matière à l’esprit. Cette chronique n’a pas d’âge. Elle se déplace sur la ligne du temps. Elle assure une continuité et l’assurance que nous sommes tous solidaires des mêmes interrogations sur l’amour, la sagesse, la mort, la liberté, l’égalité, la fraternité.
Il était donc une fois, des hommes qui le 21 novembre 1811 déposèrent une demande de constitution de Loge à l’Orient de Paris auprès du Grand Orient de France. L’obédience domine alors le paysage maçonnique, il est impérial et l’Empire le lui rend bien.
Le roi de Rome était né au début de l’année, l’Empire est presque à son apogée territoriale avec 130 départements. La récolte de 1811 est désastreuse provocant une flambée du prix du blé. L’armée se bat en Espagne. Chateaubriand est élu à l’Académie. Ces Frères ont choisi le titre distinctif « La Polyglotte » car ils prévoient de travailler dans deux langues : le français et l’allemand. Le Grand Orient refuse ce titre qui rappellerait trop la tour de Babel et serait donc porteur de confusion et de désordre. Ce n’est pas « maçonniquement correct » !
Cependant des Frères persévèrent dans leur volonté et leur engagement de créer un atelier. Ils choisissent un nouveau titre distinctif. Réunis le 27 juillet 1813 sous le titre distinctif des Disciples de saint Vincent de Paul, première dénomination de la 133, ils ouvrent les premiers travaux.
Trois la dirigent : François Garnier, homme de lettres, VM, Jean Godefroy, homme de loi, 1er surveillant, Charles Castella, commerçant 2ème surveillant ; avec Louis Maugé chirurgien, Orateur et Charles Heudier, teneur de livre, Secrétaire, ils l’éclairent ; et avec André Macquet, serrurier, Expert et Pierre Bernardet, architecte, Couvreur, ils la rendent juste et parfaite. Ce 27 juillet, vingt sept Frères sont inscrits au tableau de Loge.
La Loge « Des Disciples de Saint Vincent de Paul » à l’Orient de Paris est née. Elle travaille au rite français.
Pendant cette première tenue un cantique est chanté par le frère Macquet.
Les mots n’en ont sans doute pas été prononcés depuis deux cents ans.
« Il est pénible et glorieux le rôle
dont s’est chargé notre Atelier naissant !
Frères, qu’il faut de ferveur, de talents,
pour approcher du grand Vincent de Paul !
Fut-il Maçon, Vincent ? Notre bon Père !
Ah ! Chers Amis, cet homme généreux,
qui ne songea qu’à faire des heureux,
de Dieu lui-même a reçu la lumière. »
Ces paroles, au charme désuet, semblent refléter la vie de la Loge pendant ses premières années. Rien ne semble troubler ses préoccupations philanthropiques. Les effectifs sont stables ou augmentent lentement : 29 frères en 1815, 33 en 1822. Le Vénérable est André Truet, Conseiller à la Cour des Comptes, un des officiers installateurs de 1813 qui semble avoir été bonapartiste. L’Atelier traverse les Cent Jours et la Restauration sans encombre.
En 1824, des dissensions apparaissent. Des Frères regroupés autour du Frère Castera, gendarme de son métier, quitte les Disciples de saint Vincent de Paul pour constituer un atelier distinct qui allume ses feux le 23 juillet 1824. Désirant travailler au Rite Ecossais Ancien et Accepté, ils prennent pour titre distinctif « Les Disciples Ecossais du Héros de l’Humanité » c'est-à-dire de Vincent de Paul. La Loge « Le Héros de l’Humanité » numéro 147 vient de naître.
En 1825 un Chapitre est souché sur la Loge des Disciples de Saint Vincent.
En 1826 le Frère Bailly, Orateur de la Loge prononce l’éloge funèbre de Nicolas Frété qui a été Vénérable.
En 1829 Truet est de nouveau élu Vénérable
En 1830 : 29 frères sont inscrits au Tableau de loge. Après les 3 Glorieuses, Louis-Philippe d'Orléans a remplacé Charles X. Il est Roi des Français et non plus Roi de France, le catholicisme n’est plus religion d’état mais religion de la majorité des Français.
Le 18 mars 1831, une personnalité peu commune vient frapper à la porte du Temple. Il s’agit de l’Abbé Châtel, ( photo ci contre à droite), longtemps aumônier dans l’armée, fondateur de l’église de France. Partisan de la messe en français, du mariage des prêtres il veut substituer le droit du peuple au droit divin et faire élire les prêtres par les fidèles.
Le Frère Orateur Janin donne ses conclusions, dans lesquelles il rappelle l’objet de la maçonnerie selon lui : « Le but mystérieux vers lequel la Maçonnerie nous fait aspirer est, vous le savez, de réunir tous les hommes dans un même esprit, de les faire marcher tous ensemble, s’il est possible, à leur commune destination. Dépositaire des conceptions sublimes des sages de l’antiquité, la Maçonnerie ne voit dans l’homme que l’homme même, et s’efforce de le rendre heureux en épurant ses passions et les maintenant dans de justes bornes. Elle est de tous les temps, de tous les pays, de toutes les conditions. Par son essence, elle ne s’ingère en rien de l’administration des affaires civiles ; mais elle fait aimer les lois de la grande société au sein de laquelle elle fleurit, et bénit les chefs qui défendent et conservent la famille des citoyens. » Il ajoute : « L’Homme dieu a établi une hiérarchie qui, de tous les chrétiens ne fait qu’une seule église ; si vous cessez de la reconnaître, vous détruisez de fond en comble la religion catholique ». Il conclut au sujet de l’Abbé Châtel : « Un seul homme mes Frères a fait tous ces miracles de la charité ! Il n’avait ni l’ambition d’un sectaire, ni la vanité d’un schismatique et votre cœur l’a déjà nommé : saint Vincent de Paul ! »
L’Abbé Châtel n’est pas initié par les Disciples de saint Vincent de Paul, mais déjà, sans doute les conceptions légalistes et très catholiques du Frère Janin ne font plus l’unanimité. Qualifié de jésuite, il démissionne de ses fonctions d’Orateur.
Les années qui suivent ne sont pas marquantes pour la vie de l’Atelier. Les effectifs restent stables, une trentaine de Frères. Félix Pillot, éditeur et André Truet sont souvent Vénérables.
En 1840, sous le vénéralat de Pillot, André Truet meurt à 72 ans. Une pompe funèbre est célébrée, plusieurs ateliers lui rendent hommage.
En 1841 Louis Gautier, propriétaire, devient Vénérable. Le Frère Nicolas Regnart-Bruno, chirurgien dentiste, initié à la Loge en 1819 reçoit une distinction du Grand Orient qui fait construire un nouveau temple. La Loge envoie une médaille à couler dans les fondations du bâtiment : 24 Frères sont inscrits au tableau de Loge.
En 1844 Jean Etienne Guerrier, rentier de son état, est devenu Vénérable. Il n’y a plus que 15 Frères dans l’atelier. Guerrier est remplacé par Louis Boutelet en fin d’année. Début 1845 un grand nombre de Frères s’affilient à l’atelier au point que les anciens se retrouvent minoritaires. Chœur de protestations !
Ces nouveaux Frères, soutenus par le nouveau Vénérable, n’auraient pas démontré leur qualité de maçon. De plus ils projettent d’initier un cycle de conférences. L’invitation pour la première de ces conférences est déjà partie. Le thème? Toujours d’actualité ! « Quel est le but de la Maçonnerie ? » Les protestations des anciens membres de l’atelier sont écoutées par l’Obédience. Le Vénérable démissionne et plusieurs des nouveaux Frères quittent l’atelier. Début 1846 Louis Aliaume devient Vénérable. L’esprit de la Loge évolue. La Révolution de 1848 approche et la Loge se peuple de Républicains.
Après l’insurrection de Paris, la deuxième République est proclamée le 24 février 1848 mettant un terme au règne de Louis-Philippe. L’Assemblée Nationale Constituante est élue le 14 avril 1848. Les Républicains les plus avancés, la Montagne, s’opposent au parti de l’ordre composé de royalistes et de républicains modérés.
En 1870 un Frère dont le témoignage est sans doute à nuancer rappelle : « En 1848 la Loge 133 comptait dans son sein plus de 60 membres de la Montagne. Ils venaient prendre des leçons ici, ils venaient se retremper au milieu de nous et quittant le tablier ils remontaient à la Chambre. »
Louis Napoléon Bonaparte est élu président de la République en décembre 1848.
Si en 1850 à l’occasion de la fête de l’Ordre, la Loge célèbre toujours saint Vincent de Paul par une ode et si cette ode parle toujours de charité, saint Vincent, signe des temps, doit au son de l’hymne de liberté conduire vers la Fraternité. La Loge offre 500 exemplaires de cette ode afin qu’ils soient vendus au profit de la Maison de Secours. Pierre Duret est le Vénérable.
C’est à cette époque que de nombreux républicains rejoignent encore l’Atelier : Camille Raspail, Alexandre Schafer, le docteur Amédée Petit proche du docteur Broussais, d’anciens quarante-huitards comme l’écrivain Auguste Luchet, le journaliste Louis Ulbach, Théodore Bac, Pierre Malardier qui siégea à la Montagne.
Le 2 décembre 1851 c’est le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte.
Le 12 octobre 1852 le Grand Orient procède à une inspection de la Loge. L’un des inspecteurs s’entend répondre par un Frère qu’il qualifie d’exalté : «Nous ne voulons pas être associés à une œuvre dans laquelle on a mis en haut ce qui devrait être en bas.»
Le Second Empire est proclamé le 2 décembre 1852.
En janvier 1853 Auguste Luchet, député des Disciples de saint Vincent de Paul a protesté contre la nouvelle constitution du Grand Orient qui donne les pleins pouvoirs au prince Murat qui pour mieux servir l’Empire naissant doit reprendre en main l’Obédience. Lors de sa tenue du 16 février 1853 la loge prend la résolution qui suit suivante : «La Loge des Disciples de saint Vincent de Paul à l’Orient de Paris donnant approbation la plus complète à la conduite de son député, proteste contre la révision par le Grand Orient de France de la Constitution de l’Ordre et déclare que l’Atelier n’accepte pas la Constitution nouvelle. La Loge décide en outre qu’elle invoquera désormais l’obédience du Suprême Conseil de France et charge ses cinq premières lumières de s’entendre avec cette autorité maçonnique.»
Le 19 août 1853 l’Atelier est installé par le Suprême Conseil de France sous le numéro 133. Le titre distinctif de la Loge devient « Saint Vincent de Paul ». Le Frère Amédée Petit est au plateau de Vénérable. Le 2 juin 1854 le photographe Nadar est initié.
En 1855 des désaccords surviennent au sein de la Loge. Le Suprême Conseil intervient et prononce trois lunes de mise en sommeil. A ce moment une partie des frères quitte la 133 pour fonder une nouvelle loge : La Ligne Droite n°146. Parmi ces frères, Petit et Luc-Pierre Riche-Gardon, le fondateur de la doctrine du Providentialisme chrétien qui quelques années plus tard s’opposera aux positivistes regroupés autour d’Alexandre Massol.
La même année, dans un courrier adressé à plusieurs autres frères de la 133, Auguste Luchet désigne Gérard de Nerval, qui vient de mourir, par l’expression « notre malheureux frère ». Il n’en faut pas plus pour que l’hypothèse de l’initiation de l’écrivain à la 133 naisse, mais force est de constater que rien d’autre ne vient la soutenir.
La décennie 1860 s’ouvre par la vaillante résistance du Grand Commandeur Viennet à la tentative de coup de force du Maréchal Magnan qui veut annexer le Suprême Conseil au Grand Orient,
Les Frères de La Loge Saint Vincent de Paul trouvent d’ailleurs ce titre distinctif trop chrétien et demandent au Suprême Conseil, en 1861, à en changer pour s’appeler « La Solidarité ». Refus de ce dernier. Désormais et pour plusieurs années, le seul titre distinctif que la Loge utilise est « L’Ecossaise 133 ».
Mais qui sont ces Frères ? Ecoutons Gustave Lefrançais (photo ci-contre à gauche). Instituteur de formation. Ses idées le poussent vers la politique. Membre de la Commune il combat pendant la semaine sanglante. Exilé, condamné à mort il reviendra en France après l’amnistie. Eugène Pottier lui dédie son poème mis en musique : l’Internationale :
« J’ai retrouvé le gendre de Tajan-Rogé (il parle d’Henri Brisson) comme frère Orateur de la loge 133 du rite Ecossais, à laquelle je viens d’être affilié. Ce n’est pas que j’ai jamais eu grand désir de pénétrer les secrets de la franc-maçonnerie dont l’importance m’a toujours semblé très exagérée. Mais il n’y a guère d’autre moyen de se réunir sans tomber sous l’action directe de la police et comme on m’a affirmé que cette loge contenait bon nombre de républicains, je me suis décidé à « frapper à la porte du temple » - porte qui s’ouvre d’ailleurs très facilement à tous ceux qui peuvent verser vingt-cinq francs de droit d’entrée – sans préjudice de leurs cotisations mensuelles. L’hospitalité écossaise coûte du reste cinquante pour cent de moins que celle du Grand-Orient de France – ce qui est à considérer pour les petites bourses. Le rite écossais a aussi l’avantage de n’avoir pas pour grand-maître cet ignoble soudard de Magnan, l’un des coupe-jarret du Deux-Décembre, que Badinguet a imposé au rite français. La loge 133 autrefois « Saint Vincent de Paul » contient en effet bon nombre de républicains bourgeois appartenant aux professions libérales, mais fort peu d’ouvriers. »
Puisque l’Ecossaise 133 est républicaine et que certains de ses membres sont ouvertement anticléricaux, ce n’est pas une surprise si en 1865 une nouvelle crise éclate.
A la suite d’un vote de la première section de la grande Loge Centrale qui affirme que la croyance en Dieu et à l’immortalité de l’âme relève de la conscience individuelle et ne peut « être l’objet d’une profession de foi collective », la 133 supprime la formule « A la gloire du Grand Architecte de L’Univers » ce qui lui vaut une admonestation du Suprême Conseil.
En janvier 1866 à la suite de son discours d’installation comme Vénérable de l’atelier Marc-Lucien Bouteville, disciple de Proudhon, qui écrira la même année, un ouvrage d’études critiques sur La morale de l'église et la morale naturelle, se verra rappeler par Malapert du Suprême Conseil, que la Maçonnerie n’est pas une « école de morale » et qu’elle doit enseigner Dieu et l’immortalité de l’âme aux apprentis et compagnons. C’est à ce même Malapert que bien des années plus tard, en 1879, Gustave Mesureur rappellera, peut être avec malice, que sur 400 profanes ayant reçu la lumière à la 133, il est le seul à avoir rejoint les Hauts Grades de l’Ordre.
Même s’il est bien question de réviser les règlements généraux, les réformes demandées ne vont pas assez vite pour un certain nombre de Loges qui organisent à Paris une manifestation maçonnique où l’on entend Ulysse Parent (photo à gauche) de la 133 proposer la modification des rituels, l’élection des dirigeants, et la suppression de la référence au Grand Architecte de l’Univers. Pas moins !
C’est au début de 1868 qu’une crise plus sérieuse éclate, à l’occasion du renouvellement du bail des locaux de l’Ordre. Les critiques se portent rapidement sur son fonctionnement.
Charles Floquet, (ci-contre à droite, photographié par Nadar, membre également de la 133) ) orateur de l’Ecossaise 133, demande la convocation d’un Convent spécial. Plusieurs autres ateliers soumettent aussi des revendications.
La réaction du Suprême Conseil ne se fait pas attendre. La 133 est démolie et son Vénérable Ulysse Parent radié.
L’atelier refuse cette décision. Le 17 avril 1868 les Frères trouvent porte close. Devant une large assemblée de Frères, Parent lit un texte de protestation.
Le Suprême Conseil reçoit une délégation de la 133 et se félicite de la modération des propos du Vénérable. Une commission est créée pour étudier les revendications, mais trop tard ! Deux autres loges, dont le Héros de l’Humanité créent un Comité central du Rite Ecossais Réformé.
D’autres ateliers suivent le Docteur Goupil, (photo de gauche) qui rejoindra la 133 bien des années plus tard et créent le Rite Ecossais Réformé. Ne croyant pas, à juste titre, que le régime impérial laissera se créer une nouvelle obédience peuplée de républicains, la 133 ne rejoint pas les dissidents.
Elle refuse cependant de se mettre en sommeil et de restituer sa patente.
Le 27 juin 1868 les portes de la Grande Loge centrale sont forcées par des Frères visiteurs qui s’en étaient vu interdire l’accès.
Une pétition circule pour protester contre ces « sévices dont le Temple a été le théâtre. » Elle est signée par plusieurs frères de la 133 dont Boutteville, Albert Leroy qui a démissionné de l’enseignement après le coup d’état de 1851, et Schafer, caissier au Siècle, le journal le plus important de l’époque, devient Vénérable.
A la mort du Grand Commandeur Viennet en juillet 1868 et après un court intérim de Benedict Allegry et un début d’apaisement, Adolphe Crémieux, républicain convaincu, prend la tête de l’Ordre. Le dialogue continue et sur proposition du Grand Orateur, la première section de la Grande Loge Centrale (qui s’occupe des Loges symboliques) forme une commission chargée de faire des propositions de réforme.
Henri Brisson et Albert Leroy, réformateurs non dissidents, en font partie. En mars 1869 la commission rend son rapport et il y a refus du Suprême Conseil de l’imprimer. Bon tacticien le nouveau Grand Commandeur a élaboré son propre projet de réforme qui fait d’importantes concessions aux réformateurs. L’adoration du Grand Architecte de l’Univers est supprimée et la liberté religieuse reconnue. Albert Leroy, au nom des réformateurs, refuse ce projet, qui, pour lui, doit émaner de la grande Loge Centrale et non du Grand Commandeur. La réforme n’avance pas. Une commission de synthèse est mise sur pieds par la suite, et même si elle est présidée par Henri Brisson, les réformateurs sont mis en minorité.
1869 est aussi l’année où deux profanes, Gustave Mesureur et Jules Vallès (photo de gauche) reçoivent ensemble la lumière à la 133. Quelques mois plus tard, l’atelier décide de se donner un nouveau titre distinctif : La Justice. Nous sommes le 23 juillet 1869.
En 1867, parce que la 133 a permis à des Frères de voter alors qu’ils n’étaient pas à jour de leurs capitations, plusieurs membres de l’Atelier, dont Brisson et Boutteville allument les feux d’une nouvelle Loge sous les auspices du Suprême Conseil : la Mutualité 190. Camille Pelletan et Edouard Lockroy, futurs ministres y seront initiés. Brisson reste vénérable d’honneur de la 133.
Initié à la 133 alors qu’il n’est encore qu’étudiant en droit, Henri Brisson est avocat, journaliste et homme politique. Député, il est élu 4 fois à la présidence de l’Assemblée nationale fonction qu’il occupera plus de 13 ans.
C’est lui qui pour sauver le gouvernement Waldeck-Rousseau aurait fait le signe de détresse maçonnique à la tribune de l’assemblée.
Nommé 2 fois Président du Conseil il autorise, après bien des hésitations, la révision du procès Dreyfus. Figure du Parti Républicain puis du Radicalisme, anticlérical et partisan de l’enseignement primaire obligatoire, il fonde en 1865 avec Massol le journal « La Morale Indépendante » d’inspiration positiviste, véritable organe de propagation de la pensée des Loges vers le monde profane. Il y écrit de nombreux articles.
Dans ce qui suit, il répond à un contradicteur catholique : « La Franc-Maçonnerie ainsi comprise n’est pas une institution de luxe, croyez-moi, et sa tâche n’est pas une sinécure. Songez donc ! Il s’agit de fonder une morale qui s’impose avec l’autorité la plus incontestable au genre humain tout entier. Etant donnés un protestant comme Lincoln, un israélite comme M. de Rothschild, un musulman comme Abd-El-Kader, un catholique comme vous et un athée comme Proudhon, rédiger une loi qui satisfasse tout le monde et ne blesse ni les opinions, ni la foi, ni les intérêts de personne. C’est l’harmonie universelle à fonder : ni plus ni moins. Voilà le but de la maçonnerie, et quoi qu’il soit placé un peu haut, un peu loin, il est assez digne d’ambition pour que les plus honnêtes gens chaussent leurs bottes et se mettent en route. »
A la même époque, le Frère François Favre qui a été Vénérable de la 133 ouvre les colonnes de la revue « Le Monde Maçonnique » qu’il dirige, aux idées de Massol.
Quels sont les travaux de la Loge en cette fin de décennie ? Si les polémiques autour du Grand architecte et de l’organisation démocratique de l’Obédience occupent le devant de la scène, on s’aperçoit que les Frères de l’atelier interrogent la question sociale toujours dans le cadre de la pensée symbolique et philosophique :
- Que doit exprimer le testament philosophique rédigé par le profane ?
- Le droit à l’instruction pour tous (Que veut dire instruire ? Qu’entend-on par tous ? Quelles évolutions pour l’homme et l’humanité ?
- Les liens qui nous unissent : humanité, liberté, égalité, fraternité.
- De la Justice dans le travail Tenue du 19 mars 1869: « La justice est le respect spontanément éprouvé et spontanément garanti de la dignité humaine en quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve compromise et à quelques risques que nous expose sa défense. De ce principe nous pouvons tirer la déduction suivante : tout ce qui blesse la dignité humaine porte atteinte à la justice »
Le Suprême Conseil laisse une grande liberté aux débats dans les Loges. Il est vrai que les discussions « politiciennes » sont réservées au parvis.
Toutes ces polémiques sont suspendues. La guerre franco-prussienne est déclarée et l’Empire est défait. Le 4 septembre 1870, la Troisième république est proclamée, mais les armées du Gouvernement de défense nationale ne parviennent pas à repousser l’invasion. L’armistice est signé en janvier 1871.
Les Parisiens refusent d’être désarmés et l’insurrection éclate. Après des élections, la Commune est proclamée le 27 mars 1871 par le Frère Gabriel Ranvier (photo de gauche) de la loge écossaise la Ligne Droite n° 146, proche de Gustave Flourens et de Jules Vallès, élu blanquiste du 20ème arrondissement de Paris, qui devient commandant de la Garde Nationale, c'est à dire chef de l'armée de la Commune de Paris..
C’est Charles Beslay, (photo ci-contre à droite) né en 1795, disciple de Proudhon, membre de la 133, qui en tant que doyen d’âge de la Commune en prononce le discours inaugural. Cet ingénieur, industriel, disciple de Proudhon sera le délégué de la Commune auprès de la Banque de France.
Karl Marx lui reprochera l’échec de l’insurrection. Il aurait du nationaliser la banque. Il s'exile en Suisse où il fini ses jours. Il bénéficiera d'un non lieu.
La légende rapporte qu’il paya sa capitation à la 133 jusqu’à sa mort en 1878. Le Frère Beslay nous livre le sens de son engagement : «J’ai appartenu dès ma première jeunesse à la cause de la liberté. C’est par le goût de la liberté, c’est par l’observation et l’étude attentive de la situation faites aux travailleurs que je suis bien vite arrivé à comprendre la nécessité de la forme républicaine. C’est enfin l’idée de la République, acceptée comme la meilleure forme de gouvernement qui m’a conduit à reconnaître la nécessité de grandes réformes sociales.»
D’autres Frères (ou anciens Frères) de la 133 sont élus à la Commune de Paris : Albert Leroy, Ulysse Parent qui finiront par en démissionner, Emile Eudes (photo ci-contre à gauche) disciple de Blanqui qui en sera un des chefs militaires, Gustave Lefrançais, Jules Vallès le journaliste et l’écrivain.
D’autres membres de l’atelier au contraire, ne soutiennent pas la Commune et s’engagent, sans succès, dans des tentatives de conciliation entre Communards et Versaillais.
Sur les trois députés de la Seine que compte l’atelier, Charles Floquet, (ci-contre à droite, photographié par Nadar, membre également de la 133) chef de file des conciliateurs, quitte Versailles où siège désormais l’Assemblée, pour rejoindre Paris.
Les deux autres restent à Versailles, pour tenter d’agir en son sein. Ce sont Henri Brisson (ci-contre) et Louis Greppo, l’ancien révolutionnaire de 1848, qui s’illustre pendant la famine du siège de Paris en organisant le ravitaillement.
Alors que les combats entre Communards et Versaillais commencé depuis le début du mois d’avril, la question qui se pose est celle de savoir si la Maçonnerie doit soutenir ouvertement la Commune de Paris et même prendre les armes pour la défendre ?
Le Frère Elie May, (ci-contre à gauche), de la Loge N°3 Les Trinitaires, fait savoir que le théâtre du Châtelet est disponible. Deux tenues réunissant des Frères de toutes les Obédiences s’y déroulent les 24 et 26 avril 1871.
La seconde est ouverte au Rite Ecossais, Charles Floquet en est l’Orateur. Le frère Emile Thirifocq, initié à la Loge Jérusalem écossaise n° 99, rappelle que les Maçons au nom de la République et de la liberté ont le devoir de défendre la Commune par tous les moyens possibles. Floquet fidèle à sa ligne conciliatrice refuse le recours aux armes : prendre les armes est un acte politique, inutile de faire le jeu des Prussiens. Sous la pression de l’assemblée, acquise à la Commune, il est contraint de lire une motion qui reprend une proposition que vient de formuler Thirifocq : «L’assemblée des Francs-Maçons réunis au théâtre du Châtelet émet le vœu que les Loges veuillent bien porter leur bannière sur les remparts comme signe de protestation… »
Le tumulte dans la salle est tel que Floquet est interrompu. Thirifocq avait ajouté que les bannières seraient défendues à coups de fusil si une seule balle les trouait. A la sortie du théâtre, un important cortège de Frères se forme et se dirige vers l’Hôtel de Ville. Là, la Commune interrompt ses travaux pour les recevoir. Plusieurs discours sont prononcés et Jules Vallès au nom de la Commune remercie les Frères de leur soutien. Il propose l’échange d’une bannière maçonnique et du drapeau rouge de la Commune. Sans drapeau, il défait son écharpe qui est aussitôt accrochée à une bannière de Loge. Gustave Lefrançais, membre de la Commune, rappelle à l’assemblée son initiation à l’Ecossaise 133 et se dit convaincu que Maçonnerie et Commune poursuivent le même but : la régénération sociale.
Le 29 avril 1871, rendez vous est donné le matin au Louvre. Les représentants des Loges y arrivent, bientôt rejoints par les délégués de la Commune. Après bien des prises de parole solennelles, un cortège de plusieurs milliers de personnes, bannières de Loge au vent et insignes maçonniques à la poitrine, se forme et au son de la Marseillaise se dirige, sous les yeux des Parisiens, vers les remparts. Est présent dans ce cortège Charles Beslay qui malgré ses 76 ans tient à porter lui-même le drapeau rouge, bien lourd pour lui, offert par la Commune. Les bannières des loges (plusieurs dizaines) sont plantées de la porte Maillot à la porte Dauphine, entre les deux armées. Des émissaires peuvent traverser les lignes et vont jusqu’à Versailles, mais Thiers reste inébranlable, pas de négociation, Paris doit se rendre.
Le 1er mai, dans le Cri du Peuple, journal qu’il a fondé, Jules Vallès se félicite de ce qui s’est passé en ces termes : « … En sortant de ses ateliers mystiques pour porter sur la place publique son étendard de paix, qui défie la force, en affirmant en plein soleil les idées dont elle gardait les symboles dans l’ombre depuis des siècles, la Franc-Maçonnerie a réuni au nom de la Fraternité la bourgeoisie et le prolétariat héroïque… Merci à elle. Elle bien mérité de la République et de la Révolution… »
Le même jour Malapert devenu Grand Orateur du Conseil Suprême fait publier ce qui suit : «… Je proteste, dès à présent contre toutes résolutions arrêtées en dehors de la Grande Loge Centrale de France, et je rappelle à mes Frères que le Maçon ne doit combattre que l‘étranger envahisseur… »
Quatre jours plus tard la 133 est en Tenue. Le premier maillet est d’abord entre les mains du Vénérable Godfrin puis entre celles de Schafer qui est installé au plateau. Les travaux ouvrent. Au courrier, une lettre de la Loge de Belleville invitant les autres Loges à adhérer à la Commune. La parole circule. Le Frère Moullé, sans adhérer à la lettre de la Loge de Belleville, veut que la 133 rédige une déclaration communaliste et fédéraliste. Il précise sa pensée : il ne s’agit pas pour lui de faire adhérer l’Atelier à la Commune mais à l’idée communale. Il sépare les hommes de l’idée que ces derniers représentent plus ou moins bien. Avec la Maçonnerie c’est la force morale qui pèse du coté de la Commune. Il cite un gamin qui voyant défiler les Francs-Maçons dans Paris s’est écrié : « On ne pourra pas toujours dire à Versailles qu’il n’y a que des voyous dans le mouvement. »
D’autres Frères sont partisans de la lutte armée, la conciliation étant désormais impossible avec Versailles. Les Maçons qui ont participé à la manifestation savaient ce qu’ils faisaient et puisque les bannières sont trouées de balles, ils doivent combattre. D’ailleurs la bannière de la 133 est toujours sur les remparts et Schafer veut qu’elle reste au champ d’honneur.
La parole est donnée au frère Ulysse Parent (visiteur), qui a démissionné de la Commune un mois plus tôt. Pour lui en appuyant la Commune, la Franc-Maçonnerie veut faire cesser l’effusion de sang. Défenseurs du droit il est naturel que dans la lutte engagée entre République et Monarchie, les Francs-Maçons aillent vers la Commune. Il est moral de se ranger du coté du plus faible, surtout si sa cause est la plus juste. Il rappelle qu’il n’a pas pu se résoudre à la guerre civile mais qu’ayant combattu les Prussiens il saura défendre sa femme et son enfant si les massacreurs franchissent les murs de la ville.
Le nouveau Vénérable de la Loge, le Frère Schafer prononce les mots suivants : « La Maçonnerie est au-dessus des querelles de peuple à peuple, et bien je le demande, comment ne serait-elle pas au-dessus de nos discordes civiles ? Je crois qu’il y a lieu de continuer la recherche de la conciliation dans notre loge sans nous faire juges entre Paris et Versailles, pas plus que nous nous sommes faits juges entre Paris et Berlin. Certes la Maçonnerie a bien fait, en essayant par une grande manifestation, de mettre fin à ce suicide de tous les jours que l’on nomme la guerre civile. Elle n’a pas réussi, soit, mais ce n’est qu’une première tentative. Continuons nos efforts nous réussirons mieux peut-être une autre fois. Mais ne sortons pas de nos revendications pacifiques, les revendications guerrières sont antimaçonniques… La Loge 133 pas plus que la Maçonnerie n’a été consultée et d’ailleurs l’eut elle été elle n’eut pas eu le droit de s’engager à devenir guerrière, puisqu’elle est exclusivement une institution de paix. Je proteste contre la formation de bataillons maçonniques qui enlèveraient à la Maçonnerie toute sa force morale… le jour où l’existence de la République sera menacée, tout vieux que je suis, je la défendrai en ma qualité de citoyen et non comme Maçon ».
Moins de 20 jours après cette Tenue, la semaine sanglante met fin à la Commune. Greppo et Brisson avec deux autres Frères organisent une souscription auprès des Loges pour aider les familles des victimes. Brisson, (ci contre à droite), bien que n’ayant pas approuvé la Commune, est à l’origine, dès 1871, de la première proposition d’amnistie pour les communards condamnés, mais Il faudra attendre 1880 pour qu’elle soit votée.
Les querelles d’avant la guerre franco-prussienne ne sont pas vidées et la braise est toujours rouge sous les cendres. Aux élections de juin 1872 à la première Section de la Grande Loge Centrale – présidée de droit par un membre du Suprême Conseil - la vice-présidence va à Bagnaux, Vénérable de la Mutualité 190 tandis que Brisson en devient l’Orateur.
Dans quel état d’esprit sont les Frères de la 133 ? La question est posée à Floquet, Orateur lors de la Tenue du 28 juin 1872 : « Les événements nous ont dispersés en tous lieux et les travaux maçonniques ont été un peu désertés, néanmoins il nous faut reprendre notre tâche, la saison n’est pas favorable et les Ateliers voient à cette époque languir leurs travaux, aussi devons nous penser dès à présent aux personnes qui seraient disposées à se joindre à nous et à grossir notre noyau. Nous sommes un peu à l’état passif, pour diverses raisons, mais cette situation est passagère, préparons-nous donc à la reprise de l’initiative et de l’activité, car le rôle de la Loge 133 qui portait le plus haut les idées de démocratie et de solidarité n’est pas fini, continuons le, établissons nos relations, propageons nos idées, préparons nos recrues pour la reprise des travaux à l’automne prochain. »
Depuis la guerre certains ateliers se sont dispensés de la référence au Grand Architecte de l’Univers. En décembre 1873, tout en décrétant l’insertion en tête des planches des trois mots « Liberté, Egalité, Fraternité », le Suprême Conseil rappelle l’obligation de faire référence au Grand Architecte de l’Univers. Il reprend les choses en mains et publie un décret pour rappeler cinq Loges à l’ordre. Protestation de ces dernières qui délèguent d’abord Brisson pour plaider leur cause, puis Brisson et Floquet sont reçus par le Suprême Conseil en mars 1874. Rien n’y fait. Un décret du 28 avril 1974 met en sommeil la 133, La Mutualité et 3 autres Loges. En décembre 1876 la sanction est levée, la 133 peut reprendre ses travaux. Une nouvelle génération de Frères arrive à la 133 et pour eux le combat doit se mener de l’intérieur. Le 5 août 1878 toutes les sections de la Grande Loge Centrale sont convoquées afin d’élire les Officiers.
Paul Goumain-Cornille, avocat, initié en 1869 à la 133 et dont il sera le Vénérable, obtient la parole avant le vote et explique les raisons qui vont entacher la validité du scrutin : ces élections ne sont pas faites dans les délais, les comptes ne sont pas présentés. Le scrutin a cependant lieu mais deux autres réunions sont nécessaires pour élire les Officiers.
Fait notable, seul Gustave Mesureur (photo ci-contre à gauche) est élu comme Orateur à la quasi-unanimité des voix. Peu de temps après le vice-président de la première section démissionne, il est remplacé par le frère Ballue député de la 133, vice-présidence qui sera assumée par la suite par Goumain-Cornille.
C’est à la Grande Loge Centrale, composée de trois sections, la première étant en charge des loges symboliques, les deux autres des ateliers des Hauts grades, que va se dérouler l’essentiel de l’affrontement entre 1878 et 1879.
Il serait trop long ici d’en reprendre les détails. Les revendications des réformateurs sont pour l’essentiel liées à l’organisation démocratique des ateliers symboliques de l’Ordre. Dès le début de 1878 les réformateurs ont déposé dans le sac aux propositions de la 1ere Section, des vœux reprenant les réformes souhaitées. En voici certains : Election du Président de la 1ère Section par ses membres et non plus nomination par le Suprême Conseil ; que les difficultés qui peuvent survenir dans les loges symboliques soient du ressort de la 1ère section et non plus de celui de la 3ème section, que la 1ère section ait la possibilité de se réunir de sa propre initiative …
Les réunions sont tendues sans que le dialogue ne s’engage véritablement et la pression monte peu à peu. Le 3 janvier 1879, lors d’une Tenue de la 133, Gustave Mesureur expose un travail dont la loge l’a chargé. Cette planche est intitulée « Examen critique et historique du Rite Ecossais en France. » Quel en est l’objet ?
« Rechercher avec tout le respect que nous devons à la vérité et à ceux qui sont nos chefs dans l’ordre hiérarchique, les liens qui nous unissent aux ateliers supérieurs, sous la dépendance desquels la Maçonnerie Symbolique a vécu et s’est développée. Examiner si cette dépendance a été utile ou nuisible à son développement et dans quelle mesure elle doit être maintenue, si elle est nécessaire. Etudier l’économie de nos constitutions actuelles, telles qu’elles résultent des décisions du Congrès de Lausanne de 1875 et des règlements généraux du Rite Ecossais en France. » Nous connaissons tous la réponse que Mesureur apporte à ces questions. Qu’il suffise de citer ici une des dernières phrases de sa planche:
« Les profanes que nous amenons dans nos Loges croient trouver une société d’hommes en avance sur les idées de leur époque et ils se voient le jouet d’institutions en retard d’un siècle. »
Si Mesureur pose le diagnostic, c’est à Goumain-Cornille, père de la formule « Un Maçon libre dans une Loge libre » qu’il revient de faire des propositions. Chose est faite dès le 7 février 1879 dans une planche ayant pour titre « Plan de décentralisation Maçonnique » qui est lue à la 133. Ces deux textes sont d’abord largement diffusés au sein des Loges sans l’accord du Suprême Conseil. Le Frère Ballue reçoit le mandat impératif d’en relayer les conclusions auprès de la 1ère Section de la Grande Loge Centrale. Chose faite le 18 mars 1879 : « Le soussigné, au nom de la RL La Justice 133, dont il est le député, propose à la première section qu’une commission soit nommée par elle à l’effet d’étudier et d’élaborer un projet de Constitution maçonnique établissant l’autonomie des Loges symboliques et instituant entre le Suprême Conseil et elles, dans les limites précises tracées par les grandes Constitutions de 1786 et le contrat d’alliance de 1875, un pouvoir intermédiaire émanant d’elles et dont elles-mêmes relèveraient directement. »
Cette proposition est discutée le 16 avril à la première section. Il est prévu d’en poursuivre l’examen le 20 mai.
Entre temps le Suprême Conseil reprend la main et par décrets en date du 12 mai 1879 interdit les discussions sur une réforme de l’ordre, prive de leurs droits maçonniques pour deux ans cinq Frères dont Mesureur, Goumain-Cornille et Ballue et démolit la Loge 133. Bien entendu des protestations sont émises. Protestations, encore, le 20 mai devant la 1ère section. Tumulte, clôture des travaux et pour ceux qui n’ont pas compris le message, l’éclairage au gaz est coupé.
Le 19 août, les réformateurs reprennent l’initiative. Les Frères Bibal Vénérable de la Prévoyance, Friquet Vénérable d’Union et Persévérance, Dubois, Mesureur et Goumain-Cornille Vénérable de la 133 réunissent les Vénérables de 11 loges, 19 députés et un peu plus de 70 frères. Ils s’instituent en Comité d’initiative pour la Formation d’une Grande Loge Symbolique Ecossaise. Cette nouvelle « Grande Loge doit être sous l’obédience du Suprême Conseil ou provisoirement en dehors jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé ».
Adolphe Crémieux toujours Grand Commandeur, face à cette menace de scission, reçoit les frères suspendus et les entend. Il revient sur les décrets de démolition et de suspension. Cette décision doit encore être ratifiée par le Suprême Conseil. Cette ratification prend du retard.
La 133 se réunit le 3 octobre pour réaffirmer son objectif d’indépendance des Loges bleues. Les réformateurs, minoritaires dans l’obédience, somment le Suprême Conseil de prendre position et veulent forcer les choses. S’en est trop ! En octobre 1879 les frères qui dirigent le Comité d’initiative sont radiés et d’autres Loges suspendues. La rupture est désormais effective.
Charles Floquet se charge des démarches auprès du Ministère de l’Intérieur et le 12 février 1880 une nouvelle obédience « La Grande Loge Symbolique Ecossaise » est autorisée. Douze Loges y compris la 133 rejoignent complètement ou partiellement la nouvelle obédience. Paul Goumain-Cornille en est le premier président, poste qu’il occupera trois fois, tout comme Gustave Mesureur. Si on ajoute les mandats d’Edmond Mamelle, la présidence de la nouvelle obédience est assurée pendant 9 ans sur 16, par des membres de la 133. Cette nouvelle obédience est sans Hauts grades, sans Grand Architecte de l’Univers, républicaine bien sûr et même ouvertement radicale et anticléricale. Il est à noter que le Grand Orient de France finira par passer au radicalisme sous la présidence de Colfavru qui a été bien des décennies auparavant, membre de la Loge des Disciples de saint Vincent de Paul.
La première fête du Solstice est organisée en juillet 1880 sous la présidence de Floquet. Goumain-Cornille, à l’étonnement de beaucoup, fait boire à la santé du Suprême Conseil en disant que la nouvelle obédience en est la fille et qu’elle doit le respecter. Mais l’heure de la réconciliation n’a pas encore sonné. Pour le moment la 133 explore d’autres chemins. Un rapprochement avec les Compagnons opératifs est tenté la même année. Il semble culminer fin 1881 avec une tenue mixte commune qui se déroule à l’invitation de la 133. Des tailleurs de pierres, des boulangers, des tisseurs, tanneurs, sabotiers, charpentiers, charrons et plusieurs autres Devoirs sont représentés. La Tenue a pour thème le capital et le travail. On porte des toasts à l’union prochaine des Loges et des Cayennes mais ces contacts ne semblent pas avoir eu de suite.
Toujours au début de la décennie la question de l’initiation des femmes et de la mixité est posée. Au sein de la 133, Schafer et Goumain-Cornille en sont partisans Ce dernier d’ailleurs vote favorablement le projet de mixité présenté par la Loge Les Libres Penseurs du Pecq. De plus, Schafer semble avoir été le premier à proposer une modification des textes pour permettre la mixité, lors de l’écriture de la Constitution de l’Obédience. Désavoué par la 133, Goumain-Cornille renonce au Vénéralat. Maria Deraismes est initiée et c’est Georges Martin, deuxième président de la nouvelle obédience, avec la Loge La Jérusalem Ecossaise qui inscrit la mixité dans le paysage maçonnique.
La question sociale est également présente à la 133. Pour exemple, Gustave Mesureur y parle en 1880 d’une proposition de loi déposée à la Chambre par un député et relative à une Caisse de retraite pour ouvriers de l’industrie et de l’agriculture. Quelques années plus tard on entend Mesureur expliquer le rôle du Conseil Supérieur du Travail qui vient d’être crée sur proposition de loi qu’il a déposée : mieux connaître les besoins des ouvriers afin de légiférer de façon plus éclairée.
L’enseignement entre aussi dans les préoccupations. Dès 1877 Brisson et Floquet signent avec Désiré Barodet une proposition de loi portant instauration d’un enseignement primaire obligatoire et laïque. Pour des raisons tactiques de vote à la Chambre, Paul Bert préférera les propositions de Jules Ferry qui sont votées au début des années 1880.
En 20 ans les idées positivistes ont avancé et l’anticléricalisme s’est répandu dans le paysage maçonnique. Le Pape, en 1884, signe une encyclique qui suggère que les Loges sont le royaume de Satan voulant détruire les bases de la société chrétienne. La Grande Loge Symbolique Ecossaise répond alors que les griefs élevés par la Papauté sont précisément les titres d’honneur de la Maçonnerie auprès de l’humanité. D’ailleurs en 1886, avant le Grand Orient semble-t-il, les Frères de la Grande Loge Symbolique réclament la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En mars 1900 on peut encore assister à une Tenue blanche ouverte de la 133 où Charles Limousin, Orateur de l’Atelier, a comme sujet de conférence « La Franc-maçonnerie et la religion : Dissection du catholicisme ».
La fin de la décennie est surtout marquée par la réaffirmation de l’attachement à la forme républicaine du gouvernement lors de la crise boulangiste.
Charles Floquet est Président du Conseil depuis avril 1888 et organise la défense de la république. La confrontation connaît plusieurs points culminants.
Après un échange assez vif à la Chambre, Floquet et le Général Boulanger se battent en duel à l’épée le 13 juillet (photo ci-contre à droite). Floquet, pourtant sexagénaire blesse assez sérieusement le général. Début 1889 par défi, le général Boulanger se présente à une élection partielle à Paris, où la population est réputée proche des républicains. Ces derniers pensent gagner. La Grande Loge Symbolique Ecossaise, mobilisée autour de Floquet appelle à voter pour le candidat républicain Edouard Jacques. Le 27 janvier 1889 la défaite de ce dernier est cuisante. Le général Boulanger n’ose toutefois pas marcher sur l’Elysée le soir de sa victoire. Les républicains, Floquet en tête ne désarment pas. Pour contrer un raz de marée boulangiste aux prochaines élections législatives, ils projettent de modifier deux points de la loi électorale : rétablir le scrutin majoritaire d’arrondissement et interdire les candidatures multiples. Avant que son gouvernement ne tombe le 14 février, Floquet a le temps de faire adopter le scrutin d’arrondissement. Cette stratégie fonctionnera, d’autant plus qu’entre temps le général Boulanger sous la menace d’une mise en accusation a fui la France. Pendant toute cette période et jusqu’aux élections législatives de la fin 1889, qui voient l’effondrement politique du boulangisme, l’engagement des frères de la 133, Brisson, Mesureur, Floquet comme celui de ceux de la nouvelle Obédience est constant.
Très tôt Charles Floquet rejoint les rangs des républicains. Avocat il plaide plusieurs affaires politiques. Deux fois Président de la Chambre des députés, une fois Président du Conseil, pour ne citer que les fonctions les plus importantes, il a aussi démissionné de ses fonctions de Préfet de la Seine pour protester contre le statut de Paris qui n’avait pas de maire élu. Pour les hommes de sa génération qui ont grandi dans un pays où les maires étaient souvent nommés par le préfet et non élu, la liberté passe par la démocratie c'est-à-dire par une assemblée élue qui nomme et sanctionne un exécutif qui émane d’elle. Ce n’est pas étonnant si cette génération de Frères s’est battue avec autant de vigueur pour imposer aussi cette conception dans la Maçonnerie.
Et le symbolisme dans tout cela ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le respect des symboles n’est pas perdu de vue. En 1885, à un Frère qui peut être avec malice, veut faire figurer la formule « A la gloire de la maçonnerie universelle » sur les documents de l’Obédience, Gustave Mesureur (photo ci-contre tel qu'on peut le voir aujourd'hui dans l'atrium de la Grande Loge de France à Parisà), répond « Ne dogmatisons pas. N’opposons pas philosophie à philosophie. »
Plus significatif, en 1889, année de soutien aux candidats républicains, la 133 s’associe avec trois autres Loges pour émettre une pétition commune.
Parmi ces Ateliers figure Travail et Vrais Amis Fidèles la loge d'Oswald Wirth (photo ci-contre à droite). Cette pétition demande que l’on rétablisse les deux colonnes J et B, le delta lumineux, l’étoile flamboyante, le soleil et la lune.
Ils obtiennent gain de cause.
Mentionnons également l’action de Charles Limousin, créateur de la revue l’Acacia qui, lorsqu’en 1900 la question de l’abrogation des formes symboliques à la Grande Loge de France est posée, s’emploie à réfuter les arguments des adversaires des symboles.
Oswald Wirth écrit à la mort de Limousin que ce dernier fut un partisan zélé des Hauts grades dont il voulait faire une école effective de philosophie initiatique. Dans le 1er numéro de sa revue Symbolisme, parue en 1912, Oswald Wirth donne la parole à Gustave Mesureur qui vient d’être réélu Grand Maître de la Grande Loge de France : « Le Grand Maître doit veiller à ce qu’on n’altère pas le symbolisme maçonnique et à ce que l’on ne transforme pas les habitudes, les traditions rituéliques qui rattachent tous les Maçons du globe entre eux et leur permet de se comprendre et se reconnaître.»
Mais revenons aux années 1890. La Grande Loge Symbolique Ecossaise, après un appel à l’union de tous les rites a bien essayé de fusionner avec le Grand Orient, sans succès. Peu à peu des contacts sont renoués avec le Suprême Conseil de France, peut être pas si rétrograde que cela. En 1894 ce dernier doit faire face à une revendication d’autonomie émise par des Loges du Nord de la France. Le 21 juin par une circulaire, le Suprême Conseil fait savoir qu’il admet le principe de l’autonomie des trois premiers degrés. Le 13 août Gustave Mesureur informe la Grande Loge Symbolique de ce changement de position.
Les ateliers consultés sur le principe d’une fusion répondent favorablement. Ils précisent aussi qu’ils veulent rester sans l’invocation au Grand Architecte de l’Univers. Les Frères Mesureur, Friquet et Wirth sont délégués pour négocier. Des projets de statut sont rédigés et discutés dans les Loges. Le Congrès de fusion se tient du 7 au 9 novembre 1894. Même si le Suprême Conseil garde le monopole de délivrance des patentes des Loges, le principe d’autonomie des ateliers symboliques est acté. La Grande Loge de France vient de prendre sa forme moderne.
Il faut presque deux ans encore pour régler certains problèmes dont ceux des locaux. La 133 rejoint la Grande Loge de France début 1897. Peu après la fraction des Frères de la Loge «Le Héros de l’Humanité », qui avaient participé à l’aventure de la Grande Loge Symbolique, fusionne avec la 133.
Le plus simple est de céder la parole au frère Bellanger de la 133 qui rend hommage à Gustave Mesureur lors de son cinquantenaire maçonnique en 1919. Il est ici question de l’organisation démocratique de la Grande Loge de France : « Puissiez vous mes Frères comprendre la valeur de cette organisation, la conserver et donner mandat chaque année à vos délégués, de la conserver et de la défendre. C’est à notre Frère Mesureur que vous la devez, il en fut le premier artisan, et je crois bien que beaucoup ne s’en doutent guère, la modestie proverbiale de l’auteur l’ayant laissé ignorer au plus grand nombre. Je suis heureux mes Frères en ce jour solennel, de pouvoir le rappeler.»
Gustave Mesureur, d’abord dessinateur sur broderies adhère au syndicat ouvrier fondé par Eugène Pottier. Elu municipal de Paris il devient Président du Conseil Municipal. Il est entre autres, le promoteur de la Bourse du Travail. Elu aux élections législatives il devient vice-président de l’Assemblée et Ministre du Commerce et de l’Industrie en 1896 dans le gouvernement formé par Léon Bourgeois.
Gustave Mesureur est aussi la cheville ouvrière de la création du Parti Radical et Radical Socialiste en 1901 et son premier Président. Quand il perd son siège de député en 1902 il devient directeur de l’Assistance publique. Il lance un emprunt pour réaliser un vaste programme de modernisation et de construction : Hôpital de la Pitié, Ecole d’infirmières à la Salpetrière, Dispensaires, Maisons de retraite, Asiles…
Son œuvre est immense, sans oublier qu’il est toujours à son poste pendant le premier conflit mondial avec ce que cela implique. Il est élu à l’Académie de médecine en 1912. Son œuvre dans la Maçonnerie nous est plus connue. Qu’il suffise d’ajouter qu’il est par trois fois Grand Maître de notre obédience, qu’il en parachève l’indépendance vis-à-vis du Suprême Conseil en 1904 et que sous ses mandats l’obédience se développe de façon très significative. N’oublions jamais cette phrase de Gustave Mesureur : « On entre dans la Maçonnerie pour la servir et non pour s’en servir. »
Sur un peu plus de 110 Frères que la 133 compte en 1914, une quarantaine est mobilisée. Plusieurs ne reviendront pas. Au milieu des années 20, la 133 compte encore environ 70 membres et comme dans toute la Maçonnerie on y parle de la Société des Nations, des dettes de guerre, d’assurances sociales ou du couloir de Dantzig. A la veille de la seconde guerre mondiale il n’y a plus que 35 noms au Tableau de Loge. L’Atelier se reconstitue après la guerre.
En 1953, la 133 célèbre son centenaire qui est en fait son 140ème anniversaire. Depuis lors l’Atelier continue de travailler, et même au milieu des difficultés, il se trouve toujours des frères pour s’engager et ne pas interrompre cette chaîne d’union. Il y a un an, un de nos Frères réaffirmait l’importance de notre engagement et l’espoir dont il est porteur : « Nous devons pouvoir fabriquer de l’éternel avec du fugitif, car ce qui est éternel en l’homme interpelle ce qui lui est quotidien. Jamais nous ne devons mettre les moyens à la place de la finalité. Nous devons permettre de conserver l’espérance, même lorsqu’il n’y a plus d’espoir. Nous devons tenter d’être la lumière qui dissipe le brouillard de la compréhension en substituant la réflexion à l’imperfection des sens. Sachons étonner chacun quel que soit le point où il en est de son parcours. Que tous puissent accéder à la connaissance de soi et tirons chacun vers le haut, même si on ne sait pas trop ce qu’est le haut. Rendons-nous aptes à apercevoir la Vérité, si jamais elle se présentait à nous ! »
24 mai 2013 nous avons célébré les 200 ans de notre atelier La justice 133. Nous venons de voyager dans le temps pour nous retrouver dans notre histoire. Platon nous dit dans le Timée « si le temps est l’image de l’éternité, c’est parce qu’il est un circuit, un retour, un recommencement et une réparation. Tout ce qui s’y passe engage l’avenir et ce qui s’y achève usurpe l’éternité. »
Aucune fin, aucune nostalgie dans cette évocation. Nous y retrouvons les possibles de l’esprit et de l’action, ceux qui nous affranchissent et nous dégagent des adhérences subies. Ils sont passionnants car ils s’avivent respectivement en s’éclairant dans leur choix et se découvrent engagés.
Nous sommes moins tenus par une conviction, attachés que nous serions d’abord à un certain contenu déterminé de vérité, que par un désir à la fois d’exploration et d’exploitation. En même temps que l’on prend du recul dans son esprit, on fait apparaître des embranchements qui nous donnent à choisir et qui sont à tenter. Après tout, « Ce que nous serons n’a pas encore été manifeste », comme dit Jean dans sa première Epître.
Paul Goumain-Cornille exprimait fort bien en 1882 l’âme de notre atelier : « Notre Loge a un long passé dont elle est solidaire. Depuis des années, sous des noms et des numéros divers, mais sans jamais changer d’esprit, elle a combattu le bon combat. Toujours prête à la lutte pour les principes, sa fidélité est constante aux idées de Liberté, Egalité, Fraternité. »
Il est possible, par cette commémoration et cette remémoration, que nous ayons touché ce sentiment si fort de comprendre et le goût de poursuivre pour son compte et avec les autres le travail commencé.
200 ans pour la Justice 133 marque un commencement puisque chaque instant de notre présent est chargé d’hérédité et prégnant d’avenir.
Pour les Maçons de la Grande Loge de France, la première phrase est « Au commencement était le Verbe ». Le livre sacré de la Chine ancienne, Le classique du changement, s’ouvre sur une autre première phrase qui peut vous parler également de la 133 : « Commencement – Essor – Profit – Rectitude ».
Que ceux qui viendront après nous s’en emparent ! Car nous ne portons pas notre histoire comme un fardeau pas plus que nous ne cherchons à en faire un étendard, mais nous lui devons de ne pas la considérer au travers de nos valeurs actuelles, sous peine de commettre des anachronismes. Cette histoire est.
Elle participe de ce que nous sommes mais elle ne commande pas l’avenir pour autant.
Cet héritage est chargé de luttes dans un monde en changement, vers plus de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Dans le monde d’aujourd’hui que parfois nous avons du mal à comprendre ou que trop souvent nous ne comprenons que trop bien, que ce legs continue à baliser notre chemin vers ce qui est peut être le plus important: La Justice.
- Sources (non exhaustives) :
- Pour la période allant de 1812 à 1853. Bibliothèque Nationale. Fond Maçonnique du Grand Orient de France. Archives relatives à la loge. BN- fm-70bis.
- A compter de 1853 : archives de la loge conservées à la GLDF rue Puteaux –Paris.
- Chevallier Pierre, Histoire de la franc-Maçonnerie française, 3 tomes, Paris, Fayard, 1974-1975.
- Combes André, Histoire de la franc-maçonnerie au XIXe siècle, 2 tomes, Monaco, Editions du Rocher 1998-1999.
- Foucher Jean-André, Histoire de la Grande Loge de France, Paris, Albatros, 1981.
- Jupeau Réquillard Françoise, La Grande Loge Symbolique Ecossaise 1880-1911 ou les avant-gardes maçonniques, Monaco, Editions du Rocher 1998.
- Lantoine Albert, Histoire de la Franc-Maçonnerie française. Tome 1 La franc-maçonnerie chez elle. Paris, Nourry, 1927.
- Ligou Daniel (dir.), Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, Paris, PUF, 2006.
- Rognon François, Chronique des origines de la Grande Loge de France. Le Mans, Borrégo, 1997.
- Beslay Charles, Mes Souvenirs, Genève, Slatkine, 1979.
- Bonhomme Eric (textes présentés par), De l’Empire à la République. Comités secrets du Parlement 1870-1871, Paris, Perrin, 2011.
- Dittmar Gerald, Les Francs-Maçons et la Commune de 1871, Paris, Editions Dittmar, 2003.
- Lefrançais Gustave, Souvenir d’un révolutionnaire, Villers-Cotterêts, Ressouvenances, 2009.
- Mayeur Jean Marie (dir.) et Schweitz Arlette, Les parlementaires de la Seine sous la Troisième République, 2 tomes, Paris, Publication de la Sorbonne, 2001
- Viellard Marc, Les Franc-Maçons et la Commune de Paris, Paris, Editions Maçonniques de France, 2003.
Eugène Pottier, créateur de l'Internationale. Eugène Pottier est célèbre mondialement pour avoir écrit les paroles de l' Internationale qui deviendra l'hymne du monde ouvrier. Voici brièveme...
http://www.jlturbet.net/2014/09/eugene-pottier-franc-macon-ecossais.html
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