En ce 8 mars 2013, journée internationale des femmes, j’ai souhaité parler d’une femme qui fut à son époque l’une des féministes les plus connues. Je veux parler de Madeleine Pelletier.
Son enfance est dominée par la personnalité de sa mère : fille illégitime, royaliste et catholique fanatique.
Elle lit énormément et à partir de 16 ans elle étudie seule. Elle veut sortir de son milieu par la culture intellectuelle. Elle prépare seule le baccalauréat qu’elle réussit avec la mention « Très bien » en philosophie, à 23 ans. Nous sommes en 1897. L’année suivante, elle décide de faire médecine. A l’époque il y a 4 500 étudiants dans cette discipline dont 129 femmes, parmi lesquelles 100 étrangères.
En 1902 elle est interdite de concourir à l’internat dans le service psychiatrique hospitalier, car « il faut jouir de ses droits civils et politiques » ! Comme on le sait, à cette époque, les femmes étaient considérées comme des mineures et n’avaient pas, en particulier, le droit de vote. Elle mène sa première campagne féministe avec l’aide de Marguerite Durand et de son journal « La Fronde ». Grâce à cette campagne, la loi est changée et l’année suivante Madeleine Pelletier passe avec succès le concours. Elle est ainsi la première femme interne des asiles psychiatriques de la Seine.
Ses études médicales terminées, elle devra cumuler l’activité de son cabinet médical (80-82 rue de Gergovie, quartier pauvre de Paris) - où les patients ne se précipitent pas, car on ne fait pas confiance à une femme médecin - avec des responsabilités d’urgentiste de nuit et de médecin fonctionnaire des PTT.
La féministe :
Toute sa vie Madeleine Pelletier sera rejetée par ses camarades de lutte, comme par beaucoup de féministes. Elle est différente. Elle s’habille en homme, et porte ses cheveux courts. Elle n’est pas une pionnière (rappelons-nous George Sand), mais elle est la première à donner un sens politique à son geste : « Si je m’habille comme je le fais c’est parce que c’est commode, mais c’est surtout parce que je suis féministe ; mon costume dit à l’homme : « Je suis ton égale » », écrit-elle.
« Je montrerai les miens [de seins] dès que les hommes commenceront à s’habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur ... » dit-elle.
Elle refuse toute forme de sexualité et valorise le célibat. La chasteté est pour elle une manière d’échapper à une sexualité où s’exprime la domination masculine.
Madeleine Pelletier est l’une des rares femmes déléguées syndicales du début du siècle, mais particulièrement âpre à défendre la cause des femmes.
La Franc-Maçonne :
Le 27 mai 1904 elle est initiée franc-maçonne au sein de la loge « La Philosophie sociale » de la Grande Loge Symbolique écossaise mixte et maintenue. La Grande Loge Symbolique Ecossaise était née en 1880 d’une scission de la Grande Loge Centrale du Suprême Conseil de France du Rite Ecossais Ancien et Accepté. La très grande partie des frères de la GLSE va fusionner en 1896 avec les frères de la Grande Loge de France, née en 1894. Quelques ateliers de la GLSE (six) vont fonder en 1901 la GLSE Mixte et Maintenue dont le dernier atelier s’éteindra en 1911. Les frères rejoindront alors la GLDF et les sœurs les loges d’adoption de la GLDF qui deviendront, en 1945 puis en 1952, la Grande Loge Féminine de France.
C’est Madeleine Pelletier qui va convaincre Louise Michel de devenir franc-maçonne. C’est chose faite le 13 septembre 1904 lorsque Louise est initiée dans loge « La Philosophie sociale » avec Charlotte Vauvelle (son amie et compagne depuis 1895) et Henri Jacob.
La carrière maçonnique de Madeleine Pelletier est aussi courte que fulgurante.
Elle devient vite une personnalité importante de la GLSE mixte et maintenue qui est, il est vrai, une micro obédiences (6 loges et quelques dizaines de frères et sœurs). Elle sera la secrétaire générale de cette obédience dès 1906.
Elle fera d’ailleurs battre le président de cette obédience, le frère Régnier, membre de sa loge. C’est elle qui devra partir de « La Philosophie sociale » (où Régnier compte de très nombreux soutiens) pour rejoindra la Loge « Diderot ». Moins d’un mois plus tard elle est l’oratrice de sa nouvelle loge..
Par ailleurs elle écrit beaucoup dans « le Bulletin Hebdomadaire des travaux de la Maçonnerie » (ou « Bulletin maçonnique »), organe de presse qui regroupe les obédiences masculines (Grand Orient de France en Grande Loge de France), mais aussi les obédiences Mixtes (Droit Humain et GLSE Mixte et Maintenue).
Elle écrit aussi dans la revue « Acacia ».
Elle tente de convaincre le Grand Orient de France « qui est la fraction la plus intéressante de la maçonnerie » selon elle, d’initier les femmes. Le Convent du GODF avait été saisi de la question en 1902 et 120 loges sur 300 avaient voté pour l’initiation des femmes.
Elle donne en loge des conférences sur des sujets variés mais qui correspondent toujours à son activité – voire à son activisme : « Les voies du socialisme », « de l’origine de l’homme », « Le droit à l’avortement », « la journée de huit heures », « Le spiritisme, une religion expérimentale », « l’amour libre ou de la moralité ou de l’immoralité du mariage », « le féminisme et les partis politique », « droit de la femme au suffrage universel » (conférence avec le profane Ferdinand Buisson), « la femme doit voter » et « la Franc-Maçonnerie doit ouvrir la porte aux femmes »…
Fin 1905 elle devient vénérable de la Loge « Diderot » tout en s’affiliant à une autre loge « La Nouvelle Jérusalem ».
Mais le 6 mars 1906, les représentants du GODF et de la GLDF, lassés de l’activisme incessant de Madeleine Pelletier, demandent aux obédiences mixtes de quitter le « Bulletin maçonnique ». Madeleine Pelletier menace (avec succès) de procès devant les tribunaux de la République, fait un scandale public et obtient gain de cause. L’assemblée générale, par 48 voix contre 29 repousse la proposition.
Madeleine Pelletier, fidèle à elle-même, poursuit son action au sein du « Bulletin », si bien que – malgré plus de 20 ans d’existence de l’hebdomadaire – le GODF et la GLDF sabordent l’association et en créent immédiatement une nouvelle, sans les loges mixtes (C’est-à-dire, en fait, sans Madeleine Pelletier) pour retrouver un peu de sérénité.
Immédiatement après c’est sa nouvelle loge « La Nouvelle Jérusalem » qui met Madeleine Pelletier en jugement maçonnique. De nombreux griefs sont portés à l’encontre de Madeleine Pelletier. Des récriminations de sœurs notamment. Était-ce fondé ? On ne le saura jamais.
Mais surtout, l’affaire du « Bulletin » avait laissé des traces. Les frères et les sœurs de la GLSE Mixte et Maintenue voulaient garder de bonnes relations avec les frères du GODF et de la GLDF que Madeleine Pelletier menaçait des tribunaux et livrait à la vindicte populaire.
Les frères et sœurs de la « Nouvelle Jérusalem » suspendent Madeleine Pelletier pendant un mois. Les 5 autres loges soutiennent Madeleine Pelletier et la maintiennent dans ses diverses fonctions. Voyant cela les frères de la « Nouvelle Jérusalem » quittent la GLSE Mixte et maintenue pour rejoindre la Grande Loge de France. Ils créeront une loge d’adoption pour continuer à accueillir les sœurs de leur loge.
Aujourd’hui la loge « La Nouvelle Jérusalem » existe toujours à la Grande Loge de France et il existe également une loge qui s’appelle « La Nouvelle Jérusalem » à la Grande Loge Féminine de France.
La vie maçonnique de Madeleine Pelletier est comme le reste de sa vie : marquée par le sceau du conflit et de la bataille. Rejetée de « La philosophie Sociale », exclue de « La Nouvelle Jérusalem », elle créé une nouvelle loge « Stuart Mill », qui entre évidemment immédiatement en conflit avec la GLSE Mixte et maintenue qui l’exclue peu de temps après.
Il semble que, là encore, son activisme forcené ai fini par user les patiences. « Stuart Mill » devient une loge indépendante avant de bientôt disparaitre à son tour…
La vie politique de Madeleine Pelletier prend le pas sur sa vie maçonnique. Elle tentera plus tard (y parviendra-t-elle ?) à rejoindre le Droit Humain. Mais son vrai désir était de rejoindre le Grand Orient de France enfin devenu mixte. Mais pour cela il faudra attendre Olivia Chaumont…
La militante :
Elle représente la région du Nord au congrès qui fonde le parti socialiste en 1905. Féminisme et syndicalisme sont pour elle étroitement liés.
Très impressionnée par les suffragistes anglaises, elle décide de franchir le pas. En 1910, le Parti Socialiste la présente aux élections dans une circonscription où elle n’a aucune chance. Elle obtient néanmoins 4 % des voix ! En 1910, elle est la féministe la plus connue en France et à l’étranger.
Membre du courant guédiste elle rejoint ensuite celui de Gustave Hervé qu’elle juge plus radical (celui-ci rejoindra ensuite le fascisme puis le nazisme).
En 1920 elle adhère au Parti Communiste et écrit dans « La voix des femmes », hebdomadaire d’extrême gauche, féministe et pacifiste.
En 1932, elle adhère au « Mouvement Amsterdam-Pleyel » contre la guerre.
En 1933, elle est accusée d’avoir pratiqué un avortement sur une jeune domestique. Elle est menacée de poursuites judiciaires. Elle se défend, le danger s’éloigne, momentanément.
En 1936, Madeleine Pelletier se réjouit de voir entrer des femmes dans le gouvernement de Léon Blum.
En 1937 elle est victime d’un AVC et reste confinée chez elle.
En 1939, la droite revient au pouvoir. Madeleine Pelletier est à nouveau accusée dans une affaire d’avortement (suite à une délation) sur une enfant de 13 ans, violée par son frère. La presse rapporte largement les faits. On perquisitionne son domicile. Mais elle est jugée irresponsable. Compte tenu de son état de santé, on réalise qu’elle n’a pas pu pratiquer cet avortement.
Cependant elle est jugée comme « un danger pour elle-même, pour autrui et pour l’ordre public » et condamnée à être internée.
Elle passe 48 heures à Sainte-Anne où 37 ans plus tôt elle avait fait des études de psychiatrie, puis est internée à l’asile d’aliénés de Perray-Vaucluse (à Epinay-sur-Orge), car elle ne correspond pas aux stéréotypes de « mère et d’épouse » !
Deux articles dans la presse dénoncent son internement comme politique. Elle recevra cinq visites d’Hélène Brion avant de mourir désespérée le 29 décembre 1939 à 65 ans.
L’histoire et la vie de Madeleine Pelletier pour l’émancipation des femmes est encore exemplaire aujourd’hui même si elle payât son engagement au prix fort.
Hétérodoxe, libre, indomptable et indomptée. Elle était toujours là où on ne l’attendait pas. Là à appuyer toujours où cela fait mal. Intransigeante sur le droit des femmes. Avec des idées bien à elle comme la chasteté. Sinon elle aurait été trop comme les autres féministes…
Un exemple ? Peut-être… En tout cas un exemple pour celles qui pensent qu’il faut vivre sa vie sans compromission. Ce n’est pas le chemin le plus facile pour qui veut une vie paisible et pacifiée. Mais Madeleine Pelletier n’était-elle pas faite plutôt pour le combat, la fureur et les cris ?
Oui, elle payât le prix fort de ses engagements et de ses combats : Elle finit seule et incomprise. Aurait-il été possible qu’il en fût autrement ?
Jean-Laurent Turbet
° Pour aller plus loin :
° Louise Michel franc-maçonne, sur ce site.
° La Loge « Diderot » Madeleine Pelletier, Louise Michel … et la Grande Loge de France, sur ce site.
° La Grande Loge Symbolique Ecossaise, ou les avant-gardes maçonniques (1880-1911), de Françoise Jupeau Réquillard, sur ce site.
° La « Jérusalem Ecossaise » va réunir la famille du REAA le samedi 8 décembre 2012, sur ce site.
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
Mes propos n'engagent que moi et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
Commenter cet article