Je vous propose la lecture de ce texte :
Les évangélistes ont-ils déformé les paraboles de Jésus pour les rendre compatibles avec la théologie de l’apôtre Paul ? En cause, la place des pagano-chrétiens et l’observance des prescriptions du judaïsme dans l’Église nouvelle.
par Alain Houziaux
Jésus a prêché ses paraboles aux alentours des années 30. Mais le texte que nous lisons dans les Évangiles, lui, date au plus tôt des années 60 à 70. Une question se pose alors : la manière dont Matthieu, Marc et Luc ont rédigé ces paraboles a-t-elle été tout à fait fidèle aux paroles de Jésus, ou, consciemment ou inconsciemment, ont-ils infléchi et actualisé les mots de Jésus dont ils avaient connaissance par la tradition orale pour qu’elles « collent » davantage aux questions qui se posaient alors dans la communauté chrétienne ?
Ces questions, c’étaient celles-ci : primo, l’Église chrétienne doit-elle continuer à reconnaître la légitimité du judaïsme dont elle est issue ? Secundo, de quelle manière doit-on accueillir dans l’Église les convertis qui ne sont pas d’origine juive, à savoir les païens de Rome, d’Athènes ou d’ailleurs qui se convertissent à l’Évangile, principalement grâce à l’action missionnaire de saint Paul ?
Les « pagano-chrétiens »
À ce sujet, l’Église naissante était divisée en deux courants. Celui de Pierre considérait que le christianisme n’était pas une religion nouvelle et était seulement l’une des branches du judaïsme. Pour être chrétien, il fallait donc d’abord être juif et se soumettre aux prescriptions du judaïsme. Pour ce courant, les païens qui se convertissaient au Christ de vaient, pour être accueillis dans l’Église, se faire circoncire, respecter le sabbat et manger kascher. En revanche, Paul et ses disciples considéraient que l’on pouvait être chrétien sans être juif et que les païens qui se convertissaient au Christ (les « pagano-chrétiens ») n’avaient pas à se faire juifs et devaient être accueillis dans l’Église exactement de la même manière que les chrétiens d’origine juive (les « judéo-chrétiens »).
Et, apparemment, les paraboles de Jésus, telles qu’elles sont rédigées dans nos Évangiles, semblent voler au secours des options de Paul et préconiser l’accueil sans condition des pagano-chrétiens dans l’Église, même si cela scandalise Pierre et les judéo-chrétiens.
Prenons l’exemple de la parabole du fils prodigue de Luc 15. Le fils prodigue représente les pagano-chrétiens : il a vécu fort longtemps loin de la maison du père, c’est-à-dire loin de la terre d’Israël et du Dieu d’Israël et de Jésus-Christ, dans un pays païen puisqu’on y élève des cochons, et il a fréquenté des prostituées (image de l’idolâtrie païenne). Et c’est sur le tard qu’il rejoint la maison du Père, c’est-à-dire l’Église du Dieu d’Israël et de Jésus-Christ. En revanche, le fils aîné, lui, représente les chrétiens d’origine juive qui, depuis leur naissance, sont restés fidèles à la maison du Père. Et la parabole montre que les pagano-chrétiens, tout comme le fils prodigue, doivent être accueillis dans l’Église et participer à la fête du veau gras (image peut-être du repas eucharistique), même si les judéo-chrétiens, tout comme le fils aîné, s’en offusquent et menacent de refuser de communier à la même table.
De même, dans la parabole des ouvriers de la onzième heure (Mt 20,1-16), les ouvriers de la onzième heure représentent les pagano-chrétiens qui se sont ralliés sur le tard à la « vigne » du Dieu d’Israël et de Jésus-Christ. Les ouvriers de la première heure, eux, représentent les judéo-chrétiens dont les ancêtres étaient depuis la « première heure » au service de Dieu. Et la parabole montre que les nouveaux venus , les chrétiens d’origine païenne, reçoivent la même grâce – le même salaire – que les chrétiens d’origine juive.
Et la parabole de l’intendant malhonnête, ou plutôt habile (Lc 16,1-8) ? Elle paraît tout à fait scandaleuse sauf si on la lit comme une justification de la position de Paul. L’intendant représente l’Église de Paul et les métayers, les païens qui souhaitent se convertir au Christ. L’intendant diminue la dette des métayers, c’est-à-dire les exigences auxquelles ils devraient être soumis, tout comme Paul atténue les exigences de la loi juive vis-à-vis des païens convertis, puisqu’ils n’ont ni à se faire circoncire, ni à respecter le sabbat, ni à manger kascher. Et le maître (qui représente Dieu) loue l’intendant, justifiant ainsi la position du courant de Paul.
Vignerons révoltés
Un message hostile au judaïsme ? Dans la parabole des vignerons révoltés (Mt 21,33-46), ces vignerons représentent les juifs qui mettent à mort le fils du maître (autrement dit les juifs ayant crucifié le Christ). Du coup, le maître donne la vigne en fermage à d’autres vignerons, c’est-à-dire à des non-juifs. Conclusion : dans l’Église, les païens convertis doivent prendre le relais des juifs et de la mission du peuple juif.
Et la parabole du Grand Banquet (Mt 22 1-14) ? Le roi appelle à son banquet d’abord les juifs, et ceux-ci se récusent ; le roi envoie alors ses serviteurs pour aller chercher « tous ceux qu’ils trouveront, méchants et bons ». Dans le contexte des années 60 à 90, ces serviteurs représentent Paul et ses disciples qui parcourent le monde gréco-romain pour appeler les païens au banquet de la bonne nouvelle du Christ. Ces païens sont ainsi appelés à remplacer les juifs qui ont refusé d’y participer.
Et la parabole des talents (Mt 25,14-30 ; Lc 1912-27) ? Dans ce même contexte, les deux premiers serviteurs représentent les missionnaires du courant de Paul. Ils mettent les talents qu’ils ont reçus (le trésor de la Parole de Dieu) dans le commerce du monde païen et, du coup, ils rapportent de nouveaux talents en gagnant à l’Évangile de nombreux convertis d’origine païenne. En revanche, le troisième serviteur représente le judaïsme et sans doute aussi le courant de Pierre qui refuse de faire fructifier le talent qu’ils ont reçu en terre païenne. Et le Maître de la vigne de conclure : « Retirez son talent à ce troisième serviteur et donnez-le à celui qui a dix talents. » Autrement dit, retirez leur mission aux juifs et au courant de Pierre au profit du courant missionnaire de Paul.
Antijudaïsme
Certes, cet antijudaïsme est bien inquiétant. Et une question se pose : qu’est-ce que Jésus lui-même a voulu prêcher et enseigner par ces paraboles ?
Pour Jésus, le fils prodigue, les ouvriers de la onzième heure, les pauvres et les estropiés invités au grand festin, les métayers de la parabole de l’intendant avisé représentent d’abord ceux qui étaient considérés comme de mauvais juifs (les publicains, les collecteurs d’impôts, les femmes de mauvaise vie) par les juifs bien-pensants, sûrs d’être dans la vérité et la vertu.
Mais il est aussi tout à fait possible qu’ils représentent également les païens, qui sont eux aussi au bénéfice de la grâce de Dieu comme cela avait déjà été prêché avant Jésus par les prophètes de l’Ancien Testament.
Mais ce que Jésus n’a certainement jamais prêché, c’est que la mission des chrétiens devait
remplacer celle du peuple juif. Jésus a certes voulu réformer le judaïsme de son temps, mais il n’a jamais pensé créer une Église nouvelle. Le christianisme ne doit être rien d’autre que le
judaïsme pour les non-juifs.
Source : Réforme.
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convient de soutenir et de fortifier.
° À lire en complément :
"Le Coran, Jésus
et le
judaïsme"
de Gérard Israël,
Alain Houziaux
et Khaleb Bentoumès DDB, 2004, 208 p., 21,01 €.
° Pour aller plus loin :
° Le site de l'hebdomadaire Réforme.
° Le portrait d'Alain Houziaux sur Wikipedia.
° Les livres d'Alain Houziaux, sur le
site de la FNAC.
° Le site de l'Eglise Réformée de l'Etoile.
° Rendre à César ce qui est à César, par Alain Houziaux, pasteur de l'Eglise Réformée de
France., sur ce site.
° Jésus était-il marié ? Par le pasteur Alain Houziaux., sur ce site.
° « Ceci est mon corps... ceci est mon sang », par le pasteur Alain
Houziaux., sur ce site.
° Peut-il y avoir une spiritualité sans Dieu ?, par Alain Houziaux, sur ce site.
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