Il y avait des relents d’années 1930 ce 24 mai 2013 devant le Grand Orient de France à Paris.
Des relents nauséabonds. Des relents qui donnent effectivement la nausée. Des relents de ligues factieuses.
A l’heure où de jeunes (et moins jeunes…) exaltés recyclent leurs idées dans les poubelles de l’Histoire, il est bon de remettre un tout petit peu les choses en perspectives.
Ils sont les disciples avoués ou non de cette extrême-droite que nous connaissons bien. Un cocktail détonnant mêlant catholiques traditionnalistes et intégristes, antisémites, homophobes, antirépublicains, antidémocrates, nostalgiques de Charles Maurras et de la Collaboration
Nostalgiques de la loi du 13 aout 1940 portant dissolution des « sociétés secrètes » (il est précisé peu après « les associations dites Grand Orient de France et Grande Loge de France »), nostalgiques de la loi du11 août 1941, une deuxième loi anti-maçonnique plus radicale encore, qui décrétait la publication au Journal officiel des noms des francs-maçons identifiés par le Service des sociétés secrètes et leur appliquait le Statut des Juifs.
Interdire la Franc-Maçonnerie, quelle idée neuve ! C’était déjà celle des Drumont, Déroulède, Boulanger, Maurras, Pétain, Le Pen… Bref de l’extrême-droite française depuis ses débuts…
Charles Maurras parlait dans ses Mémoires écrites en prison après la seconde Guerre Mondiale, pour définir ceux qu’il haïssait le plus, des « Quatre Piliers de l’Anti-France ». Ces quatre piliers sont, selon lui : « Les Protestants, les Juifs, les Francs-Maçons et les Métèques ».
Alors oui aujourd’hui, je me devais d’écrire ces quelques lignes. Justement parce que je n’appartiens par au Grand Orient de France. Parce que je m’inscris dans la lignée de la Franc-Maçonnerie de Tradition du Rite Ecossais Ancien et Accepté au sein de la Grande Loge de France.
La Grande Loge de France qui proclame dans l’article premier de sa Constitution :
« La Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité. (…) Dans la recherche constante de la vérité et de la justice les Francs- Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune limite ».
Je me souviens de notre Histoire, qui nous constitue et nous façonne, qui fait ce que nous sommes aujourd’hui.
Car, comme l’écrivait Bertolt Brecht dans « La Résistible Ascension d'Arturo Ui » à propos de la victoire contre le nazisme et le fascisme:
« Les peuples en ont eu raison, mais il ne faut
Pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt :
Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde ».
Alors je vous propose non pas quatre piliers mais trois jalons pour comprendre. Trois jalons essentiels à mes yeux et qui montrent la grande pérennité de la pensée des frères de la Grande Loge de France. A travers les mots de trois de ses anciens Grand-Maîtres : Gustave Mesureur en 1912, Michel Dumesnil de Gramont en 1945 et Henri Tort-Nougues en 1984.
Paroles que le Grand-Maître actuel de la Grande Loge de France, Marc Henry feraient certainement siennes, mais je ne peux évidemment parler en ses lieux et places.
1) C’est dans le premier numéro de la revue « Le Symbolisme », créée par Oswald Wirth en 1912 que s’exprime le Grand-Maître de la Grande Loge de France Gustave Mesureur. Voici ce qu’il nous dit :
« Il faut se rappeler aussi que la Franc-Maçonnerie a toujours été, sinon l'ennemie de l'Eglise catholique, au moins le contrepoids de son influence politique dans la société, que c'est une force qui ne fut pas inutile et que n'ont pas dédaignée même les Gouvernements légitimistes et impérialistes pour réfréner les exigences des cléricaux et modérer l'envahissement des Jésuites ; les attaques violentes et répétées de la presse cléricale actuelle contre les Francs-Maçons nous montrent qu'il n'y a rien de changé et que la bataille continue ».
A lire nombre de sites internet des catholiques intégristes et d’intégristes d’autres religions, nous ne pouvons que constater la pertinence toujours actuelle des propos du cher Gustave…
2) Résistant de la première heure, Michel Dumesnil de Gramont, Grand-Maître de la Grande Loge de France arrive à rejoindre Alger en 1943 pour soutenir le Général de Gaulle. C’est lui qui obtient l’annulation des décrets de Vichy contre la Franc-Maçonnerie.
Voici ce qu’il déclare devant le Convent de la Grande Loge de France en 1945 :
« ... Lorsque je débarquai à Alger à l'automne 1943, j'appris avec stupéfaction que les lois et mesures anti-maçonniques de Vichy n'avaient pas été abrogées. Ainsi à s'en tenir à la lettre des textes, la reconstitution des Loges et des Obédiences demeurait interdite... Je manifestai au Commissaire de l'Intérieur mon étonnement, pour ne pas dire mon indignation. Le Commissaire me répondit que les Maçons pouvaient se réunir comme il leur plaisait et que personne ne viendrait troubler ni incriminer leur Assemblée.
D'accord avec nos Frères les plus expérimentés de nos Loges d'Afrique du Nord, je rejetai catégoriquement cette solution hypocrite... Il ne s'agissait pas de rentrer dans la cité reconquise par une porte dérobée... au contraire, c'était au grand jour et avec la consécration des textes officiels que nos Loges devaient reprendre leurs travaux.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des démarches qu'il me fallut faire pour arriver à ce résultat. Qu'il me suffise de rappeler que le 15 décembre 1943, une Ordonnance conforme en sa rédaction à tout ce que nous avions demandé, annulait la Loi de Vichy sur les Sociétés dites secrètes et prescrivait la restitution de leurs biens... ».
Merci à Michel Dumesnil de Gramont d’avoir « libéré » la Maçonnerie Française tout entière et de lui avoir rendu son honneur et sa dignité.
3) Enfin, lors d’une conférence intitulée « Règles et principes de la franc-maçonnerie traditionnelle », donnée en 1984 dans le grand temple de la rue Puteaux, le Grand-Maître de la Grande Loge de France Henri Tort-Nouguès nous dit ceci :
« Le franc-maçon n'appartient pas à un ordre qui se veut uniquement et seulement contemplatif mais il veut être un homme d'action, un bâtisseur, et dans le cadre de la cité et de la société où il vit un homme responsable qui s'efforce de traduire son idéal dans ses actes ».
Et, conclu-t-il avec force: « la franc-maçonnerie, en tant qu'institution, a non seulement le droit mais le devoir d'intervenir dans la vie publique lorsque des fanatismes de toutes sortes, des systèmes totalitaires, en menacent l'existence même, détruisent les colonnes de ses temples, persécutent et assassinent les francs-maçons eux-mêmes comme elle l'a fait dans un passé récent, comme elle le ferait encore contre tout système totalitaire qui interdirait la franc-maçonnerie et persécuterait les francs-maçons ».
C’est bien le fanatisme dont parlait Henri Tort-Nougues qui s’incarnait, ce 24 mai 2013, devant les locaux du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris.
C’est bien pourquoi il faut s’indigner et condamner les propos et les actions des membres de ce « Printemps Français », ligue factieuse d’aujourd’hui à l’image de celle de Déroulède hier.
Et il faut le faire haut et fort.
Jean-Laurent Turbet
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
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Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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