«Il n'y a aucune raison de donner des signatures à Le Pen»
JEAN-MICHEL QUILLARDET, Grand Maître du Grand Orient de France
Vu sur le site du Parisien. Propos recueillis par Dominique de Montvalon
AVOCAT à Paris, Jean-Michel Quillardet est, depuis septembre 2005, le Grand Maître du Grand Orient de France (GODF). Avec 47 000 membres, c'est la première obédience maçonnique. On parcellise : défense des agriculteurs, défense des salariés d'Airbus, etc. Toutes les catégories défilent. On attend encore ce qui devrait être au coeur d'une campagne présidentielle : un projet pour la nation.
Quel jugement portez-vous, en l'état, sur la campagne présidentielle ?
Jean-Michel Quillardet. Elle n'est pas à la hauteur de ce que l'on est en droit d'attendre. Chacun des candidats - faut-il imputer cela au système médiatico-politique ? - se cantonne à la défense d'intérêts catégoriels, quelquefois même d'intérêts identitaires.
Etes-vous inquiet ?
Je suis déçu. Mais j'espère encore. Car il est important, dans notre société disloquée, que les candidats, avec souffle et éloquence, disent la nécessité de s'élever au-dessus de nos passions, au-dessus des intérêts particuliers.
Souhaitez-vous pour cela des confrontations directes entre candidats ?
En tout cas, cette idée qui consiste à faire poser des questions par des citoyens lambda choisis dans un panel est une très mauvaise chose. Ce serait là, prétend-on, une forme moderne de démocratie directe. En vérité, cela tire la campagne vers le bas, alors que nous aurions besoin - au lieu de cette fausse proximité, de cette fausse compassion - de vrais débats républicains arbitrés par des professionnels.
Les francs-maçons du Grand Orient ont-ils rencontré les candidats ?
Nous les avions invités. Mais avant le 31 décembre - date limite pour les loges car, après, nous préférons maintenir avec eux des distances - seul François Bayrou a pu venir. Cela étant, une association interobédiences (Dialogue et démocratie) a décidé d'organiser trois grands rendez-vous. Le premier a eu lieu le 13 février avec Nicolas Sarkozy. Puis, le 6 mars, ce sera François Bayrou et, le 3 avril, Ségolène Royal.
Devant eux, sur quoi insistez-vous ?
Nous avons adressé à chacun des candidats six questions. Elles ont trait à ce que nous considérons comme notre patrimoine intellectuel et historique : la défense de la laïcité.
Quelles questions ?
Nous leur demandons, par exemple, s'ils sont prêts à s'engager à ne pas toucher à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat. Nous leur disons notre crainte, après l'affaire de « Charlie hebdo » et des caricatures du Prophète, que l'on rétablisse un délit de blasphème. Et puis, affirmer encore plus le principe de laïcité, c'est dire que la démarche religieuse est respectable mais qu'il faudrait que l'on arrête avec ce statut particulier qui est encore donné aujourd'hui dans notre société à la seule pensée religieuse.
Le Grand Orient est classé à gauche traditionnellement. Penchez-vous du côté de Royal, ou faites-vous partie de ceux qui, à gauche, s'interrogent ?
Le GODF est historiquement classé à gauche à cause de notre rôle au XIXe siècle et sous la IIIe République, mais le GODF est très partagé. Chacun est libre, sauf de voter Le Pen. Nous ne donnons aucune consigne de vote. Comme Grand Maître, j'ai simplement le devoir de rappeler les valeurs qui nous rassemblent : outre la laïcité, une certaine conception de la République qui nous amène à exprimer les plus grandes réserves devant l'approche communautariste comme sur la question de la discrimination positive.
« Il y a dans nos rangs un intérêt pour Bayrou »
Sur ces questions, Nicolas Sarkozy a récemment évolué...
Il semble avoir effectivement modifié son discours. Mais nous attendons qu'il précise sa pensée sur le rapport Machelon, rendu public en décembre à l'initiative du ministre de l'Intérieur et qui semble indiquer qu'il faudrait, pour aider à l'expression religieuse de l'islam et des églises évangélistes, les financer. Ce rapport n'a pas été, à ce jour, désavoué.
Y a-t-il chez les « frères » une tentation Bayrou, malgré ses origines démocrates-chrétiennes ?
Le GODF est à l'image de la société française. Il y a donc sans doute dans nos rangs un intérêt qui se développe pour ce candidat. C'est tout.
Considérez-vous que le danger Le Pen est aujourd'hui sous-estimé ?
Je ne pense pas que Le Pen sera cette fois présent au second tour. Mais on assiste à une banalisation préoccupante du FN au point que de bons esprits en arrivent à dire que ce serait normal qu'on donne des signatures à Le Pen pour qu'il puisse être candidat. Je suis sidéré. Le FN n'est pas un parti comme les autres. A-t-on oublié 2002 ? Voilà un effet de plus de lepénisation des esprits.
Donc, pour vous, pas question de donner le moindre coup de pouce à des candidats en manque de parrainages ?
Non. Je ne vois pas pourquoi il faudrait le faire, et en particulier pour celui de l'extrême droite.
Quelle note donneriez-vous au bilan des douze années de Chirac à l'Elysée ?
La seule chose que je puisse dire, c'est que, du point de vue des grands principes du GODF, il aura été un vrai défenseur de la laïcité.
Pour vous, y a-t-il vraiment un danger populiste ?
On peut au moins s'interroger. Il y a un populisme rampant, né d'une certaine lepénisation des esprits.
Face à cela, qu'attendez-vous des candidats ?
J'aimerais qu'ils affirment avec plus de force leur amour de la République, et qu'ils disent plus clairement que le projet républicain né du siècle des Lumières et de la Révolution française, ce n'est pas quelque chose de ringard, mais, au contraire, l'avenir de notre société. Pour retrouver le sens du vivre ensemble, les individus ne doivent pas être réduits à leur profession, à leur couleur de peau, à leur ethnie ou à leur croyance, mais être tous porteurs de la citoyenneté universelle.
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