Vu sur le site Arouts Sheva un très bel hommage à Léon Ashkénazi par le Rav Yossef Attoun :
Manitou, un maître ''non'' disparu :
La disparition, voilà dix ans, de notre maître le Rav Askenazi – Manitou, fut une lourde épreuve pour tous ceux qui étaient, depuis plusieurs décennies, à l’écoute de ce renouveau profond de l’enseignement de la Torah - qui était aussi, pourrait-on dire, la Torah profonde du Renouveau d’Israël.
Quelques années plus tôt, alors que je l’accompagnais à la maison du Rav Tsvi Yehouda Kook, dont on venait d’annoncer le décès, il me dit : «Dorénavant, le monde sera tout différent …». Il y a dix ans, ces paroles résonnèrent à nouveau, sans que je sache qui les avait prononcées.
Pourtant, par un paradoxe dont il avait le secret, il semble bien que ces dernières années, l’absence change de visage : d’une absence imposée par sa disparition, elle prend peu à peu la forme d’une absence qui rend possible le jaillissement d’un renouveau; non seulement d’ailleurs, à travers ses proches disciples dans le public d’expression française, mais également dans un public israélien aspirant à un judaïsme à la grandeur de la génération du Retour.
N’est-ce-pas, en effet, de lui que nous avons entendu cet enseignement majeur, caractéristique d’une Torah si «grande qu’elle savait se concentrer pour se réduire en une virgule – ce que les Kabbalistes appellent «guevoura», vertu de notre père Isaac, réalisation de l’illimité ?... Voici l’enseignement : on connaît l’affirmation talmudique de Rabbi Akiba, selon laquelle «Véahavta – tu aimeras ton prochain comme toi-même : ceci est un principe grand, un principe fécond ("klal gadol" ) de la Torah». Manitou, introduisant une simple virgule, en donnait une lecture qui, bien que d’une conformité grammaticale absolue («état construit»), constituait un renouvellement de sens radical : «c’est le principe… d’un Grand de la Torah !», ponctuait-il avec une sorte d’humour, en prenant une fois de plus ses distances par rapport à une tendance du judaïsme actuel (déjà stigmatisée par le Maharal de Prague) à distribuer de façon inflationniste des titres de grandeur, bien souvent au détriment de l’amour des Juifs eux-mêmes…
Ainsi, c’est avant tout la sagesse de l’histoire, ou historiosophie juive, qui est au centre de ses propos. Plus précisement, l’histoire des engendrements («Toldot») et du développement de l’identité humaine, puis de l’identité d’Israël à travers le récit biblique, représente la trame de cette étude, d’une rigueur absolue. On s’attachera donc à déceler dans l’enseignement prophétique, ainsi que dans ses commentaires traditionnels, les germes de l’identité – père, afin de mieux comprendre les imbroglios de l’identité - fils. Tel personnage ou évènement (biblique ou non) ne nous intéresse pas en tant que tel ; c’est ce qu’il engendre qui retiendra toute l’attention, et c’est ce dont il est porteur qui lui donnera sa valeur intrinsèque. Une longue étude serait nécessaire pour approfondir et intérioriser l’opposition entre ces deux types d’hommes de moralité, dont l’Ecriture témoigne qu’il s’agit de deux «justes» pourtant très différents: entre la dynamique du perfectionnement chez Abram, devenant Abraham ("התהלך לפני" – «marches devant moi», lui demande D.), et la statique de perfection chez Noé ("את האלוקים התהלך נח" – «or Noé marchait avec D.»). Abraham apparaît bien comme l’Hébreu des Toladot («père d’une multitude»), tandis que Noé n’engendre que lui-même ! ("אלה תולדות נח, נח!" – « les engendrements de Noé : Noé…»).
Nous l’avons déjà noté : le Rav Askenazi – Manitou était l’homme des paradoxes, ou plutôt de la sagesse du paradoxe. C’est que son enseignement, héritier de la tradition prophétique, était au cœur même de la vie et de son Projet, dualité paradoxale des origines. A partir de là, toutes les ambivalences portaient l’espoir de leur propre élucidation : le Créateur et la créature, le caché et le dévoilé, l’exil et la rédemption, l’universel et le particulier, la modernité et la tradition, la Diaspora et Israël – quelques uns parmi les pôles essentiels d’une Pédagogie de l’éternel, qui saura survivre à l’éclipse du Pédagogue.
Rav Yossef Attoun - Co-direceur du CMEJ - Jérusalem (Centre Méir d’Etudes Juives)
Queques infos en plus :
Une loge du B'nai B'rtih a pris le nom de Manitou : Loge Manitou.
A lire absolument "La parole et l'écrit" Tome1 et Tome 2 de Léon Ashkénazy et Marcel Goldmann.
Voir l'article " Léon Askenazi et Emmanuel Levinas, de la distance à la proximité" de Georges Hansel.
Voir l'article " Espoir œcuménique et réconciliation judéo-chrétienne" par Léon Askénazi sur le site de l'Arche.
Les livres disponibles de Léons Ashkénazi sur Amazon.
En voici le programme :
Samedi 4 novembre à 20 h 30:
Contre le fanatisme et l'idôlatrie, la pensée de Manitou par Armand Abécassi, philosophe, écrivain
Président de séance : David Saada, directeur du Fonds social juif unifié
Dimanche 5 novembre :
14h-15h30 : Sources et racines qui ont forgé la personnalité de Manitou et l'originalité de sa pensée par le rabbin Claude Sultan
Président de séance : Caroline Sultan, secrétaire générale de l'association "les Amis de la Fondation Manitou" 15h30-17h30 : Table-ronde "L'apport de Manitou au dialogue judéo-chrétien" par le Révérend Père Jean Dujardin, ancien responsable des relations judéo-chrétiennes au Vatican, Alain Didier-Weill, psychanalyste et écrivain, et le Grand Rabbin Marc Raphaël Guedj, président de la Fondation interreligieuse Racines et sources-Genève. 18h-19h30 : Israël, la Terre convoitée par le Rav Abraham Weingort 20h30 : Le Centre universitaire d'études juives, un modèle qui a réussi par Raphaël Drai, écrivain, professeur de sciences politiques à l'Université Aix-Marseille III, et le Grand Rabin René-Samuel Sirat. Samedi 4 novembre en soirée et dimanche 5 novembre toute la journée, le Centre d’Art et de Culture, célèbre le dixième anniversaire de la disparition de Léon Askenazi. Informations pratiques: Espace Rachi - 39 rue Broca - Paris 5ème
Plus connu dans la communauté juive sous son nom de scout, Manitou, il a été un des personnages clé de la reconstruction intellectuelle de la communauté juive après-guerre.
Renseignements au 01 42 17 10 38
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