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Le Blog des Spiritualités

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Raison et déraison du christianisme par Jean-Daniel Causse.

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 24 Septembre 2006, 23:03pm

Catégories : #Protestantisme

Vu sur le site de Réforme.

Jean-Daniel Causse fut pasteur de l'Église réformée de France (Hautes–Pyrénées, puis Montpellier, 1986-1997). Professeur titulaire en théologie systématique et doyen de la faculté de théologie protestante de Montpellier, il est l'auteur de nombreuses publications.

Une lecture attentive et critique de l’allocution de Benoît XVI en montre les véritables limites théologiques et éthiques. La foi se heurte à ce qui, pour la raison, est absurde. La sagesse est de soupçonner ce qui s’affirme comme raisonnable.

par Jean-Daniel CAUSSE

Les critiques qui, de nombreux côtés, sont adressées au pape Benoît XVI à propos de sa conférence à l’université de Ratisbonne ne sont pas les bonnes. Une fois de plus on aura eu la manifestation d’une opinion fondée sur l’image et l’immédiat. Rares sont ceux qui auront pris le temps de lire attentivement le texte de la conférence de Benoît XVI et qui auront fait droit au fait premier que le propos s’inscrit dans un cadre universitaire. La conférence porte sur la raison et la foi et la question de l’islam y occupe une place assez marginale. La conférence prend comme point de départ – mais seulement comme point de départ – un dialogue du XIVe siècle sur le christianisme et l’islam entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un Persan cultivé. L’empereur soutient que la diffusion de la foi par la violence est une chose déraisonnable.

Pensée grecque et christianisme

Plutôt que de s’offusquer, il y aurait à répondre sur le plan de l’interprétation, c’est-à-dire en soulignant que les textes référentiels des religions peuvent toujours servir à justifier la violence. Or, au lieu d’une discussion, on a vu surtout des réactions courroucées, tirant – trop vite – la conclusion que le pape est tout simplement contre l’islam. La question posée est théologique, mais aussi éthique, et c’est sur ce plan que la discussion critique devrait s’engager. La ligne centrale que suit Benoît XVI se situe en effet ici : il y aurait une affinité fondamentale entre la pensée grecque et le christianisme. Cette affinité s’exprime en termes de logos qui signifie parole, mais aussi raison et elle conduit à penser et à vivre la foi chrétienne comme une réalité raisonnable. Plus encore, la raison est interne à la nature divine. Elle est un prédicat divin. Pour Benoît XVI, c’est exactement ce qu’écrit le prologue de Jean lorsqu’il dit que « le logos est Dieu ». L’Evangile de Jean voudrait ainsi dire, citons le texte, que « Dieu agit sun logô, avec logos », c’est-à-dire avec raison. La conséquence éthique est la suivante : agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu. La démarche suivie n’a rien de nouveau. Elle est représentative de toute une tradition spirituelle et théologique. Où porte la critique ? A au moins deux niveaux, l’un théologique, l’autre éthique.

- D’abord, le christianisme est-il raisonnable ? Il est étrange que le pape s’appuie sur le prologue de l’Evangile de Jean, délaissant la partie centrale qui affirme l’incarnation : le logos était Dieu. Et le texte biblique ajoute : le logos s’est fait chair. Cette conviction centrale du christianisme, déployée dans une conceptualité grecque, est totalement déraisonnable, incompréhensible, voire scandaleuse pour un esprit grec. Autrement dit, le christianisme est fondé sur ce que la raison ne peut concevoir parce que seule la foi peut le recevoir. Paul ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que l’Evangile de Jésus le crucifié est une folie pour les Grecs et un scandale pour les juifs (voir 1 Co 1,18-25). On sait, pour prendre un exemple historique, que c’est ce qu’Augustin a affronté : il pouvait, comme philosophe, concevoir sans difficulté que le logos était divin, mais il trouvait déraisonnable, jusqu’à sa conversion, l’idée d’un logos incarné, d’un dieu qui devient humain, c’est-à-dire qui vient naître, vivre et mourir sur notre terre. Il y a un moment où la foi se heurte à ce qui, pour la raison, est absurde.

Le basculement de la foi

Est-ce à dire que l’on méprise la raison ? Est-ce que l’on verse dans le fidéisme ? D’aucune manière. Il s’agit au contraire d’intégrer ce moment de césure dans une intelligence de la foi, mais surtout de soutenir que tout événement véritable, en réalité, introduit en nous un basculement. On passera alors sa vie à essayer d’en rendre compte dans un langage culturellement audible.

- Ensuite, on soutiendra ceci : c’est parce que la foi n’est pas déraisonnable, c’est parce que la foi est foi et rien d’autre, que justement elle ne peut pas être imposée par la contrainte. L’argument du pape ici se retourne, lui qui soutient, à l’inverse, que la foi ne peut pas être imposée par la force parce qu’elle est raisonnable. La Réforme protestante le disait, d’une phrase : la foi est un don. Mais il y a plus, et l’enjeu est éthique : la question en effet est de savoir qui sait ce qui correspond au raisonnable en Dieu. Comment discerner ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, si la raison est de nature divine ? On voit clairement ici que l’on doit faire appel à un savoir du maître et, disons-le ici, du magistère qui sait alors de savoir divin le bien et le mal, c’est-à-dire ce qui va dans le sens de la raison et ce qui s’y oppose. Après tout, les positions du magistère catholique sur la sexualité, la génétique, la politique, etc., sont, en sens, raisonnables.

En d’autres périodes, une telle logique a conduit justement à imposer ce que l’on déclarait raisonnable et que l’on ne pouvait contester sans être soi-même hors de la raison. On peut se réjouir d’être à un autre moment historique. Il y a plus de sagesse à constamment soupçonner ce qui s’affirme comme raisonnable, c’est-à-dire à interroger une raison qui est tout, sauf transparente à elle-même. La raison ne doit être ni humiliée, ni divinisée, mais utilisée avec discernement.

Jean-Daniel Causse


 

L’intervention de Benoit XVI à Ratisbonne

Extraits.

Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de l’édition publiée par le professeur Theodore Khoury (Münster) d’une partie du dialogue que le docte empereur byzantin Manuel II Paléologue entretint avec un Persan cultivé sur le christianisme et l’islam et sur la vérité de chacun d’eux. […] Dans le septième entretien l’empereur aborde le thème du djihad, de la guerre sainte. […] L’empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s’adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait. » L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable… Pour l’empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. […]

Ici s’ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation concrète de la religion, un dilemme qui aujourd’hui nous met au défi de manière très directe. La conviction qu’agir contre la raison serait en contradiction avec la nature de Dieu est-elle seulement une manière de penser grecque ou vaut-elle toujours et en soi ? Je pense qu’ici se manifeste la profonde concordance entre ce qui est grec dans le meilleur sens du terme et ce qu’est la foi en Dieu sur le fondement de la Bible. En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le premier verset de toute l’Ecriture sainte, Jean a débuté le prologue de son Evangile par les paroles : « Au commencement était le logos. »Tel est exactement le mot qu’utilise l’empereur : Dieu agit « sun logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole – une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison. […]

La déshellénisation apparaît d’abord en liaison avec les postulats de la Réforme au XVIe siècle. En considérant la tradition des écoles théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une systématisation de la foi conditionnée totalement par la philosophie, c’est-à-dire face à une détermination de la foi venue de l’extérieur en vertu d’une manière de penser qui ne dérive pas de celle-ci […].

Depuis très longtemps, l’Occident est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il ne peut subir qu’un grand dommage. Le courage de s’ouvrir à l’ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur – voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. « Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu », a dit Manuel II, partant de son image chrétienne de Dieu, à son interlocuteur persan. C’est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures.

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