Un homme, Vittorio de Filippis, ancien directeur de la publication et toujours journaliste de Libération, en France, aujourd'hui, est sorti de chez lui manu militari à 6 heures 30 du matin, menotté, humilié devant ses enfants, traité comme un criminel de haut vol (après qu'il lui a été notifié qu'il ne pouvait appeler ni sa femme ni son avocat), déshabillé, fouillé au corps au commissariat, présenté menotté devant le juge et devant son refus de répondre aux questions de la magistrate, mis en examen pour diffamation.
Quel est donc son crime ? Un braquage? Un viol? Des coups et blessures? Que nenni ! Une plainte pour diffamation déposée en 2006 suite à un commentaire posté sur le site de Libération, à propos d'un article dont il n'est pas l'auteur. M. de Filippis était pendant quelques mois responsable de la publication et donc "responsable" de ce qui est publié ausi bien dans le quotidien que sur le site de Libération. En voilà en effet une affaire qui mérite une telle débauche de moyens policiers !
M. de Philippis est-il un criminel en fuite? Visiblement non puisque les policiers ont facilement trouvé
son domicile personnel. Mais il est incriminé pour un fait qui a eu lieu dans le cadre de ses fonctions. La Magistrate ne connaît-elle pas l'adresse du siège social de Libération? Il est
inscrit dans l'ours de chaque quotidien... La magistrate ne connaît-elle pas les coordonées des avocats de Libération? Ils figurent dans le dossier puisque le plaignant a été condamné à
plusieurs reprises.
Rachida Dati, l'actuelle ministre de la Justice, qui n'en loupe décidément pas une, a
déclaré lundi au Sénat que la procédure était «tout à fait régulière» dans l’interpellation de Vittorio de Filippis, car quand «un citoyen ne défère pas aux convocations, on lui
envoie un mandat d’amener». Bin voyons ! C'est aussi simple que ça !
Après cette brillante déclaration, Nicolas Sarkozy a encore été obligé de jouer les pompiers. Quelques heures seulement après la déclaration de Rachida Dati il a fait savoir qu’il comprenait «l’émoi» suscité par l’interpellation de M. de Philippis et s'est dit étonné «des conditions d’exécution d’un mandat de justice, à l’occasion d’une affaire de diffamation».
Le chef de l’Etat a également «confié à la commission présidée par l’avocat général à la Cour de justice, Philippe Léger, la mission de travailler à la définition d’une procédure pénale modernisée et plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes».
Nicolas Sarkozy a enfin rappelé avoir demandé à la ministre de la Justice, Rachida Dati, de «mettre en œuvre les propositions de la commission Guinchard qui préconise notamment la dépénalisation de la diffamation».
Le projet de loi reprenant ces recommandations doit être examiné par le Parlement «dès le début de l’année 2009», selon le président de la République.
Le Parti Socialiste a aussitôt réagit par un communiqué stigmatisant de telles pratiques et apportant son soutien à M. de Philippis.
Car si la loi est mauvaise il faut changer la loi. La loi est-elle faite pour humilier les honnêtes gens ? Jusqu'à preuve du contraire M. de Philippis est un honnête homme qui n'a pas à subir les foudres de la Justice.
Monsieur de Philippis est un journaliste. Comme le rappelle Laurent Joffrin dans son éditorial - légitimement indigné - de Libération d'aujourd'hui, les journalistes ne sont pas au dessus des lois.
Mais les magistrates et les policiers non plus. Une enquête rapide et diligente s'impose pour trouver et éventuellement punir les éventuelles irrégularités.
Je crois, comme beaucoup d'autre en l'effet boomerang : visiblement la magistrate et les policiers voulaient, sous couvert du respect de la procédure, "faire un exemple" en "se payant" un journaliste. Je pense que si sanctions il doit y avoir, elles devront également être exemplaires pour que ni un(e) magistrate(e) ni des policiers n'aient plus jamais envie de "se payer" ou d'humilier de la sorte un honnête homme.
Un simple blâme ou un simple avertissement ne saurait suffire.
Car tout dans cette affaire est ubuesque. Maître Jean-Paul Lévy "choqué" par cette interpellation déclare qu'en 30 ans il n'a jamais connu de cas semblable.
Car des questions de bon sens s'imposent immédiatement :
1) Avait-on besoin de venir cueillir M. de Philippis chez lui à 6h30 du matin ? Non.
2) Avait-on besoin de l'humilier devant ses enfants? Non.
3) Devait-on laisser ses enfants mineurs sans surveillance? Non.
4) M. de Philippis devait-il être menotté dans le dos? Non.
5) Un policer devait-il lui lancer "vous êtes pire que la racaille"? Non.
6) Devait-il être fouillé au corps? Non.
7) Devait-on lui interdire de joindre sa femme ou son avocat? Non.
8) Devait-il répondre personnellement à la juge sans assistance de l'avocat du journal? Non.
9) Devait-on employer de telles méthodes en matière de diffamation? Non.
10) Cette façon de faire est-elle digne d'un grand pays démocratique? Non.
Et des questions se posent : La magistrate a-t'elle agit seule ou a procédure a t'elle été validée par sa hiérarchie? Si oui, par qui? Quelles ont été ses motivations? Une non réponse a une convocation justifie t'elle cette procédure? Quelle est la marge de manoeuvre des policiers? Sur quel ton s'adressent-ils à un honnête homme? Quel commentaires sont-ils habilités à faire? Doivent-ils menotter un homme qui n'est ni dangereux ni violent? Sont-ils forcés d'appliquer des méthodes humiliantes? Jusqu'à quel niveau la hiérarchie policière était-elle au courant? S'il le faut, une commission parlementaire devra tirer les choses au clair.
Ce n'est pas du tout anecdotique. Cette malheureuse affaire doit servir d'antidote immédiat aux trop grandes dérives qui s'annonçaient. Il faut arrêter la politique du tout répressif, de l'arbitraire, des procédures humiliantes.
Que cela serve au moins d'exemple pour l'avenir. J'espère que M. de Philippis obtiendra d'importantes réparations pour la façon inadmissible dont il a été traité. Je pense que nous pouvons compter sur la combativité de maître Lévy, soutenu par l'ensemble des journalistes, des citoyens et des partis politiques pour que justice soit faite.
Face à de tels procédés il faut aller jusqu'au bout et ne rien céder, car la moindre concession le serait sur l'essentiel.
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