Je vous propose aujourd'hui la lecture d'un artidle d'Alexandre Starbenskyqui a été publié sur le site d'Agoravox. Vous pouvez trouver cet article à l'adresse suivante :http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=40801
Voici cet article :
Semaine spéciale sur France Culture, diffusions et rediffusions d’émissions sur les grandes chaînes hertziennes, couvertures de tous les grands hebdos, outing à l’appui… En ces temps de regain médiatique pour la Franc-maçonnerie, une question revient immanquablement sur le tapis : celle de la place encore très marginale qu’y occupent les femmes, et, surtout, l’interdiction d’initier ces dernières au Grand Orient de France –, le GODF, la principale obédience maçonnique dans notre pays avec ses 50 000 membres. GODF qui se revendique pourtant à la fois fortement progressiste, aux membres issus majoritairement des rangs de la gauche et à la pointe des combats pour ce qui est sa devise depuis le 19e siècle : Liberté, Egalité Fraternité.
Une amie à qui j’exposais « les termes du débat » a coupé court à mon exposé en une phrase : « mais comment peut t’on en France, en 2007, se poser encore cette question ? »
D’autres profanes (les non initiés dans le « jargon » maçon) à qui je réitérai l’expérience me renvoyaient à chaque fois l’accusation soit d’hypocrisie, soit de sectarisme… Tous et toutes parfaitement imperméables aux différents arguments qui ont cours en loges.
Mes amies ne comprenaient tous simplement pas comment des « défenseurs de la Lumière » pouvait encore refuser d’intégrer en leur sein la moitié de l’Humanité, plus de 30 ans après la chute des derniers bastions de la non mixité !
Je me suis donc rendu à l’évidence de la terrible force de nuisance sur l’image même de la maçonnerie que constituait ce refus de l’initiation des femmes dans nos loges et, n’ayant pas d’avis tranché moi-même, me suis décidé à tenter, autant que faire se peut, à collecter les tenants et aboutissants de cet éternel débat.
Un petit rappel tout d’abord, pour lever un certain nombre de malentendus : nous, maçons « libéraux » appartenons à un courant minoritaire au sein du monde maçonnique, même si en forte progression.
La maçonnerie dite libérale, née en France dans le courant du XIXe, se distingue de la maçonnerie dite régulière ou anglo-saxonne (son berceau historique) par une émancipation, plus ou moins grande, de notre héritage chrétien et par l’affirmation d’un certain nombre de préceptes (liberté « absolue » de conscience, progressisme…) qui l’ont poussé à s’investir dans la vie publique (profane).
Au contraire de la maçonnerie régulière qui reconnaît la supériorité du « Vatican de la maçonnerie » (la Grande Loge d’Angleterre) et perpétue le respect de landmarks (règles) édicté au XVIIe (dont l’interdiction d’initié les femmes), la maçonnerie libérale est faite d’obédiences (groupements de loges) indépendantes mais qui se reconnaissent entres-elles (GODF, mais aussi Grande Loge de France, Droit Humain, Grande Loge Féminine… pour les principales dans l’hexagone).
Concrètement, si, appartenant au GODF, je peux librement « visiter » une loge de la Grande Loge de France, je ne pourrais jamais être accepté (et inversement) dans une « tenue » de la Grande Loge Nationale Française, la représentante de la maçonnerie régulière en France.
Indépendante (« souveraine » dans le jargon maçonnique), chaque obédience de la maçonnerie libérale peut édicter ses propres règles de vie : rites, sujets abordés (si le Grand Orient ou le Droit Humain interviennent très régulièrement officiellement et médiatiquement sur les questions de société, la Grande Loge limite drastiquement son intervention, en loge ou en dehors, sur les sujets uniquement philosophique) ou modes de fonctionnement.
Cette indépendance se vérifie tout particulièrement dans la position vis-à-vis des femmes : si toutes les obédiences libérales reconnaissent le droit aux femmes d’être maçonnes, chacune adoptent une attitude différentes vis-à-vis de leur initiation : si le Droit Humain, la Grande Loge Mixte de France initient hommes comme femmes, la Grande Loge ou le Grand Orient sont exclusivement masculines et plusieurs obédiences comme la Grande Loges Féminine de France ou la Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm initient uniquement les femmes, certaines loges refusant encore la visite de maçon(nes) du sexe opposé.
Un petit rappel général qui met à jour trois facteurs pourtant fondamentaux que beaucoup de commentateurs omettent immanquablement lorsqu’ils évoquent la place des femmes en maçonnerie. A savoir :
Que la Franc-maçonnerie dont nous avons l’habitude de parler dans le débat public en France (la FM libérale : GODF, GLF, DH, GLFF…) n’est qu’une branche tardive et minoritaire au sein de la grande famille maçonnique (elle n’est majoritaire qu’en France et dans quelques autres pays d’Europe continentale ou francophone et n’atteint un tel poids que dans nos pays et son « satellite » belge) ce qui ne l’excuse nullement mais permet de remettre les choses dans leur contexte, notamment aux regards des divers « rites » utilisées dans nos tenus, tous antérieurs à la scission (entre réguliers et libéraux) et qui font largement appel à une symbolique très masculine (épées, outils et tabliers de compagnonnage, chevalerie templière, ancien testament, Kaballe…).
Force est de constater que les origines, le ferment de la maçonnerie est foncièrement conservateur et « sexiste ». Historiquement, notre maçonnerie française se définie comme une hérésie, un détournement d’une institutions aristocratique dans ses premières années, bourgeoises ensuite.
Deuxième rappel d’importance : on ne peux pas parler d’une mais de plusieurs maçonneries. Notre branche libérale se définissant par ses velléités d’indépendance, avec ses nombreuses obédiences (plus d’une vingtaine rien qu’en France, de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de membres, sans parler des loges dites « sauvages » qui ne sont rattachées à aucune obédience) qui ont chacune leur propres règles, la maçonnerie ne peut s’attaquer de front. Au contraire, la position de chaque obédience doit être analysée au regard de sa propre histoire, identité, philosophie.
Enfin, troisième mise au point –et non des moindres, le débat concernant notre maçonnerie libérale ne se situe pas sur la reconnaissance des femmes (j’en croise « tous les jours » aux tenues où je me rends) mais sur le droit à leur initiation dans les différentes obédiences qui, bien que reconnaissant leur droit à être maçonnes, leur interdissent encore cette cérémonie.
Trois rappels qui permettent de lever une hypocrisie : en vérité, le débat atour de la place des femmes en Franc-maçonnerie n’est souvent qu’une attaque déguisée envers un seul et même accusé : le Grand Orient de France (qui, s’il accepte la visite de sœurs d’autres obédiences dans ses tenues, interdit jusqu’à aujourd’hui à ses loges d’initier des femmes).
Preuve en est : ni la Grande Loge, ni la GLFF, encore moins la GLNF, pourtant bien plus « rétrograde », ne sont l’objet de telles attaques.
Cette précision a pour mérite de bien séparer le bon grain de l’ivraie, les réelles interrogations de sœurs, de frères ou de profanes face à ce qui leur apparaît comme une contradiction entre les idéaux et la pratique de cette obédience dans une position aujourd’hui paradoxale (progressive à l’extérieure, traditionaliste à l’intérieur) et l’utilisation, partisane et de mauvaise foi, de cet ultime argument de la part de commentateurs, de journalistes ou d’hommes publics, profondément antimaçons (c’est-à-dire rétifs à la maçonnerie par allergie et non par réflexion) à court d’arguments valables.
S’il n’est pas le lieu ici de trancher cette question, il m’a parut utile de revenir sur les différents arguments des uns et des autres afin de pouvoir lever toute ambiguïté sur ce débat.
Le poids de l’héritage, tout d’abord, à son rôle.
Alors qu’il existe déjà de nombreuses obédiences qui initient les femmes, beaucoup de frères du Grand Orient avec qui je discute, à Paris comme en province, s’interrogent sur l’intérêt d’une telle réforme qui risque de brouiller l’identité du GO, voir d’entraîner son implosion pure et simple.
Ce refus du changement, qui peut paraître quelque peu archaïque en apparence, s’explique par le caractère hautement « traditionaliste », sinon régulier, au sens monastique du terme, de la Franc-maçonnerie.
Même si ses structures administratives répondent aux règles de l’association loi 1901 et qu’elle appelle ses membres à s’impliquer pleinement dans la vie de la Cité, la Franc-maçonnerie, dans son essence même, se définie comme une expérience à la fois intime et intemporelle, plus proche de la psychanalyse, des fraternités médiévales et des initiations antiques que de nos partis et syndicats contemporains.
Sans revenir plus longuement sur les tenants et aboutissants de « l’Art Royal » (comme on appelle parfois le travail en loge), n’est il pas un non-sens d’exiger une revendication aussi « actuelle » que la mixité intégrale à une institution qui se revendique des bâtisseurs du Temple de Salomon, compte ses années en calendrier biblique, dont les « grades » se nomment « Chevalier Kadosh » ou « Prince du Tabernacle » et dont les membres entendent toujours être à la recherche du mot perdu à la suite du meurtre d’Hiram, l’architecte du grand Temple de Salomon.
L’adhésion à ces symboles est indispensable à tout parcours initiatique véritable… Sinon, comment expliquer tout ce théâtre baroque fait d’acclamations, d’épées, d’allumages de bougies et serments auxquels nous nous prêtons presque toutes les semaines pour certains d’entre nous…
Dès lors que le parcours maçonnique se situe dans le registre de l’ésotérique ou du ritualisme pour certain, de la psychanalyse ou de la recherche philosophique personnelle pour d’autre, de tels refus n’ont plus à se justifier : chacun étant libre de la forme de ses réflexions intimes. Car, oui, la Loge fait indubitablement partie de l’intime de chacun de ses membres, le travail collectif sur soi étant à ce prix…
Si ce raisonnement peut paraître choquant, en totale contradiction avec les prises de position du GO à l’extérieur du Temple, elle n’est est pas moins dans la pure logique maçonnique, société qui se veut symboliquement détentrice d’expériences séculaires…..
D’ailleurs, de nombreuses discussions avec de nouveaux maçons (les effectifs du GODF augmentent environ de 1000 membres par an, ceux de la GLF de 2000…), chefs d’entreprises, fonctionnaires, médecins, travailleurs sociaux et même élus locaux, trentenaires ou quarantenaires, qu’on ne peut accuser de machisme ou de sexisme, et qui sont souvent rétifs à l’ouverture du GODF aux femmes, vient renforcer cette hypothèse.
Considérant leur loge comme un espace privé, intime même, vivant leur initiation comme l’appartenance à une communauté en dehors du champ social, ces derniers, par ailleurs militants ou actifs dans de nombreuses associations, viennent justement chercher un espace de réflexion collectif mais intime qui ne reproduise pas forcement la physionomie de la Cité dont ils veulent s’extraire un instant.
Si cet argument ne répond pas nécessaire par la négative à la mixité maçonnique, il apporte incontestablement un nouvel éclairage au débat !
Il convient en effet de bien séparer ce qui relève de l’idéologie de la maçonnerie libérale, très progressive, et du « parcours maçonnique » en lui-même, plus intime et moins redevable des règles sociales.
Et force de constater que, dans ce cadre, beaucoup de ces nouveaux maçons cherchent justement une enceinte purement masculine pour cette quête intérieure.
De nombreuses maçonnes revendiquent d’ailleurs elles-mêmes cet entre soi permettant dans les loges exclusivement féminines, « d’aborder l’Universel à partir de la singularité féminine » pour reprendre le mots de plusieurs d’entre-elle.
Je me pose même la question : n’est il pas bon de préserver, dans une époque de confusion entre espace public et espace intime, ces lieux qui, comme le préconise la tradition gnostique, préservés des contingences de la Cité, permettent une pensée plus libre et, ainsi, de construire plus sereinement la rencontre avec l’Autre.
« Non ! » me répond catégoriquement un nombre conséquent, quoi que à priori encore minoritaire de maçons du GODF, « l’ouverture de l’initiation aux femmes ne mettrait aucunement en péril le processus maçonnique, bien au contraire, comment voulez vous qu’une loge soit « juste et parfaite » sans intégrer la moitié de l’Humanité », l’autre moitié du ciel pour reprendre la célèbre expression !
Raisonnement qui sonne d’autant plus juste que les femmes vivent déjà le parcours initiatique selon les mêmes rites masculins. Et, confidence pour confidence, deux maçonnes étaient présentes à ma propre cérémonie d’initiation sans que cela ne m’ai nullement troublé (l’une m’avouant même plus tard « être presque plus émue que moi, vivant sa première cérémonie d’initiation masculine en 20 ans de maçonnerie »).
D’autres se font encore plus incisifs encore : « si le GO craint l’initiation des femmes, c’est qu’il n’a plus confiance en sa propre identité ! ». La peur que cette évolution entraîne l’hémorragie de membres vers d’autres obédiences non mixtes, voir une scission pure et simple, n’est il pas le signe d’un délitement de l’identité propre au GO, qui cherche sa place entre la maçonnerie clairement « sociale » qu’incarne le Droit Humain et celle, plus philosophique et apolitique de la Grande Loge (ou d’autres petites obédiences). Principale obédience française, constituée d’une kyrielle de loges aux multiples rites, de maçons aux motivations et aux parcours très différents, le GODF ne tiendrait il finalement que par cette double ligne : laïcité et masculinité, sceau de son histoire et de sa tradition (face à deux obédiences certes plus modestes en nombre mais à l’identité aujourd’hui plus affirmé) ? La question est posée, et le débat de l’ouverture aux femmes est peut-être l’occasion de répondre à ce doute certainement plus existentiel.
Car, troisième argument des partisans de l’ouverture aux femmes des loges du GO, c’est précisément ce maillage, fort de 250 ans de présence en France métropolitaine, outre-mer et à l’étranger, qui pourrait être le déclic d’une réelle –et tardive- féminisation de la maçonnerie.
En effet, selon l’expression consacrée, les chiffres parlent d’eux même : si dans notre pays les femmes ont pleinement accès à l’initiation maçonnique depuis 1901 et la naissance de l’Ordre maçonnique mixte international Le Droit Humain (le DH), aujourd’hui leur nombre atteint difficilement les 20 000 membres (principalement au sein du DH et de la GLFF) sur les 140 000 maçons hexagonaux. Moins de 15%,….
Alors même que notre pays vit une réelle « maçonnerie mania » avec un nombre toujours croissant de profanes frappant à la porte du temple, les chiffres de la maçonnerie féminine ne décollent pas, en raison peut-être de la faible visibilité des loges féminines…
L’ouverture aux femmes du GO, avec ses 1300 loges irriguant l’ensemble du territoire, présent dans chaque ville, presque chaque canton de France, donnerait certainement un réel coup d’accélérateur à l’arrivée des femmes en maçonnerie avec, surtout, l’ouverture vers des femmes issues d’autres horizons que les catégories plutôt urbaines et qualifiés qui prédominent actuellement.
Tradition contre pragmatisme ? Respect de l’essence initiatique contre ouverture à la société ? Je n’arrive moi-même à me décider pour telle ou telle solution.
En conclusion, et pour mettre tout le monde d’accord, je me ferais, l’espace d’un instant, docteur en droit maçonnique en rappelant l’un de ses piliers : la souveraineté des loges.
Permettre à chacune d’entre-elles de se décider, en toute liberté de conscience, permettrait certainement de sauvegarder leur égrégore interne tout en s’engageant dans une révolution en douceur dont chacun, finalement, connais l’épilogue à moyen terme…
Alexandre Starbensky
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