C'est aujourd'hui dans Libération que Catherine Coroller signe un article sur le sujet.
Vous pouvez lire cet article à l'adresse suivante : http://www.liberation.fr/actualite/societe/333214.FR.php
"Frangines indésirables au Grand Orient"
L'initiation de cinq femmes par des loges maçonniques déclenche un
scandale au sein de la société secrète.
Voici l'article :
C’est une première dans l’histoire du Grand Orient de France (GO), principale obédience maçonnique française avec 47 000 membres. Aujourd’hui, une femme initiée le 24 mai par
la loge Combats participera à sa première tenue (une réunion, en langage profane). Et quatre autres loges viennent d’initier chacune une femme. Des crimes de lèse-majesté,
l’appartenance au GO étant strictement réservée aux hommes. Vendredi, Jean-Jacques Mitterrand, le vénérable [le président, ndlr] de la loge Combats sera traduit devant la Chambre suprême
de justice maçonnique. La loge Combats dans son ensemble est même menacée de suspension. Le vénérable risque davantage, puisque d’après l’historienne Françoise Jupeau Réquillard (1), le
hiérarque d’une loge du Grand Orient qui avait initié une femme, en 1999, avait été radié par ce même tribunal maçonnique. Presque dix ans plus tard, les responsables des autres loges
également coupables d’«initiations sauvages», comme les qualifie Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand Orient
Libéral. Ces actes de dissidence marquent-ils une date dans l’histoire de la franc-maçonnerie française voire mondiale - les obédiences anglo-saxonnes étant encore plus fermées au deuxième sexe ? Par rapport à d’autres groupes francs-maçons comme la Grande loge de France (GLF), la Grande loge nationale française ou la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra, le GO est plutôt libéral. «Tous les soirs, dans nos ateliers [loges, ndlr], il y a des frères et des sœurs qui travaillent ensemble», proteste Jean-Michel Quillardet. «Au Grand Orient, les sœurs initiées ailleurs peuvent entrer librement alors que la GLF en est encore à les admettre sur invitation», confirme Françoise Jupeau Réquillard. Pour autant, le Grand Orient se refuse à aller plus loin en accueillant les femmes à égalité avec les hommes. «Ça fait cinquante ans qu’on en parle», reconnaît Jean-Michel Quillardet.
Pour les animateurs de la loge Combats, la situation n’évolue pas assez vite. D’où cette initiation «au nom de l’universalisme» et de «l’égalité entre les sexes». Jean-Michel Quillardet avait promis que la question de la mixité serait discutée lors du convent [assemblée générale annuelle, ndlr] du GO en septembre 2007 à La Rochelle. «Le débat n’a pas vraiment eu lieu», reconnaît le grand maître. Les délégués l’ont refusé. Mise au vote, «la possibilité pour les loges d’initier des femmes a été rejetée à 57 %», rappelle Jean-Michel Quillardet. Le grand maître admet que «compte tenu des pressions de la société», le débat sur la place des femmes dans la franc-maçonnerie «devient plus aigu». «Je crois qu’il faut une évolution.Mais je ne peux pas être d’accord avec ce passage en force. Il faut le temps que la prise de conscience se fasse. Peut-on rompre ainsi avec le pacte historique qui est le nôtre ? Si des femmes sont initiées, certains membres pourraient quitter le GO pour aller dans des obédiences exclusivement masculines.» Après l’échec de La Rochelle, le grand maître a reçu les loges dissidentes, et leur a promis une autre discussion sur la mixité lors de la prochaine assemblée générale, en septembre, à Lyon. «Nous avons un fonctionnement démocratique, ajoute-t-il. En ayant décidé de passer outre le vote du convent, ces loges sont en train de radicaliser les positions et de faire reculer leurs thèses». Les défenseurs du deuxième sexe répondent que les loges jouissent d’une entière souveraineté, et choisissent de faire entrer qui elles veulent. D’autant que, selon eux, rien dans les statuts du GO n’interdit l’initiation des femmes.
Traumatisme. Les positions semblent figées. Le grand maître minore l’importance d’un microputsch qui ne concerne que «6 loges sur 1 200», soit 700 francs-maçons environ. Sauf que les membres de la loge Combats semblent décidés à aller au bout. «Nous ferons appel devant la justice de notre pays», promet l’un d’eux. Pour une société qui cultive à ce point le secret, le traumatisme serait profond. D’autant que les tenants d’une stricte non-mixité risqueraient de perdre. «Je sais que notre position est juridiquement difficile», admet Jean-Michel Quillardet. Le code pénal punit en effet la discrimination contre une personne en raison de son sexe. Pour autant, la justice n’a pas les moyens d’imposer à la franc-maçonnerie un égal traitement des deux sexes. Tout dépend de l’évolution des mentalités des maçons eux-mêmes. Si 57 % des participants au dernier convent ont voté contre l’initiation des femmes, cela veut dire que 43 % ont voté pour. C’est déjà ça.
(1) L’initiation des femmes ou le souci permanent des francs-maçons français, édition du Rocher, Paris, 2000.
Commenter cet article