Plusieurs articles du magazine Réforme, hebdomadaire protestant, traitent de la question des caricatures de Mahomet.
"Il n’est pas inutile de rappeler qu’une image dessinée (au contraire d’une photographie) ne colle pas avec la réalité qu’elle représente et que, par conséquent, il n’y a aucun lien ontologique entre un dessin de Mahomet et le prophète. L’image n’est pas la personne, mais une interprétation de ce qu’elle représente pour ses auteurs. Mahomet n’est pas atteint dans sa dignité de prophète par une caricature, tout comme l’interdit islamique de la représentation du divin – qui reste non visible et non nommé – est ici respecté" nous dit Jérôme Cottin, théologien et historien d’art
Il poursuit : " L’interprétation de la caricature dépendra du contexte (social, historique, journalistique) dans laquelle elle se trouve. Dans le cas de la caricature de Mahomet, si elle est là pour dénoncer l’amalgame entre islam et terrorisme islamique, c’est bien ; si elle suppose cet amalgame, alors il est juste de réagir. Une même image peut signifier l’un et l’autre message.
Il existe de nombreuses caricatures de presse montrant le Christ, des personnages de la Bible, et même Dieu (un vieillard barbu sur un nuage, ou un triangle, ou les deux). Il ne s’agit pas d’attaquer ou de ridiculiser les chrétiens, mais au contraire de se servir de leur symbolique propre pour mettre en avant un fait d’actualité, une situation particulière. Pourquoi une telle expression ne serait-elle pas possible avec l’islam, autre grande religion monothéiste, elle aussi respectable, visible, mondiale ?
Les relations entre caricatures, Eglises et société furent pendant longtemps beaucoup moins paisibles. Certaines périodes connurent des caricatures très virulentes, qui utilisaient des thèmes religieux pour ridiculiser ou combattre le christianisme, ou pour montrer les écarts grandissants entre l’idéal chrétien et ce qu’en avaient fait les Eglises. Un dessin de l’artiste allemand Georges Grosz, datant de 1935, est à cet égard très parlant : l’artiste représenta le Christ crucifié en soldat allemand avec un masque à gaz sur la figure et des bottes de soldat. Ce dessin coûta un procès et même la prison à son auteur, alors qu’il s’agissait véritablement d’une parole prophétique, qui dénonçait à la fois les préparations à la guerre, le régime nazi, et la trahison des Eglises. Une caricature peut donc être à la fois agressive et prophétique, violente et libératrice. "
L'hebdomadaire interviwe également Lhaj Thami Breze, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui condamne les réactions violentes en Syrie ou au Liban. Il rappelle cependant : "Pour les musulmans, partout dans le monde, Dieu et ses prophètes ne peuvent être sujets à caricature ni à humour ou injure". Et plus loin : "Nous ne devons pas nous moquer de la foi et des convictions des autres, ni de leur visage, ni de leur être. On peut commettre bien des péchés, mais l’un des plus nocifs est de révéler ou de divulguer de mauvaises choses sur l’autre. Il me semble que l’Occident a perdu ses repères sur ce point. Plus rien n’est sacré, l’intimité et le secret de la personne n’ont plus droit de cité, on dévoile tout, on se moque de tout. Je le constate et le regrette fortement."
Il pense porter l'affaire devant les tribunaux : "Nous pensons ainsi en appeler aux tribunaux français pour ce qui est des publications qui ont été reprises par certains journaux dans notre pays. Il me semble que, si l’on doit respecter la liberté d’expression, on doit admettre certaines limites à cette liberté. On ne peut faire l’éloge du terrorisme sous prétexte de la liberté d’expression. Ce sera en tout cas aux tribunaux d’en juger. "
Jean-Luc Mouton dans son éditorial tient à replacer l'affaire dans le contexte danois : " Le problème naît réellement quand une dizaine d’ambassadeurs de pays arabes en poste au Danemark demandent audience au Premier ministre à propos de la parution de ces caricatures… Et se voient refuser toute entrevue avec le gouvernement. « L’argument est valable, commente Fleming Fleinert-Jensen, pasteur danois exerçant dans l’ERF. Le pouvoir politique, au Danemark comme dans toute l’Europe, n’exerce aucune contrôle, ni tutelle sur les médias. » Entretemps, un voyage de quelques leaders musulmans dans les capitales arabes, met le feu aux poudre en « diffusant de fausses informations et en alimentant la polémique par des dessins qui n’avaient pas été publiés au Danemark », selon Tove Andersen. Dernier avatar, enfin, la reprise par un journal chrétien évangélique norvégien Magazinet, qui a provoqué de nouveaux émois dans le monde et en Norvège. "
" Reste que la politique intérieure danoise détient peut-être aussi une part de responsabilité dans cette crise" poursuit-il. " Le gouvernement conservateur d’Anders Fogh Rasmussen semble avoir voulu montrer que la seule manière de vivre au Danemark était de s’assimiler et de se fondre dans le mode de vie danois. C’est en tout cas le sentiment de Dorte Oloe, pasteur à l’Eglise réformée de langue française à Copenhague. « Ce gouvernement, explique-t-elle, s’est allié à un courant d’extrême droite, le Dansk Folkeparti, conduit par une femme charismatique, Pia Kjaersgaard, qui défend des thèses xénophobes et clairement hostiles aux musulmans. »
La politique de l’immigration est en effet en passe de devenir ici l’une des plus restrictives d’Europe, où le regroupement familial est refusé et où les candidats à l’immigration doivent subir un véritable examen de langue, mais aussi de culture et d’histoire de l’Europe du Nord. (...) Au point d’agiter sérieusement l’Eglise luthérienne locale. Tandis que deux pasteurs luthériens de l’Eglise danoise, Søren Krarup et Kesper Langballe, jouent un rôle central dans la droite conservatrice, 200 autres ont dénoncé à Noël, lors de leurs offices, la politique d’immigration du gouvernement actuel."
"Il ne s’agit pas vraiment au Danemark d’un conflit de civilisation, « les Danois sont trop pragmatiques, souffle Tove Andersen. La rhétorique du “eux” face à “nous” que l’on entend ici signifie que les immigrés, musulmans ou pas, doivent s’adapter au mode de vie danois et non l’inverse ». Le Danemark est un peuple très homogène, explique notre interlocutrice, un peuple « quasi tribal », qui n’a pas reçu de grandes influences extérieures. « L’étranger était dans ce contexte accueilli chaleureusement en raison même de son exotisme », avance-t-elle. C’est fini aujourd’hui et, depuis le milieu des années 90. Les 7 % d’immigrés – pakistanais, turcs ou arabes – sont considérés de manière menaçante et inquiétante par des franges de plus en plus larges de la population. De quoi alimenter en tout cas les peurs réciproques. "
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