Nombre d’observateurs ont été pour le moins surpris des propos de Nicolas Sarkozy en terre
Vaticane appelant à l'avènement d'une "laïcité positive" qui sache "veiller à la liberté de pensée", mais qui "assume également les racines chrétiennes" de la
France.
Mais aussi une laïcité qualifiée par lui d’«épuisée » et «guettée par le fanatisme».
Le président de la République venait d’être intronisé dans l’après-midi «unique chanoine honoraire» de Saint-Jean-de-Latran, un titre conféré à tous les chefs d'Etat français depuis Henri IV. Pour mémoire, Saint Jean de Latran est la cathédrale de Rome,
c'est le premier sanctuaire dédié au Christ par Constantin l'empereur qui fit de la religion chrétienne la religion de l’Empire romain en 312.
Ce titre remonte à l’époque où la France était la «fille aînée de l’Eglise» (catholique) délivré pour la première
fois à un roi qui venait d’abjurer sa foi réformée.
Il est à noter que sous la 5ème République, ni Georges Pompidou, ni François Mitterrand n’ont souhaité aller
chercher ce titre inhérent à leur fonction mais qui marque surtout leur soumission à une puissance étrangère.
Je voudrais essayer d’expliquer pourquoi les propos du président ont pu choquer.
Tout d’abord parce qu’il s’exprimait depuis le Vatican. Nicolas Sarkozy a tout loisir de
parler de laïcité, en des termes qui lui appartiennent. Pour autant, il n’est pas forcé d’en parler depuis les terres vaticanes, siège de l’Eglise catholique apostolique et
romaine.
Nicolas Sarkozy a le sens de la symbolique. Celle qu’il nous envoie ici est celle d’un
retour à une soumission du pouvoir à l’église catholique. Et ça, ce n’est pas acceptable.
Ce n’est pas la première fois que le président essaie de s’en prendre à la loi de séparation
des Eglises et de l’Etat de 1905, celle qui fonde la laïcité à la française et qui est le socle de notre pacte républicain.
Rappelons en les deux premiers articles :
° art. 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
° art. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte.
Ce sont ces deux conditions, liberté de conscience, garantie du libre exercice des cultes,
qui fait que l’Etat est indépendant de tous les cultes qu’il a la charge de garantir sur le territoire de la République.
Il faut tout de même se souvenir que cette loi n’est pas venue ex nihilo. Elle vient achever
plus d’un siècle de combat acharné entre les républicains pour se défaire de la tutelle de l’Eglise catholique. Celle-ci est ramenée dans la sphère privée. Il faudra attendre la fin de la seconde
guerre mondiale pour que l’Eglise catholique (si compromise avec le régime de Vichy, malgré quelques exemples très minoritaires de religieux résistants) accepte enfin ce pacte qu’elle avait très
durement combattu jusqu’alors.
C’est ce conflit que le président Sarkozy risque de réveiller. Peut-être pour faire oublier
d’autres soucis bien plus actuels en faisant diversion sur ce sujet si sensible…
Car il confond très volontairement plusieurs niveaux, historique, spirituel, politique,
religieux.
Nous pouvons parler très sereinement des « racines chrétiennes de la France ».
Mais alors il faut en parler sous tous ses aspects et expliquer pourquoi cette relation entre l’Etat et l’Eglise a amené à la « laïcité à la française ».
Sur le plan historique, comment nier que la France a été fortement imprégnée de culture
chrétienne ? Il suffit de se promener dans nos villes et dans nos villages pour admirer nos églises et cathédrales, basiliques et couvents divers. Je suis de ceux qui déplorent d’ailleurs
que les jeunes – et les moins jeunes ! - soient bien souvent ignorants, d’un point de vue historique, de ce que représentent ces monuments et ne comprennent pas ce qu’ils
voient.
Mais le problème est ailleurs. Lorsqu’on parle de christianisme en France comme parle
Nicolas Sarkozy, on pense immédiatement à « catholique ». D’ailleurs le fait d’en parler devant le Pape confirme bien cette impression.
Or c’est fait l’impasse historique sur les christianismes français écrasés par l’Eglises catholique. C’est fait fi des mouvements dits
« hérétiques » (du point de vue de l’Eglise catholique) du Moyen-Âge, comme le mouvement Cathare sauvagement réprimé et passer à pertes et profits la Réforme qui gagne le royaume de
France dès le 16ème siècle.
Cela donnera les guerres de Religions si meurtrières, la Révocation de l’Edit de Nantes sous
Louis XIV et la traque et l’exil des Huguenots français.
Cela explique pourquoi la relation Etat/Religion et Citoyens/Religion est très différentes
selon les pays restés sous le joug du catholicisme et ceux gagnés par la Réforme.
Un grand pays démocratique comme les Etats-Unis (ou règne pourtant une stricte séparation
entre l’Eglise et l’Etat) n’a pas connu de querelle religieuse et celle-ci est très présente dans la société. Elle est souvent perçue comme libératrice et émancipatrice : pensons au pasteur
Martin Luther-King….
Point de querelle religieuse non plus dans l’Angleterre anglicane depuis la fin du
17ème siècle. Pas plus que dans l’Ecosse presbytérienne, la Suisse calviniste ou les pays nordiques. La forme démocratique de l’organisation religieuse à précédé ou accompagné les
changements politiques. Point de conflit alors entre les puissances spirituelles et temporelles.
Il en a été autrement dans les pays catholiques comme la France, l’Italie ou l’Espagne. Il a
fallu alors des siècles de luttes pour se défaire du cléricalisme et de l’obscurantisme imposés par la hiérarchie catholique.
Il a fallu le siècle des Lumières, les Philosophes, la Révolution et toute l’action des
républicains depuis le milieu du 19ème siècle pour arriver à mettre à bas l’hégémonie catholique. Autant de combats laissent forcément des traces, des plaies qu’il convient de ne pas
rouvrir.
C’est à cet inconscient là que le président Sarkozy parle. A son électorat le plus
réactionnaire qui voudrait bien voir revenir le bon temps de l’union entre le sabre et le goupillon. Et ce n’est pas non plus sans signification si Nicolas Sarkozy le fait devant le Pape le plus
réactionnaire depuis bien longtemps.
Je ne mets évidemment pas sur le même plan des arguments développés par des chercheurs comme
Jean Baubérot qui, très sincèrement et avec des arguments que l’on peut entendre même si on ne les partage pas, voudraient une évolution de la loi de 1905.
Non, Sarkozy parle à la France de la réaction. A une France qui a des relents et des
pulsions vichystes. A la vieille France anti-Lumières, anti-révolutionnaire, anti-Mai 68. A une France frileuse, repliée sur elle-même, ignorante de ses vraies valeurs et du génie
français.
A cette France qui s’est battue tout au long de son histoire, pour les droits de l’Homme et
du Citoyen, pour les droits des protestants, pour les droits des juifs, pour les droits des noirs et l’abolition de l’esclavage, pour Dreyfus contre la droite cléricale et antisémite, pour les
droits des ouvriers, pour les droits des femmes, pour la fin du colonialisme, pour la libération des mœurs, pour choisir comment mourir.
Peut-être même Sarkozy n’a-t-il pas conscience de la portée de ses actes et de ses
paroles…
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