Le pasteur Didier Crouzet, responsable des relations internationales de l’Eglise réformée de France, fait le bilan du 3e rassemblement œcuménique européen dans un article adressé à l'hebdomadaire
protestant Réforme.
Son témoignage en demi-teinte insiste sur l’encouragement reçu à poursuivre le chemin.
Par Didier Crouzet
«
Lorsque j’ai rencontré le mouvement œcuménique […], il se considérait comme impliqué dans une lutte : lutte spirituelle, sociale, non seulement pour l’unité des chrétiens, mais aussi pour le
renouveau de nos Eglises, de notre foi, pour la transformation du monde. Aujourd’hui, je suis convaincu que, plus qu’une lutte, l’œcuménisme est un appel et un voyage sous la conduite de l’Esprit
de Dieu. » Ainsi s’exprimait en 2003 le pasteur Konrad Raiser, alors secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises.
On ne saurait mieux décrire le 3e rassemblement œcuménique européen qui s’est tenu à Sibiu (Roumanie) en septembre. Loin d’être un événement isolé dans le paysage ecclésial, il se situe comme une
étape du voyage œcuménique.
Ce rassemblement se situe en effet dans le prolongement de ceux de Bâle (1989) et de Graz (1997). A Bâle, en terre protestante, fut affirmée la volonté d’une parole commune dans une Europe en
crise. A Graz, en pays catholique, s’est exprimé le désir de s’ouvrir à la diversité des Eglises d’Europe. A Sibiu, dans un contexte majoritairement orthodoxe, c’est le choix d’assumer les
différences et les divergences qui a été manifesté, non pas seulement pour s’en lamenter, mais pour les travailler en profondeur afin de les réduire. Le choix de Sibiu est à cet égard très
révélateur : depuis des siècles, luthériens « allemands » (la ville a été fondée par des Saxons au Moyen Age), réformés de langue hongroise, orthodoxes roumains, catholiques romains et grecs
y vivent ensemble.
Quelques ombres…
2 500 délégués catholiques, orthodoxes, anglicans, protestants se sont donc rassemblés en Roumanie autour du thème : « La lumière du Christ brille sur tous. Espoir de renouveau et d’unité en
Europe ». Quatre objectifs avaient été fixés à ce rassemblement : redécouvrir dans le Christ une lumière pour guider les chrétiens d’Europe sur le chemin de la réconciliation ; chercher ce que
cette lumière peut apporter à la construction de l’Europe ; donner un nouvel élan à la recherche de l’unité entre Eglises d’Europe ; faire entendre la voix des Eglises sur les questions qui
touchent notre continent : la paix, l’environnement, les relations entre religions, les migrations.
Quel bilan peut-on faire de ce rassemblement ? Deux lectures sont possibles. Une lecture pessimiste : les positions exprimées par les représentants protestants, catholiques et orthodoxes semblent
à première vue assez éloignées les unes des autres. En particulier, le discours sur les valeurs chrétiennes qui s’accompagne, chez certains orthodoxes, d’une remise en question de l’apport des
Lumières et de la défense de positions éthiques conservatrices (aux yeux des protestants !). Ou bien l’affirmation romaine selon laquelle l’Eglise du Christ subsiste dans la seule Eglise
catholique. Et aussi l’insistance sur les racines chrétiennes de l’Europe qui fait complètement l’impasse sur leurs mauvais « fruits » (croisades, Inquisition, pogroms, exclusions, intolérance…)
qui mériteraient d’être jugés à l’aune de l’impératif évangélique de justice !
Je fais pourtant de ces quelques jours une lecture optimiste, sous trois angles. D’abord, ce fut un événement unique au monde. Pas un seul continent en dehors de l’Europe n’est aujourd’hui
capable de rassembler à parité catholiques, orthodoxes, anglicans et protestants pour témoigner ensemble de la lumière du Christ et dire leur volonté de s’engager pour la construction d’un espace
humain réconcilié. Il faut mesurer la très grande portée symbolique de ce qui s’est passé à Sibiu.
… Et beaucoup de lumière
Ensuite, malgré ou avec les divergences exprimées, la volonté d’avancer ensemble a été affirmée. Ce fut un grand moment que d’entendre le cardinal Kasper (Conseil pontifical pour la promotion de
l’unité des chrétiens) déclarer à l’adresse des protestants blessés par le document romain publié cet été : « Vos douleurs et vos blessures sont aussi les miennes ! » Et un archevêque affirmer :
« C’est vous tous ici rassemblés qui constituez la véritable Eglise du Christ. »
Le message final reflète cette volonté de demeurer et d’avancer ensemble. Certes, nous ne serons pas tous d’accord avec l’ensemble des affirmations et propositions, mais assez cependant pour
continuer la route côte à côte. Nos Eglises ont une base claire pour creuser les points de désaccord et construire des convergences, dans la suite de la Charte œcuménique initiée à Graz. Il est
plus que jamais manifeste que l’œcuménisme est un pèlerinage vers la maison du Père, un long voyage semé d’embûches, mais également parsemé de vues magnifiques. Nous pouvons avancer sereins : le
point de départ et le point d’arrivée nous sont connus, c’est le Christ.
Enfin, l’engagement des participants s’est révélé décisif. Alors que le programme n’avait pas prévu de débat autour du message final, des délégués se sont spontanément approchés du micro,
manifestant ainsi la volonté de donner leur avis. Et ce sont des centaines d’interventions orales et écrites qui ont finalement enrichi le texte. Dans son intervention conclusive, le président de
la KEK, le pasteur Jean-Arnold de Clermont, déclarait d’ailleurs : « C’est la base de nos Eglises qui fait avancer l’œcuménisme. Les théologiens et les dirigeants suivront. »
En conclusion, je voudrais exprimer un regret et retenir un encouragement. Un regret : très peu a été dit sur la contribution des cultures du monde à la construction de l’Europe. Très peu sur
l’apport des théologies latino-américaines, africaines, asiatiques à la compréhension d’un Evangile pour aujourd’hui. Même si la recommandation n° 5 du message final appelle à valoriser la
présence des chrétiens non européens dans nos communautés, les exposés et le message final soulignent surtout ce que les Eglises d’Europe illuminées par le Christ peuvent apporter au monde.
Mais je retiens surtout un encouragement : les Eglises, ensemble, représentent une force de contestation et de proposition dans le champ politique. Elles ont des convictions et des réseaux. Leurs
paroles, leurs idées, leurs témoignages sont attendus par les responsables politiques, ainsi que l’a souligné le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Dans un continent qui
peine à dessiner son avenir, les Eglises et les chrétiens d’Europe auraient tort de se priver de parole.
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