J'ai été alerté par notre Bibliothécaire de la Grande Loge de France (l'excellent S.R) de la diffusion en replay d'un documentaire intitulé "Un mois chez les filles", dans la série "La case du siècle" sur France 5.
Voici l'histoire : Paris, 1928. La journaliste Maryse Choisy, à la demande de Fernand Aubier, son éditeur décide d'infiltrer le monde de la prostitution parisienne. De femme de chambre en maison close aux bals du milieu, en passant par danseuse dans un bar lesbien, elle rend visibles les prostituées et leur difficile condition. Elle tire de cette enquête un livre qui sera un immense succès et qu'elle conclut en demandant, presque vingt ans en avance, la fermeture des maisons closes. Entre documents d'époque rarissimes, archives improbables et scènes rejouées par Nine d'Urso et Jeanne Balibar, ce film fait revivre le reportage d'avant-garde de cette journaliste provocatrice dans le Paris souvent fantasmé des Années Folles.
Elle y évoque les filles, les maisons closes et toutes les sortes de prostitutions du Paris d'avant la crise de 1929, et surtout celui d'avant la loi Marthe Richard et la fermeture des Maisons closes (les plus fameux établissement étaient le Chabanais et le One Two Two - appelé ainsi car il se situait au 122, rue de Provence).
Quel ne fut pas la surprise de notre Bibliothécaire lorsque la narratrice se mit à évoquer "Le Bal du Sporting-Palace" comme lieu important où se retrouvaient les souteneurs (nous dirions aujourd'hui des proxénètes...) parmi les plus durs de Paris.
Car ce "Bal du Sporting-Palace" n'est autre que le Bal de l'Abbaye qui se trouve au 6 rue Puteaux, et qui jouxte le 8, rue Louis Puteaux, le siège de la Grande Loge de France.
Nous connaissons bien ce bal, dont l'entrée se trouvait effectivement au 6, rue Louis Puteaux mais qui se tenait dans la Crypte (aujourd'hui le restaurant du Cercle écossais de la rue Puteaux).
La Grande Loge de France avait fait l'acquisition des locaux en 1910 après avoir quitté le 42, rue Rochechouart dans le 9ème arrondissement de Paris.
Mais ces locaux étaient trop grand (et chers à entretenir) et il fallait trouver des revenus complémentaires.
De 1903 à 1923 il y aura une salle de cinéma, le Fééric Cinéma qui se tient au rez-de-chaussée et une piste de skating dans la crypte au sous-sol.
Pendant la 1ère Guerre Mondiale (1914-1918), sous la Grande Maîtrise du Général Paul Peigné, le passé Grand Maître Gustave Mesureur - qui est alors directeur de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris - transforme les locaux de la rue Puteaux en un hôpital de 28 lits, servant d’annexe à l’hôpital militaire Villemin.
En 1924 c'en est fini du cinéma qui fait place à un bal populaire le Bal de l'Abbaye. Dans la brochure de présentation de nos locaux éditée par la Grande Loge de France il est écrit que le cinéma avait fait place à "un bal populaire assez connu et plutôt bien fréquenté". Lorsque vous lirez la suite de cet article vous verrez que pour le "plutôt bien fréquenté" cela devait tout de même dépendre des jours...
Ce bal est connu et couru pour avoir accueilli Emile VACHER, (1883-1969) le plus célèbre célèbre accordéoniste d'avant-guerre (avant le frère Marcel Azzola, qui fut membre de la Grande Loge de France).
Emile Vacher est connu pour être l'inventeur de la Valse Musette qui connut un succès considérable.
Virtuose de l'accordéon diatonique, il se produisait habituellement avec Jean Peyronin au piano, Charles Chener dit "Charlot Jazz" au saxophone, et Gusti Malla, le gitan, au banjo et à la guitare.
Des "reines du musette" comme Damia, Fréhel, Emma Liebel ou Jane Chacun ont chanté au Bal de l'Abbaye de la rue Puteaux.
Emile VACHER a écrit "La Valse de l'Abbaye" en honneur du Bal de l'Abbaye où il venait souvent se produire.
Le siège de la Grande Loge de France était appelé "l'Abbaye" dans le quartier car la Grande Loge avait acheté un monument religieux important appartenant précédemment à des moines franciscains (récollets plus exactement).
La journaliste Maryse Choisy poursuit son récit. Elle se lie d'amitié avec "l'une des plus belles femmes de Paris", Lucie Badoud dite YOUKi, égérie compagne et muse du peintre franco-japonais Fujita avant de devenir celle de Robert Desnos qui lui consacrera un recueil de poèmes.
Voici ce que lui dit Youki et qu'elle note scrupuleusement dans son livre :
" Les maisons closes sont pour les enfants de cœur Maryse. Le vrai milieu c'est beaucoup plus dangereux. Frottez vous donc aux vrais maquereaux, aux marchands de viande. Vous les trouverez tous les lundis au fameux Bal du Sporting Palace.
Mais attention, là bas ne vous présentez pas comme journaliste ni comme femme de chambre mais faites vous passer pour une fille".
Vous l'entendez dans le reportage à la 29ème minutes (voir lien ci-dessous pour visionner le reportage).
Nous voyons donc bien quel type de clientèle pouvait fréquenter cet établissement qui par ailleurs était ouvert tous les soirs à partir de 20 heures 30 avec des matinées le dimanche et les jours de fêtes.
On a du mal à imaginer aujourd'hui - dans cette partie du 17ème (quartier de la Mairie) très "Boboïée" - avec tous ces jeunes bien comme il faut qui prennent des verres en terrasses des restaurants, combien ce quartier était populaire avant guerre (et jusque dans les années 1970/80).
A l'époque cette partie du 17ème arrondissement de Paris était extrêmement populaire. Si la rue des Dames qui coupe la rue Puteaux s'appelle la rue des Dames c'est qu'il y avait... des dames. Il y en avait également sur tout le boulevard des Batignolles, même autour du temple protestant, jusqu'à la place Clichy, puis ensuite en direction de Blanche et de Pigalle.
En souvenir de cette période il faut savoir que le temple protestant des Batiognolles et le siège de la Cimade et aide beaucoup les migrants, les pauvres et les délaissés.
Ma mère, née en 1922, qui avait passé sa jeunesse dans le quartier, ses parents habitants rue des Dames puis rue Darcet, m'a souvent parlé de ce Paris populaire. Les prostituées situées dans la porte cochère et travaillant "sous l'escalier" quand elle n'avaient pas "thurne" qui donnait dans la cour ou au 6ème étage - l'étage des domestiques... était le lot de presque tous les immeubles.
Le père de mon oncle tenait un café dans le quartier : normal il était originaire de l'Aveyron.
Les cafés ou "bougnats" de Paris étaient majoritairement tenus par des auvergnats et des aveyronnais. On y buvait et parfois on venait y chercher du charbon.
Leurs clients les plus fidèles étaient les maqueraux corses (pardon mais c'était la réalité sociologique de l'époque dont me parlait ma mère), qui allaient "faire leur marché" à Montparnasse à l'arrivée des trains venant de Bretagne où ils circonvenaient les "oies blanches" (les Bécassines...) avant de les mettre à turbiner sous dans le quartier de Montparnasse mais plus sûrement aux Batignolles, place Clichy et dans la zone entre Blanche et Pigalle...
Les maquereaux "surinaient" assez facilement les clients impécunieux et les filles rebelles...
Pour se remettre dans l'ambiance de ce Paris populaire on peut relire Alphonse Boudard (La Fermeture : 13 avril 1946, la fin des maisons closes, Robert Laffont, Prix Rabelais 1986 , ou L’Âge d’or des maisons closes, Albin Michel, 1990)
Heureusement aujourd'hui la prostitution - qui est un véritable esclavage moderne avec des criminels que sont les proxénètes - a disparu des environs de la rue Louis Puteaux.
Pour autant ce fléau continue de perdurer dans d'autres endroits de Paris et de sa Région. Nous pensons évidemment à ces femmes qui ont tellement souffert et qui souffrent encore de la prostitution.
Mais on ne peut refaire l'Histoire, même si l'on veut construire un autre et bien meilleur avenir.
Jean-Laurent Turbet
La case du siècle Un mois chez les filles
Paris, 1928. La journaliste Maryse Choisy décide d'infiltrer le monde de la prostitution parisienne. De femme de chambre en maison close aux bals du milieu, en passant par danseuse dans un bar ...
https://www.france.tv/documentaires/societe/5743821-un-mois-chez-les-filles.html
Regardez le documentaire " un mis chez les filles" diffusé sur France 5
La Valse de l'Abbaye d'Emile Vacher.
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