Article publié pour la première fois le 16 mars 2021.
Complété le 26 janvier 2023.
Je complète cet article originellement publié en mars 2021 pour vous signaler la sortie de la première biographie de Barlet sous le titre "F.-Ch. Barlet, fragments d'un histoire secrète" de Gilles Bucherie publié chez Alcor Editions en octobre 2022.
Il s'agit de la première vraie biographie de Barlet après l'article que V-E Michelet lui avait consacré en... 1937.
La biographie de Barlet par Gilles Bucherie est particulièrement remarquable et je vous invite à la lire si vous êtes des passionnés (comme moi) des mouvements ésotériques de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème.
Barlet - qui meurt à 83 ans - est l'une des figures principales et essentielles de ces mouvements
Barlet homme de l'ombre mais figure n'en est pas moins l'un des grands occultistes, ésotéristes et symbolistes de notre temps !
Jean-Laurent Turbet
Quelques mots sur Barlet
Albert Faucheux (né le 12 octobre 1838 à Paris et mort le 29 octobre 1921 dans la même ville) est le vrai nom de F-Ch Barlet (ne cherchez pas de "François-Charles" ou "Charles", "F-Ch Barlet" est son nom ésotérique et son nom de plume).
Il obtient son baccalauréat en 1864. Il va entreprendre des études de Droit à Dijon sous la pression de son père. Il obtient sa Licence en 1867, puis est admis dans l’Administration de l'Enregistrement. Il est affecté en Corse, puis en métropole. Il termine sa carrière à Abbeville en 1899 avec le titre de directeur de l'Enregistrement.
F.-Ch. Barlet est l’un des premiers membres de la branche française de la Société Théosophique, qu’il quitte à la même époque que Papus en 1888.
En 1887, aux côtés de Papus, Joséphin Peladan, Paul Sédir, Lucien Chamuel, Stanislas de Guaita, Augustin Chaboseau et de beaucoup d’autres, il est membre du Groupe indépendant des études ésotériques (GIDEE). Lorsque le GIDEE prend le nom d’École hermétique, F.-Ch. Barlet est l’un des sept conseillers, toujours avec Papus, de la Faculté des sciences hermétiques qui en émane.
Avec Papus encore, il est membre de l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix en 1888 — dont il devient le Grand Maître en décembre 1897 à la mort de Guaita — puis membre du Premier Suprême Conseil de l’Ordre Martiniste en mars 1891.
Il est possible que F.-Ch. Barlet ait connu Max Théon dès 1871. Il semble établi que, vers 1885, il est membre de la Hermetic Brotherhood of Luxor (HB of L) fondé à Londres par Théon3. Lorsque le « Mouvement cosmique » succède à la HB of L, F.-Ch. Barlet en devient le représentant à Paris.
Il est directeur de La Revue Cosmique de 1901 à 1903 et prend part à la publication des deux premiers volumes de La Tradition cosmique en 1903. À deux reprises, en 1900 et 1901, il rend visite à Théon dans sa propriété de Tlemcen.
F.-Ch. Barlet a en outre été « évêque » de l’Église gnostique fondée par Jules Doinel en 1890, et représentant en France du Centre ésotérique oriental, qu’il quitte en 1908 lorsque son fondateur, Albert de Saràk, est démasqué comme escroc.
Barlet adorait l'étrange ! Et nous, nous adorons Barlet le si discret !
Jean-Laurent Turbet
Victor-Emile Michelet est un poète ésotérique français, né à Nantes le 1er décembre 1861, mort à Paris le 12 janvier 1938.
Il est le compagnon dans sa jeunesse du théosophe Stanislas de Guaïta, et le disciple fervent d'Edouard Schuré. Il participe à la création avec Papus de l'Ordre Martiniste en 1890, et dirige à Paris la loge Velleda, consacrée à l'étude du symbolisme.
Bien que participant à la vie littéraire parisienne dès ses 20 ans, il ne publie son premier recueil de poèmes, La Porte d'Or, qu'à 41 ans.
Il fait un moment partie de la coopérative d'artistes de L'Encrier, 29 quai d'Anjou, dans l'île Saint-Louis, et y imprime de ses mains sur la presse-à-bras de L'Encrier, avec l'aide de Roger Dévigne, son poème "Le Tombeau d'Hélène", en janvier 1924.
Il habite 26 rue Monsieur-le-Prince (Paris 6e). Il participe en 1926 à la création de la Société des Études Atlantéennes, initiée par Roger Dévigne (qui en est le président) avec Paul Le Cour (qui en est le secrétaire général), et fait partie de son conseil d'administration. Il participe alors à des conférences en Sorbonne sur le thème de l'Atlantide. Puis lors de la scission entre Paul le Cour et Roger Dévigne en 1927, il suit Paul Le Cour.
Il devient président de la Société des Poètes Français en 1910, puis membre de la Maison de Poésie en 1932
De la rédaction de la « Jeune France », dont il fut secrétaire de 1884 à 1888, il passa en même temps à celle de la « Grande Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg » (1888-1889), puis dirigea la revue « Psyché » (1890-1891) et l' « Humanité nouvelle » (1899-1903), et collabora à diverses publications d'hermétisme.
En librairie, il a donné notamment : l'Ésotérisme dans l'art (1890) ; Contes surhumains (1900) ; Contes aventureux (1900), que couronna l'Académie française, et des poèmes : la Porte d'or (1902), qui obtinrent le prix Sully Prudhomme l'année de sa fondation ; l’Espoir merveilleux (1908) ; des études : l’Amour et la magie (1909) ; Figures d’évocateurs (1913).
Au théâtre, E. Michelet a donné : le Pèlerin d'amour, un acte en vers, représenté à l'Odéon en 1903 ; Florizel et Perdita, drame lyrique en quatre actes, imité de The Winter's Tale (le Conte d'hiver) de William Shakespeare, musique d'A. Rabuteau (1904) ; la Possédée, tragédie en deux actes (1914).
A ces œuvres, il faut ajouter les Portes d'airain (1920), le Tombeau d'Hélène (1926), la Poésie symboliste (1927), le Secret de la chevalerie (1928), Introduction à la vie ardente (1931), Théâtre (1932), Promenades au jardin des esprits et des formes (1934), Deux Poèmes télépathiques (1936), les Compagnons de la hiérophanie (1938), souvenirs sur le mouvement hermétiste à la fin du XIXe siècle.
Le 29 janvier 1937, il a été nommé chevalier de la Légion d'honneur.
En décembre 1937, quelques jours avant sa mort, Victor-Emile Michelet publie "Les Compagnons de de Hiérophanie".
Ce sont ses souvenirs de ses amis occultistes : "Dans ces pages évoquant des souvenirs, je n'ai parlé que d'auteurs morts, qui furent mes amis. Il est encore de ce monde quelques survivants qui sont mes émis".
Ce livre est paru chez Dorbon-aîné en décembre 1937.
C'est dans ce livre que j'ai recopié le portrait qu'il donne de F-Ch Barlet. Des lignes évidemment essentielles.
Bonne lecture,
Jean-Laurent Turbet
Le portrait de F-Ch Barlet se trouve pages 79 à 83 de l'édition originale de 1937.
Voici ce qu'écrit V-E Michelet de F-Ch Barlet :
BARLET
Voici une figure qui est toujours restée dans la pénombre où elle se plaisait. Et pourtant, F-Ch Barlet à qui conviendrait si bien la qualification gravée sur des tombes de religieux "vénérable et discrète personne" a été mêlé à presque tous les cercles d'ésotérisme de son temps. Quelquefois même il eut la faiblesse de ce laisser annexer à des groupements qui désiraient simplement se parer de sa haute honorabilité. C'est que cette manière de saint laïque ne savait pas refuser de rendre un service, même à qui en était indigne.
Ecrivain terne, personnalité effacée, Barlet avait une autorité considérable, due autant à ses connaissances encyclopédiques, à sa science sûre, qu'à sa droiture, et, comme on eût dit au XVIIIe siècle, à ses vertus.
- Je vous prie, disait Barlet, peu de temps avant sa mort à une dame de mes amies, ne m'appelez pas "maître". Je ne suis qu'un vieil étudiant.
Ainsi se définissait-il avec sa modestie charmante. Mettons : un étudiant transcendant. En effet, Barlet, supérieur à son œuvre écrite, a passé sa longue vie laborieuse dans des études sans fin dont il n'a pas confié à l'écriture tous les importants résultats. Sans doute en a-t-il condensé une grande part dans une œuvre inédite sur le Zodiaque et les génies planétaires. Ceux qui ont entendu sa parole dispensée selon sa constante douceur et sa complaisance sans limite, gardent de son esprit et de sa science une idée beaucoup plus haute. Le causeur s'épanchait en enseignements fraternels qu'il eût hésité, par scrupule intellectuel, à fixer sur le papier. "Les dix, dit Shakespeare, font de nous ce que nous faisons des torches : nous ne les allumons pas pour elles-mêmes". Les dieux se servirent de Barlet, surchargé de connaissances, pour répandre par ses conversations des fragments de ses connaissances. Ainsi se servirent-ils aussi de deux autres causeurs singulièrement intéressants. La parole élégante du grand gentilhomme Saint-Yves d'Alveydre, au cours des dimanches que j'ai passés dans son petit palais de Versailles, se maintenait constamment dans les hautes régions spirituelles.
Sa parole et celle de Villiers de l'Isle-Adam sont les plus fortes que j'ai entendues - et j'eus l'occasion d'entendre les causeurs les plus réputés en nos temps -. Le docteur Favre déchaînait une rhétorique géométrique dont l'abondance trouait d'aperçus fulgurants. La parole de Barlet, toujours d'expression très simple, était une calme rivière charriant des paillettes d'or.
On appartient à une génération intellectuelle non par son âge, mais par ses affinités. Bien qu'il fût notre aîné, nous le considérions comme faisant partie de notre génération dont la plupart des représentants sont morts. Au temps des débuts de la revue L'Initiation il apparaissait parfois, rue de Trévise, dans cette chaudière d'idées qu'était la boutique de Chamuel. Comment, à Boulogne-sur-mer, où il était directeur de l'enregistrement, trouvait-il tous les livres nécessaires à ses études ?
Je le connus alors au cours des congrès qu'il venait passer à Paris. Tel qu'il était en ce temps-là, je le retrouvais dans les dernières années de sa vie, allant quérir au carrefour Buci dans un filet les trois ou quatre légumes qui constituaient sa nourriture. Si ses cheveux et sa barbe étaient devenus de neige, ses yeux noirs étaient toujours de flamme et l'aisance rapide de sa démarche attestait que la perpétuelle jeunesse de son esprit se répandait en ses membres. Ses yeux toujours jeunes avaient jeté sur le monde des idées des regards d'une curiosité passionnée et charitable.
Cette curiosité, ou plutôt cette studiosité, cette faim de connaître l'induisit à étudier nombre de ces doctrines équivoques et scoriacées qui pullulent aux alentours du temple d'Hermès. En chacune il comptait découvrir quelque détail intéressant, quelque aperçu qui correspondrait à la sûre et ferme doctrine immuablement maintenue d'âge en âge par la seule lignée des maîtres jamais encore interrompue. Le goût de la recherche constante a pu faire croire chez Barlet à un flottement dans ses convictions. Ceux qui l'ont connu savent qu'il n'en est rien.
Et tous ceux qui ont lu son Essai sur l'évolution de l'idée ont été frappés par la fermeté de son jugement comme de la rectitude de sa vision.
Il était l'homme des grands coups d'œil embrassant les faits, les idées, les doctrines et les symboles, et pénétrant les secrets de leur vie sur des plans différents. En une époque où l'Ecole se disperse dans des minuties, il voyait synthétiquement. C'est pourquoi il aura été si peu remarqué de ses contemporains. Sa méthode qui lui est le plus personnelle, soit cette habileté à rassembler dans de vastes tableaux les mouvements des concepts et des connaissances, dépasse les habitudes un peu étriquées des esprits contemporains.
De sa pénétration des secrets de la haute science, Barlet avait tiré des applications, des méthodes pour la sociologie ou la pédagogie, applications et méthodes qui s'accordaient pleinement avec celles de Saint-Yves d'Alveydre. Au cours des conversations si vivantes avec l'un et l'autre de ces deux esprits, ils inclinaient volontiers vers ces sujets. Mais... trahit sua quemque voluptas : je voulais les ramener à des sujets qui m'étaient plus proche de l'esprit. Barlet connaissait tous les mythes et toutes les légendes et il avait la facilité de les réduire à leurs significations profondes, comme on réduit des fractions au même dénominateur. C'était là que je me plaisais à conduire sa parole, riche toujours d'enseignements et de vues pénétrantes.
J'aurais toujours présente à la mémoire une de ces conversations qui fut nettement prophétique. Je le rencontrai sur la place Saint-Michel dans les premiers jours de juillet 1918. il est facile de nous souvenir qu'à cette date, la situation était assez inquiétante. Nous attendions les derniers coups de bélier de l'armée allemande, qu'on annonçait formidables.
- Et bien, demandais-je à Barlet, vous avez dressé le thème des événements ? Que présagez-vous ?
- Oui, répondit-il, les aspects sont très bons. Vénus, qui est notre protectrice, va entrer dans une position favorable. La seconde quinzaine de juillet sera bonne pour nous et marquera le point de départ du succès. Au mois d'août, la situation sera meilleure encore et meilleure encore en octobre. Le vois la fin de la guerre avant celle de l'année. Mais je ne vois pas la paix avant deux ans. Il y a un point, ajouta-t-il, sur lequel je me suis trompé : Pour la Russie, au lieu de me baser sur le thème de cette puissance, je me suis basé sur celui de Nicolas II, et j'avais trouvé : mort de ce Tsar. (A cette époque on ignorait le décès de Nicolas II).
Une heure durant, nous nous efforçâmes de suivre "de l'autre côté" les concordances avec les événements qui bouleversaient la planète entière. Le sublime voyant de l'Illiade a montré le déroulement de la guerre simultanément sur le plan terrestre et sur le plan des causes secondes. Les choses se passent toujours de la même manière. Nous essayions de suivre les conflits des forces cosmiques pesant sur les conflits des hommes, "inclinant" certains, nécessitant les autres. Nous voulions voir les mouvements des Hiérarchies du monde invisible. Ce jour-là, je quittai Barlet, bien convaincu du procès favorable des événements.
Un regret aujourd'hui me tient : c'est que de toutes les richesses intellectuelles entassées par Barlet la plupart n'auront pas été présentées dans des ouvrages strictement composés. Je sais bien qu'il a dispersé sa pensée dans des articles parus de côté et d'autre. Il y a tant de gens qui sont trop occupés d'enseigner pour avoir le temps d'apprendre quelque chose; Barlet était trop occupé d'apprendre pour avoir le temps d'enseigner.
Victor-Emile Michelet
In "Les Compagnons de la Hiérophanie. Souvenirs du mouvement hermétiste à la fin du XIXème siècle".
Editions Dorbon-Aîné, Paris, 1937.
Article "Barlet", pages 79 à 83.
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