«Et que dit Rachi?» Cette question rituelle rythme toujours aujourd'hui encore l'étude traditionnelle de la Bible et du Talmud. Rachi l'exégète parfait, le modèle absolu de l'érudit du texte sacré.
Son nom est l’acronyme de Rabbi Chlomo Iẓḥaḳi (rabbin Salomon [fils] d'Isaac, en hébreu : רבי שלמה יצחקי).
Rachi est né à Troyes en Champagne vers 1040 et il est mort dans la même ville le 13 juillet 1105. Rabbin médiéval français célèbre pour son exégèse juive de la Bible et du Talmud, il est l'une des personnalités les plus influentes de tous les temps du judaïsme.
« Il est la première référence. Le premier secours. Grâce à une étincelle venant de lui comme un sourire, tout s’éclaire» nous dit Elie Wiesel, qui lui rend un hommage poignant, dans ce livre bref (130 pages) et singulier.
Rashi est en effet l’une des figures majeures de la pensée juive et il fut l’un des plus grands commentateurs du Talmud. "Mystique selon les uns (...), rationaliste scientifique selon tout le monde, il rend abordable et familier ce qui ne l'est pas" (p50).
"En scrutant ces commentaires, l'élève y trouve la lecture rabbinique qui domina la créativité juive à travers les siècles: le plus grand, comme le Gaon de Vilna, et le plus chétif dans son école perdue se penchaient sur celle de Rashi pour comprendre l'Ecriture ou le Talmud" (p55).
La légende rapporte que ses parents possédaient une pierre précieuse, que l’Eglise voulut leur acheter ; plutôt que de céder à la tentation, ils jetèrent cette pierre à la mer – et le ciel, en récompense, leur donna un fils qui, par son esprit, brillait plus encore que cette pierre précieuse.
Mais Rashi n’est pas que légende : il est aussi le témoin d’une époque où la communauté juive, en France, jouissait d’un certain prestige et d’une certaine renommée. Nous connaissons tous les heurts et malheurs du peuple juif au 11ème siècle à l'époque des croisades. Bannis, expulsés, spoliés, le sort des juifs en royaume de France ne fut pas toujours enviable, loin de là!
Pourtant que l'un des plus fameux exégètes et penseurs du judaïsme mondial soit français démontre bien - s'il en fallait encore une preuve - que le judaïsme n'est pas une religion exogène à notre pays mais qu'elle est au contraire constitutive de notre imaginaire commun. La présence de juifs sur notre territoire est d'ailleurs avérée sous l'Empire romain bien avant l'arrivée du Christianisme.
L’érudition rabbinique de Rashi, sous la plume à son tour lumineuse d’Elie Wiesel, est le signe d’une extraordinaire ouverture à toutes choses de l’esprit. Un appétit de chercher, de connaître, de comprendre, qui va bien au-delà de la lecture des textes sacrés ; un gai savoir qui nous parle encore, par delà les siècles.
Rachi parle aux hommes, à tous les hommes. Juifs ou non juifs. Aux cherchants qui étudient les textes. "Certes, c'est l'enfant juif en moi qui le remercie. Mais l'appel de Rashi s'adresse à tout le monde. Je veux dire: sa passion de pénétrer un texte pour y déceler un sens caché qui sera ensuite transmis par des générations en capable de toucher, d'intéresser et d'enrichir tous ceux dont la vie est dominée par l'étude" (p11) nous dit fort justement Wiesel.
N'oublions pas que Rashi fut la référence en ce qui concerne l'exégèse de la Torah pour Nicolas de Lyre, un moine franciscain du XIVe siècle, théologien et exégète, qui influença à son tour tous les auteurs des XIVe siècle et XVe siècle, ainsi que le réformateur Martin Luther et après lui, Jean Calvin.
Ce qui caractérise avant tout Rachi c'est qu'il fut le premier à écrire un commentaire exhaustif sur l'ensemble des textes sacrés du judaïsme. Après lui, plus personne n'entreprit une telle tâche, tant son oeuvre semblait parfaite. "Ce qui compte pour Rashi, en toutes choses et partout, c'est le souci de la vérité" (P45).
Il fut le professeur direct ou indirect de presque tous les sages d'Europe du Nord et son génie fut même reconnu dans le monde chrétien. à ce jour, des centaines de commentaires ont été écrits sur son oeuvre et les linguistes trouvent chez lui un témoin précieux de l'ancien français. Il recherche avant tout la clarté de pensée, et la clarté de style, n’hésitant pas à recourir à la langue d’oïl, la langue vernaculaire de la Champagne du XIe siècle (signalée par bela'az, « en laaz »), ou à chercher la comparaison avec une anecdote vécue à Troyes afin de simplifier encore plus l’explication proposée.
Cette recherche de la concision, tant dans la forme que dans le fond de la formulation, est une valeur typiquement française selon Emmanuel Levinas ou Léon Ashkénazi. "Le commentaire de Rashi sur le Bible fut le premier livre hébreu imprimé: aux environs de 1470" (p48).
"Compagnon des vieux Maîtres et ami des petits débutants, tout au long d'un millénaire, son autorité demeure indiscutable et son secours indispensable" (p54) nous dit fort justement Wiesel.
Ce qui fait la force irremplaçable du commentaire de Rashi, c'est tout d'abord son savoir encyclopédique, sa recherche de la simplicité et sa capacité à dire "je ne sais pas", comme à proposer plusieurs solutions. "Est-ce dû à l'immensité de son savoir? A la luminosité de son style, clair et captivant, toujours serré, précis, sobre, invitant à l'adhésion du lecteur? Son désir de dialoguer avec l'élève? Il arrive que celui-ci ait le sentiment heureux d'apprendre non pas de Rashi mais auprès de lui" (p53).
Elie Wiesel nous offre sa version, sa vision de Rashi. ce qui résonne en lui. Cherchons maintenant ce qui résonne ou qui raisonne en nous !
"Mais même dans un monde où, en certains lieux, pour des raisons haineuses anciennes et brutales, l'on glorifie la Mort, son message reste vivant et demeure une admirable célébration de la vie" (P130) conclue l'auteur.
Le livre d'Elie Wiesel est évidemment à lire d'urgence....
° Le livre :
Rashi, de Elie Wiesel
Publié aux éditions Grasset en mars 2010
130 pages, 12 euros.
° L'auteur :
On ne présente plus vraiment Elie Wiesel, né à Sighet (Roumanie) le 30 septembre 1928, qui est un écrivain américain de langue française, hébraïque, yiddish et anglaise. Il est Prix Nobel de la Paix et consacre une partie de son œuvre à l'étude de la Shoah dont il est rescapé.
° A lire en complément :
° Rachi de Troyes de Simon Schwarzfuchs, publié aux éditions Albin Michel, collection "Spiritualités Vivantes" en 2005. 6 euros. Un complément idéal du livre de Wiesel. L'auteur expose la vie, l'oeuvre et l'influence de Rachi tout en dressant un portrait vivant de la vie juive dans la France du Moyen Âge. J'ai également beaucoup aimé ce livre.
° Le 'Houmach avec Rachi
Publié aux
éditions Gallia.
5 volumes en hébreu/français.
2997 pages. 80 euros
C'est l'édition que j'ai et que je trouve très bien !
° Pour aller plus loin :
° Rachi et le judaïsme de France, par Joël Mergui., sur ce site.
° Sepharim : La Bible avec le commentaire de Rachi.
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