Nous connaissions le souhait d’hommes politiques de gauche comme Michel Rocard, Lionel Jospin, Robert Badinter, Bertrand Delanoë. C’est au tour de deux gaullistes historiques, Jacques Chirac (dans le JDD du 25 mai 2013) et Philippe de Gaulle, de demander l’entrée de Pierre Brossolette au Panthéon.
Juste réparation pour ce « soutier de l’Histoire », aujourd’hui grand oublié de la Seconde Guerre Mondiale et de la Résistance.
En deux mots, quelle fut la personnalité exceptionnelle de Pierre Brossolette ?
Il mène tout d’abord des études particulièrement brillantes. Il est cacique de la rue d’Ulm en 1922. Il faut savoir que ces deux sœurs, Suzanne et Marianne, sont toutes deux agrégées, fait rare à l'époque.
Premier à l’école Normale Supérieure il n’arrive néanmoins que second à l'agrégation d'histoire, derrière un certain Georges Bidault, celui-là même qui succèdera à Jean Moulin en juin 1943 comme président du Conseil national de la Résistance.
Il épouse en 1926 Gilberte Bruel, avec qui il aura deux enfants, Anne et Claude, et qui, après sa mort, prendra le relais de ses idées et deviendra la première femme sénateur en France. Pierre Brossolette est également membre de la Ligue des droits de l'homme, de la Ligue internationale contre l'antisémitisme.
C’est un intellectuel brillant, un journaliste à la plume acérée et vive et un militant socialiste (il adhère à la SFIO en 1929) hyperactif.
Candidat malheureux aux législative de 1936 (alors qu’il est à la tête de la fédération de l’Aube du Parti Socialiste – SFIO) il entre rentre au cabinet du Ministère des Colonies.
Il est journaliste au sein de plusieurs journaux (L'Europe nouvelle, Le Quotidien, Le Progrès civique, Les Primaires, Notre Temps, Excelsior, Marianne et Terre Libre).
Il travaille aussi pour Le Populaire , le journal de la SFIO où il est rédacteur de politique étrangère.
Après avoir été nommé par Léon Blum à Radio-PTT, Daladier le licencie sans ménagement après une chronique virulente de Brossolette qui condamne les accords de Munich en janvier 1939.
Mobilisé en septembre 1939 il mènera une guerre exemplaire. Lieutenant, il est promu capitaine peu avant la défaite de la France.
Il est décoré de la Croix de Guerre en 1940 en raison de son courage face au feu de l’ennemi.
Brossolette n’admet pas la défaite et veut résister. Il rejoint le Groupe du musée de l'Homme présenté à Jean Cassou par Agnès Humbert, écrit le dernier numéro du journal (au titre alors si nouveau et si prometteur de) Résistance et échappe de peu à son démantèlement.
Puis, il participe à la formation des groupes de résistance Libération-Nord et Organisation Civile et Militaire (OCM) dans la zone occupée et devient, après sa rencontre avec le Colonel Rémy, chef de la section presse et propagande de la Confrérie Notre-Dame.
Quand le régime de Vichy lui interdit d'enseigner, Brossolette et son épouse rachètent une librairie russe à Paris, au 89 rue de la Pompe, qui sert de lieu de rencontre et de « boîte aux lettres » pour les résistants grâce notamment à la collection de littérature russe disponible dans son sous-sol.
En avril 1942, Pierre Brossolette arrive enfin à rejoindre Londres. Il y va en tant que représentant de la Résistance pour rencontrer Charles de Gaulle. Il travaille dès lors, promu commandant, pour le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), en liaison avec la section RF du Special Operations Executive (SOE) britannique. Il est parachuté à trois reprises en France:
- La première fois pour organiser le mise en sécurité de sa famille menacée par les perquisitions et surtout pour mener à bien l'exfiltration de Charles Vallin, haut cadre du PSF, qui devrait à ses yeux permettre de jouer un coup dur au régime de Vichy.
- La deuxième fois avec André Dewavrin, alias le colonel Passy, et Forest Yeo-Thomas, alias Shelley, agent du SOE surnommé familièrement « Le Lapin Blanc ». Ils vont parvenir à unifier l'ensemble des mouvements de résistance de la Zone Occupée, dans le cadre de la mission « Arquebuse-Brumaire », du nom de code de Passy et Brossolette.
- La dernière pour aider à réorganiser la Résistance suite à de nombreux dysfonctionnements ayant amené une réelle percée du Sicherheitsdienst (SD, les services secrets de la SS, chargés du renseignement) dans son organisation et, partant, de nombreuses arrestations effectuées par la Gestapo (la police secrète de l'État allemand, chargée de l'action).
Pierre Brossolette est aussi le porte-voix à Londres des résistants de l’intérieur, ces combattants de l'ombre alors si mal connus.
Dans un célèbre discours à la BBC le 22 septembre 1942, il rend un vibrant hommage aux « soutiers de la gloire ».
« À côté de vous, parmi vous, sans que vous le sachiez toujours, luttent et meurent des hommes — mes frères d'armes —, les hommes du combat souterrain pour la libération. Ces hommes, je voudrais que nous les saluions ce soir ensemble. Tués, blessés, fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours de leur foyer; coupés souvent de leur famille, combattants d'autant plus émouvants qu'ils n'ont point d'uniformes ni d'étendards, régiment sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s'inscriront point en lettres d'or dans le frémissement de la soie mais seulement dans la mémoire fraternelle et déchirée de ceux qui survivront; saluez-les. La gloire est comme ces navires où l'on ne meurt pas seulement à ciel ouvert mais aussi dans l'obscurité pathétique des cales. C'est ainsi que luttent et que meurent les hommes du combat souterrain de la France.
Saluez-les, Français ! Ce sont les soutiers de la gloire ».
Pierre Brossolette prendra la parole à 38 reprises au micro de la BBC en remplacement de Maurice Schumann et écrira des articles, dont un dans La Marseillaise qui par la suite sera considéré par certains comme un des textes fondateurs du gaullisme de guerre.
Pierre Brossolette sera gaulliste, comme tous les résistants de Londres. Mais gaulliste exigeant et jamais flagorneur et qui n’hésite pas à dire ses quatre vérités au Général.
Comme dans la lettre qu’il envoie au Général de Gaulle le 2 novembre 1942.
« Il ne s'agit pas en ce moment de la conception, qui nous est commune, des nécessités de la libération et de la reconstruction française. (…)Mais il s'agit de la pratique quotidienne par laquelle vous vous efforcez de préparer cette libération et cette reconstruction. Il s'agit, davantage encore, de l'image que cette pratique nous permet de nous former à l'avance de votre pratique quand vous serez en France. (…)Je vous parlerai franchement. Je l'ai toujours fait avec les hommes, si grands fussent-ils, que je respecte et que j'aime bien. Je le ferai avec vous, que je respecte et aime infiniment. (…) Ce qu'il faut vous dire, dans votre propre intérêt, dans celui de la France combattante, dans celui de la France, c'est que votre manière de traiter les hommes et de ne pas leur permettre de traiter les problèmes éveille en nous une douloureuse préoccupation, je dirais volontiers une véritable anxiété.
Il y a des sujets sur lesquels vous ne tolérez aucune contradiction, aucun débat même. (…) Le premier effet en est que, dans votre entourage, les moins bons n'abondent que dans votre sens; que les pires se font une politique de vous flagorner; et que les meilleurs cessent de se prêter volontiers à votre entretien. Vous en arrivez ainsi à la situation, reposante au milieu de vos tracas quotidiens, où vous ne rencontrez plus qu'assentiment flatteur. Mais vous savez aussi bien que moi où cette voie a mené d'autres que vous dans l'Histoire, et où elle risque de vous mener vous-même.
Or il s'agit de la France. Vous voulez en faire l'unanimité. La superbe et l'offense ne sont pas une recommandation auprès de ceux qui sont et demeurent résolus à vous y aider. Encore moins en seront-elles une auprès de la nation que vous voulez unir. Parlons net, nous qui connaissons bien ses réactions politiques: elle aura beau vous réserver l'accueil délirant que nous évoquons parfois; vous ruinerez en un mois votre crédit auprès d'elle si vous persévérez dans votre comportement présent ».
Qui osait parler sur ce ton à de Gaulle en 1942 (et même après !) si ce n’est Pierre Brossolette ?!
Le 3 février 1944 Brossolette est arrêté en compagnie d’Emile Bollaert alors qu’il tente de rejoindre Londres. Reconnu quelques temps après il est transféré à Paris pour subir « les traitements spéciaux ».
Torturé dans les locaux de la Gestapo au 82-86 avenue Foch (appelée "avenue boche" sous l'occup..) à Paris, il profite d’un moment d’inattention de ses gardiens et saute du 4ème étage de l’immeuble, sans un cri. Il a préféré la mort pour être sûr de ne pas parler.
Dans le regret de la parole perdue, nous aurons aujourd'hui une pensée fraternellement fidèle pour celui qui sut conserver un secret, le secret à lui confié, jusqu'au sacrifice de sa vie.
Il meurt en martyr le 22 mars 1944. Ses cendres reposent au cimetière du Père Lachaise à Paris.
Parole libre. Engagement. Serment. Silence. Loyauté. Patrie. Liberté-Egalité-Fraternité. Des mots qui avaient une résonance particulière pour le franc-maçon Pierre Brossolette.
Pierre Brossolette Franc-Maçon :
Pierre Brossolette est en effet initié franc-maçon de rite écossais ancien et accepté le 23 février 1927 au sein de la loge Emile Zola N°382 (créée en 1907) de la Grande Loge de France à Paris (lire le bilan annuel de la Loge Emile Zola en date du 22 décembre 1927).
Son avancement dans l'Ordre fut normal pour l'époque. On le voit passer compagnon le 26 janvier 1928 et élevé au grade de maître le 25 juin de la même année. Son diplôme de maître portait le n° 16.567.
Deux ans plus tard, le 10 juillet 1930, il reçut le premier des hauts grades , soit le quatrième degré du rite, celui de maître secret , dans l'atelier supérieur qui porte le titre distinctif de la Perfection Latine, et qui dépend du Suprême Conseil de France.
Pierre Brossolette donnera plusieurs conférences importantes dans le Grand Temple de la rue Puteaux, siège de la Grande Loge de France à Paris, dont plusieurs restés célèbres.
La dernière de ses conférences aura lieu le jeudi 22 juin 1939, et portera sur "la politique générale et la situation extérieure de la France", ce qui était alors d'une actualité brûlante. Cette conférence était organisée par sa loge Emile Zola, en commun avec la loge n° 577, le Bon Vouloir.
Comme on aimerait connaitre autre chose que le titre de cet exposé (je n'ai à ce jour pas pu retrouver le texte de son intervention...), certainement clairvoyant et vraisemblablement prophétique, comme celui qu'il avait prononcé peu après son élévation au grade de maître sur "les dessous d'une crise de gouvernement et de moralité" : la France en était alors au premier ministère Laval.
Une légende tenace (que vous trouverez dans certains livres qui se fient sur des articles des "Documents maçonniques" de 1943 - publication antimaçonnique issue de la Collaboration), veut que Pierre Brossolette démissionne de la Maçonnerie en 1935 : il n'en est rien évidement (sinon comment aurait-il tenu - comme nous venons de le voir - une conférence avec sa loge en juin 1939 à Paris...).
Ce qui est vrai c'est qu'il s’affiliera plus tard à la loge L’aurore Sociale du Grand Orient de France à Troyes dans l’Aube lors qu’il mène sa carrière politique dans ce département comme nous l’avons vu. Il n'y avait pas alors à Troyes de loge de la Grande Loge de France.
A la Libération est créé à la Grande Loge de France le groupe culturel Condorcet-Brossolette qui se réunit en Sorbonne, avant de devenir le Cercle Condorcet-Brossolette qui organise des conférences où s'expriment - dans leur diversité - des frères de la Grande Loge de France.
Depuis 1994, une loge de la Grande Loge de France, la loge Pierre Brossolette-Compagnon de la Libération N° 1165 porte son nom. Elle a été fondée par Hubert Germain, Compagnon de la Libération et Grand Maître Honoris Causa de la GLDF (http://www.jlturbet.net/2018/06/hubert-germain-grand-croix-de-la-legion-d-honneur.html).
Pierre Brossolette a été un véritable héros de notre Nation.
Il fut l’archétype du modèle du Résistant français tout au long de la IVème République.
Après le retour du général de Gaulle aux affaires en 1958, le nouveau pouvoir de la Vème République naissante, cherche à honorer des grandes figures.
On pense tout d’abord à Pierre Brossolette bien entendu pour représenter la Résistance. Une évidence pour tous. Mais il faut bien le dire, la figure de Pierre Brossolette, socialiste et franc-maçon, pour symboliser le nouveau pouvoir gaulliste est vite écartée.
On lui préférera Jean Moulin, symbole de la Résistance alors tombé dans l'oubli, pour entrer au Panthéon.
Malheureusement pour lui, Brossolette n’aura ni son Malraux (« entre ici Jean Moulin »), ni son Daniel Cordier. Il manque encore une grande biographie de Brossolette (pardon pour les auteurs des livres existants qui sont d’ailleurs fort bien écrits) pour le faire entrer définitivement à la place qu’il mérite : la première.
Alors oui, mobilisons-nous aujourd’hui pour l’entrée de Pierre Brossolette au Panthéon. Avec d’autres certainement (je pense à Jean Zay).
François Hollande choisira dans quelques temps. Ne doutons pas qu’il saura redonner à Pierre Brossolette la place qui lui revient dans notre Histoire nationale.
Jean-Laurent Turbet
- Article modifié le 13 juillet 2020.
° Pour aller plus loin :
° GLDF : Marc Henry pour l’entrée de Pierre Brossolette au Panthéon, sur ce site.
° Le site Pierre Brossolette, où vous pouvez signer la pétition en ligne pour le transfert de Pierre Brossolette au Panthéon.
° Le site de la Grande Loge de France.
Pierre Brossolette, un homme d'exception. Résistant, journaliste, homme politique et franc-maçon.
Dans la série "Jean-Laurent raconte, aujourd'hui "Pierre Brossolette un homme d'exception. Résistant, journaliste, homme politique et franc-maçon." Pierre Br...
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Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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