Il est de livres qu'il est bon de lire (ou de relire) ou de parler à certaines périodes. C'est le cas de "L'interculturel ou la guerre" d'Issa Asgarally (avec une préface de J.M.G Le Clézio).
Bien que sorti en 2005 il me semble utile d'en parler aujourd'hui car ce livre est, comme au jour de sa sortie, toujours d'une brûlante actualité. Il faut, je le crois réétudier les événements récents (printemps arabe, Libye, Syrie, identité nationale, races, culture...) avec la grille de lecture proposée par issa Asgarally.
Loin du choc des civilisations de Samuel Huntington comme de l'angélisme béat de beaucoup de nos contemporains, l'auteur propose une voie de paix, la seule possible selon lui, qui tienne compte à la fois de l'idéal des valeurs comme des possibles du réel.
Comme le souligne fort justement J.M.G. Le Clézion dans la préface de l'ouvrage : "Issa Asgarally n'est pas le produit de la culture française. On peut même affirmer qu'il n'est pas le produit d'une culture purement occidentale. Il est avant tout un Mauricien, né à Port Louis, dans le quartier de Ward IV où se rencontraient chaque jour toutes les communautés et toutes les religions. Sa langue d'universitaire est l'anglais, sa langue de culture le français, et sa langue de tous les jours le créole. C'est cette identité multiple qui constitue l'originalité de sa pensée. Nourri des humanités classiques de l'Occident, et de la dialectique des grands contemporains, Edward Said, Michel Serres, Amin Maalouf, Umberto Eco ou Sanjay Subrahmanian, Issa Asgarally utilise ces éléments formateurs pour les refondre dans le creuset de l'interculturel, et pour, dit-il, « déconstruire les récits coloniaux qui opposent les peuples et les cultures ». Il met au jour une autre interprétation vigoureuse, libre des idées reçues et des a priori de l'histoire."
J.M.G Le Clézio va plus loin : "Le pacifisme, à Maurice, n'est pas une idée intellectuelle, ni un luxe de philosophe. Il est une absolue nécessité. Lorsque, en 1999, à la suite du décès en prison du chanteur créole Kaya, les deux principales communautés de Maurice, Indo-Mauriciens et Créoles étaient sur le point de s'affronter, chacun a pu mesurer la fragilité du multiculturalisme. Le rêve de l'arc-en-ciel est menacé à chaque instant par l'enfermement dans l'identité communautaire. S'il condamne le manichéisme populiste de Samuel Huntington — et à travers lui la doctrine de l'affrontement des civilisations et les thèses de Davide Rapoport et de l'Institut de Recherches pour la Guerre et la Paix, qui ont inspiré la politique extérieure américaine depuis des décennies — Issa Asgarally se refuse également à un optimisme béat.
Plus que jamais, la question qu'il pose est urgente, inévitable. A la lumière de la réalité quotidienne, tandis que se développent des combats et des doctrines d'un autre âgee, son livre nous met en face du dilemme contemporain : si nous ne réalisons pas, maintenant, l'interculturel sur cette planète qui est notre île à tous, préparons-nous à voir nos enfants entrer dans la guerre".
C'est d'ailleurs, forts de ce constat qu'Issa Asgarally et J.M.G Le Clézio avec également Amin Maalouf, Amartya Sen, Edward Saïd, Tahar Ben Jelloun, Jagdish Gundara, Michel Serres, Tzvetan Todorov, ont créé la Fondation pour l'Interculturel et la Paix, d'après le titre de l'ouvrage que nous analysons.
L'auteur met en avant la Culture. Mais il souligne pour autant qu'il faut que l'action culturelle soit dirigée dans le bon sens " Dans les faits, cependant, la culture peut mener à la guerre ou à la paix. Rappelons-nous que la colonisation et l’esclavage avaient un fondement culturel et reposaient sur une hiérarchisation des races qui justifiait que les races dites supérieures “civilisent” les races dites inférieures. Ou la culture peut être associée à des actes inhumains : des survivants des camps de concentration nazis racontent qu’on y diffusait de la musique de Wagner… Il nous faut d’urgence une nouvelle manière de voir et d’agir. C’est tout l’enjeu de l’interculturel. Que la culture n’alimente plus la violence et la guerre, mais qu’elle nous aide à vivre ensemble".
Il développe ensuite ce qui constitute les fondements de l'interculturel : "Quels sont les fondements de l’interculturel? Il s’agit de revenir sur les divisions et les conflits qui ont nourri pendant des décennies l’hostilité et la guerre, de les concevoir autrement. Non pas de réduire la différence, car force est de reconnaître le rôle constitutif des différences naturelles et culturelles dans les relations humaines. Mais de remettre en question l’idée que la différence implique nécessairement l’hostilité, un ensemble réifié et figé d’essences antagonistes, et une connaissance réciproque, construite sur cette opposition, qui considère l’autre comme un adversaire."
A l'heure où l'on parle beaucoup d'identité nationale Issa Asgarally peut nous aider à aiguiser nos concepts : "Il est grand-temps d’adopter une autre conception de l’identité qui ne soit ni réductrice ni figée. Ni réductrice pour qu’elle ne devienne pas meurtrière. Ni figée pour qu’elle soit le plus riche possible.(...) L’identité est un manteau d’Arlequin, que nous cousons et tissons sans cesse, qui est plus libre et souple que la carte de nos gènes. Pourquoi défendre à tout prix l’une de nos appartenances ? Multiplions-les pour enrichir notre identité, pour la rendre plus heureuse et plus forte. Nous l’honorerons mieux en la délivrant de l’appartenance que nous désirons défendre. Ainsi, ni réductrice, ni figée, la nouvelle conception de l’identité repose sur la multiplication de ses appartenances dans le but d’enrichir son identité. Loin des identités meurtrières, “mon identité, c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne”. C’est mon ADN".
Pour autant Issa Asgarally ne milite pas pour la valorisation du multiculturalisme : "Nous ne pouvons plus nous contenter du multiculturalisme, car il peut devenir l'antichambre de l'ethnicisme. Dans une perspective multiculturelle, l’unité nationale devient “la somme totale de toutes les gratifications ethniques”. Le risque du multiculturalisme est de mettre des gens dans des boîtes et d'ethniciser notre vision de la société. On réduit “la personne à une catégorie et l’individu à un collectif”. Et on assigne des “représentants” à ces collectifs qui sont seuls habilités à parler de leurs “cultures” respectives. Le champ est alors libre pour que les fanatiques de tous poils imposent des “identités meurtrières" (...) "Au fond, lorsque des gens vivent dans des compartiments mentaux – et parfois physiques, car les ghettos existent --, lorsqu’ils voient la société en termes de « tribus » ou de « communautés », avec des chefs dûment accrédités, les sentiments d’injustice et de frustration deviennent très vite des catalyseurs d’une explosion sociale."
Le but d'une éducation interculturelle serait de rendre les hommes moins violents entre eux et plus ouverts tout à la fois aux respects des différences comme à tout ce qui nous unit et réunit.
Il cite avec juste raison Marc Bloch : "Dans un article Sur la réforme de l’enseignement, Marc Bloch, historien français, torturé et fusillé en 1944 par les Nazis, écrivit avec clairvoyance les lignes suivantes: « Dans le présent même, il importe bien davantage à un futur citoyen français de se faire une juste image des civilisations de l’Inde ou de la Chine que de connaître, sur le bout du doigt, la suite des mesures par où ‘l’Empire autoritaire’ se mua, dit-on, en ‘Empire libéral’ ». Plus de 60 ans après, l’on peut se demander si l’on s’est rapproché ou pas de cet idéal."
Et Issa Asgarally de conclure : " L'Interculturel est le défi du XXème siècle. (...) Nous ne sommes pas les pions impuissants de forces naturelles. Il n'existe pas de loi inexorable du développement historique.. Si nous assumons l'inévitabilité historique, nos efforts seront paralysés, nos initiatives détruites et notre dignité bafouée.. Mon engagement en faveur de l'interculturel se situe dans cette autre perspective.. Avoir le "goût de l'avenir", c'est-à-dire combattre la fatalité, construire cet avenir pour qu'il soit moins violent. Et cela dépend de vous, de nous".
Un beau message d'espoir, une belle mission et un livre à lire ou à relire absolument.
Jean-laurent Turbet
° Retrouvez Issa Asgarally à Paris :
Issa Asgarraly dédicacera ses oeuvres au salon du Livre de Paris 2012 le vendredi 16 mars de 14 heures à 15 h 30 sur le Stand de l'Institut Français (Stand U 74), chez son éditeur, la Librairie du Sud. Le Salon du Livre se tient porte de Versailles à Paris.
° L'auteur :
Originaire de l'Île Maurice, Issa Asgarally est docteur et professeur en linguistique au Mauritius Institute of Education. Il maîtrise le créole mauricien, le français et l'anglais.
Il grandit sur une île, où diverses communautés ethniques vivent ensemble. Sa réflexion porte sur cette coexistence pacifique de la population. Il refute le multiculturalisme en faveur de "la compréhension des cultures et des différences entre celles-ci".
Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages abordant des domaines aussi variés que ceux de la culture et les arts, la littérature, la philosophie, l'histoire.
Issa Asgarally est également le rédacteur en chef de la revue Italique et le présentateur du magasine littéraire télévisé Passerelles. Il œuvre également pour la Fondation pour L’Interculturel et la Paix aux côtés de Jean-Marie Le Clezio dont il est l'un des meilleurs amis.
° Le Livre :
L'interculturel ou la guerre
D'Issa Asgarally.
Préface de J.M.G. Le Clézio
Port-Louis (Ile Maurice)
Publié au Presses du M.S.M. en 2005.
- 120 p. ; 21 cm.
ISBN 99903-31-17-0
° Pour aller plus loin :
° "Des livres et des idées", d'Issa Asgarally. ,sur ce site.
° Le livre "L'interculturel ou la guerre" sur Google Books.
° Le site de la Fondation pour l'Interculturel et la Paix
° Les livres d'Issa Asgarrally :
- L'interculturel ou la guerre (Préface de J.M.G.Le Clézio): Editions M.S.M.Ltd, 2005
- Des livres & des idées: Editions le Printemps, 2010, 512 pages
- L'île Maurice des cultures (Mauritius: An Island of Cultures): Editions Le Printemps, 2006
- De l'Esclavage (in collaboration): Editions Grand Océan, Ile de la Réunion, 2005
- Pour une histoire de la télévision publique à Maurice :Editions M.S.M.Ltd
- Education et Culture à l'aube du troisième millénaire (Education and Culture at the Dawn of the Third Millennium): Editions Le Printemps, 1999, 192 pages
- Littérature et révolte: Editions Le Flamboyant, 1985
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
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Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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