L'élection du socialiste Jean-Pierre BEL en qualité de président du Sénat le samedi 1er octobre 2011 a été présentée comme un événement sans précédent sous la Vème République.
Sans précédent oui si l'on considère l'élection d'un socialiste pur jus à la présidence de la Haute Assemblée.
Avec un précédent de taille, trop vite oublié, en la personne de Gaston Monnerville, radical socialiste et homme de Gauche, qui resta plus de 20 ans président du Sénat et qui fut l'un des opposants les plus résolus au gaullisme et au Général de Gaulle lui-même.
La liste des mandats de Gaston Monnerville est impressionante :
1932 - 1942 : député radical de la Guyane
1935 - 1940 : maire de Cayenne
1946 - 1948 : sénateur de la Guyane
1948 - 1974 : sénateur du Lot
1947 - 1968 : président du Conseil de la République puis du Sénat
1951 - 1971 : président du conseil général du Lot
1964 - 1971 : maire de Saint-Céré
1974 - 1983 : membre du Conseil constitutionnel
° L'avocat :
Petit-fils d'esclaves né le 2 janvier 1897,il fréquente le lycée de Cayenne et en 1912, boursier, il quitte la Guyane et entre en classe de seconde à Toulouse, au lycée Pierre de Fermat.
Elève particulièrement brillant il opte pour les lettres et choisit de suivre la classe de philosophie. Il y remporte notamment le prix Ozenne et le prix d'honneur. Il passe à la fois sa licence ès lettres et sa licence en droit, avec les félicitations du jury. C'est également avec les félicitations du jury qu'il est reçu, en 1921, docteur en droit.
Dès 1918, il s'inscrit au Barreau de Toulouse. Reçu, en 1921, au concours des secrétaires de la Conférence, il prononce, à une séance solennelle de rentrée, un discours remarqué sur «La Critique et le Droit de réponse».
Gaston Monnerville quitte Toulouse et s'inscrit en 1921 au Barreau de Paris. Il entre bientôt au cabinet d'un célèbre avocat, César Campinchi (1882-1941), dont il sera, pendant huit ans, le principal collabrateur.
En 1923, il est reçu au concours des secrétaires de la Conférence des avocats, à la Cour d'appel de Paris. En 1927, il est élu président de l'Union des jeunes avocats à la cour de Paris.
Gaston Monnerville plaide plusieurs grands procès. Et surtout, il s'illustre, à l'âge de 34 ans, en 1931, dans l'affaire Galmot. Sa plaidoirie produit un effet considérable sur les jurés, qui se prononcent pour l'acquittement de 14 guyanais injustement mis en cause.
° L'homme politique :
Gaston Monnerville est élu à une très forte majorité député radical socialiste de la Guyane en 1932. Il sera réélu en 1936.
Dans les troisième et quatrième cabinets de Camille Chautemps, il est sous-secrétaire d’État aux Colonies en 1937 et 1938. La nomination d'un homme de couleur au gouvernement ne fut appréciée ni en Allemagne, ni en Italie, ni évidemment en France par l'extrême droite.
Engagé volontaire dans la marine du 23 juin 1939 jusqu'à la formation du régime Pétain, Gaston Monnerville participe à la Résistance et entre dans le mouvement Combat sous le nom de «Saint-Just» en hommage à son oncle, Saint-Just Orville.
Après avoir été élu aux deux Assemblées nationales constituantes, Gaston Monnerville est élu au Conseil de la République (futur Sénat) (Guyane) en 1946. Il devient président de ce conseil en mars 1947. En 1948, il est élu dans le Lot et conserve ce mandat sous la Vème République en qualité de sénateur du parti de la Gauche démocratique.
Après 1958 où il aide à la constitution de la Vème République, il conserve son mandat à la tête de la Haute Assemblée en étant président du Sénat de 1959 à 1968. Il aura ainsi présidé la deuxième chambre du Parlement pendant 21 ans. Il siège au Sénat jusqu'en 1974.
En 1962, Gaston Monnerville s’oppose au projet de référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel et lâche le mot de «forfaiture» à l’encontre du Premier ministre Georges Pompidou, qui avait accepté de signer le projet de référendum.
Il combat le projet de réforme du Sénat qui sera rejeté lors du référendum du 27 avril 1969, ce qui provoquera le départ immédiat du Général de Gaulle.
Sous la présidence de Monnerville, notamment de 1962 à 1969, le Président Monnerville sera l'un des opposants les plus résolus (et les plus efficaces!) au Général de Gaulle.
Gaston Monnerville présida également le Sénat de la Communauté en 1959 et 1960.
Sur le plan municipal, il fut maire de Cayenne, puis maire de Saint-Céré (Lot). Sur le plan départemental, il présida le conseil général du Lot de 1951 à 1971.
Gaston Monnerville fut depuis toujours membre du Parti Radical Socialiste. Lorsque survient la scission radicale de 1972, il donne son adhésion au nouveau Mouvement des radicaux de gauche.
Le 22 février 1974, Alain Poher, son successeur, le nomme membre du Conseil constitutionnel. Gaston Monnerville prête serment le 5 mars, devant Georges Pompidou, président de la République, qui décédera moins d'un mois plus tard, le 2 avril.
Gaston Monnerville est Chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur à titre militaire pour faits de résistance depuis 1947. Il est promu Officier de l'Ordre de la Légion d'Honneur en 1983 par le chef de l'État, François Mitterrand, qui lui remet sa décoration à l'Élysée.
Atteint d'un cancer depuis plusieurs années, il décède le 7 novembre 1991, à l'âge de 94 ans. Conformément à ses dernières volonté ses cendres furent dispersées au vent. Comme l'a rappelé Philippe MARTIAL (alors) Directeur de la Bibliothèque et des Archives du Sénat dans son allocution au Panthéon en hommage à Gaston Monnerville le 28 juin 1997 : " Sa dernière volonté, Mesdames et Messieurs, sa volonté formelle était que ses cendres fussent dispersées. Il est clair qu'il s'est dérobé au culte barbare des dépouilles sacrées. Et pourtant, il ne manquait pas, chaque année, de se rendre au Panthéon, à Vaugirard, à Montparnasse où reposent Schoelcher, Mortenol, Eboué, et (avant son transfert) Grégoire. Mais, pour lui-même, il a refusé une tombe sur laquelle nous viendrions nous recueillir. Monnerville nous a interdit les reliques et le pèlerinage. Il n'a pas voulu laisser d'autres traces que les conséquences de ses actes et le retentissement de sa pensée."
Grand porte-parole des droits de l'homme en France, Gaston Monnerville fut très clairement l'un des meilleurs orateurs français sous la IIIème, sous la IVème et sous la Vème République.
° Le Franc-Maçon :
C’est à 18 ans que Gaston Monnerville entre en Franc-Maçonnerie.
C'est en 1915, au sein de la Grande Loge de France. qu'il est initié au sein de la RL « Vérité » N° 280. Il appartint également à la RL « Prévoyance » N° 88.
Il fut également membre du Suprême Conseil de France.
Gaston Monnerville considéra toujours son engagement maçonnique comme l'un des plus engageants de sa vie. Malgré ses multiples et hautes fonctions républicaines il resta tout au long de sa (très longue) vie, un franc-maçon actif et assidu.
A titre d'exemple, le 5 mai 1981 (à 84 ans) il prononça en l'hôtel de la Grande Loge de France, une conférence majeure consacrée à l'abbé Grégoire.
Brillant intellectuel, avocat de talent, homme de couleur fier de ses origines et de son histoire, franc-maçon de conviction tolérant et humaniste, il est temps je pense, de réhabiliter la mémoire de ce grand homme d'état, républicain avant tout, qui porta haut les valeurs qui nous sont communes.
Jean-Laurent Turbet
° Pour aller plus loin :
° Le Sénat rend hommage à Gaston Monnerville.
° Une conférence de Gaston Monnerville consacrée à l'abbé Grégoire, le 5 mai 1981 à la Grande Loge de France.
° La société des amis du Président Monnerville, sur le site du Sénat.
° Le site du Sénat.
° Le site de la Grande Loge de France.
° Blaise Diagne, homme politique et franc-maçon., sur ce site
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Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
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Jean-Laurent Turbet
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