Vu sur le site du CRIF :
Juifs, Noirs, un seul ennemi, par Richard Prasquier.
Il y a la mort d'un homme et le nécessaire respect pour le deuil d'une famille, mais n'en déplaise aux dirigeants du PSG, cette mort ne résume pas le drame du match PSG/Hapoël Tel-Aviv. Attendons les résultats de l'enquête, où la légitime défense est retenue, avec une pensée pour ce gendarme qui n'avait pas pu se défendre, Daniel Nivel handicapé à vie après avoir été frappé à la sortie d'un match de football à Lens en 1998.
Certes, il y a aussi, attisée par la défaite, la violence des jeunes dans notre société et sa malheureuse expression sur les stades de football : se limiter à cette pseudo-explication revient à botter en touche. Beaucoup d'observateurs signalent un problème spécifique au PSG, foyer d'une grande proportion des actes de violence sur le stade parce que la chasse aux hooligans y a été moins acharnée qu'ailleurs : je n'ai pas qualité à juger de cette grave assertion.
Mais ce qui saute aux yeux est que, à la sortie du stade, on a questionné des spectateurs sur leur judaïsme ; on les a insultés, frappés ou pourchassés s'ils paraissaient être juifs. Le "on", ce sont apparemment des noyaux violents organisés, regroupés dans des associations de supporteurs répertoriées dont les slogans racistes et antisémites faisaient depuis longtemps partie d'un folklore local, noyaux auxquels se sont agglomérés des individus plus ou moins isolés, attirés par la "castagne" à peu de risques. En 2006 à Paris, une ratonnade antijuive qui devient, quelle aubaine, une chasse au juif et au Noir, dans un cortège d'insultes empruntées au discours nazi désinhibé...
Si les analogies faciles aveuglent, la mémoire historique alerte : l'antisémitisme reste aujourd'hui encore un ciment irremplaçable dans la conception du monde de la droite extrême, car c'est un condensateur de haine. Il peut orienter les frustrations et l'énergie meurtrière de personnes en déshérence de la démocratie vers la violence gratuite, mais aussi, pour peu qu'ils soient pris en charge par des tribuns sans scrupule, vers la conquête du pouvoir : de ce point de vue, l'évolution récente des électorats dans divers pays européens ne laisse pas d'inquiéter.
Ceux qui prétendent que certains juifs, désemparés par l'émergence et la banalisation actuelle d'un violent antisémitisme à masque d'antisionisme, seraient tentés de se tourner vers l'extrême droite dans l'illusion d'un combat contre des ennemis communs peuvent le voir : cette attitude, qui ferait l'impasse sur un terrible passé, serait aussi aveugle politiquement qu'indigne moralement : car l'antisémitisme, qui reste dans ces milieux un ingrédient de base et non un condiment accessoire, orienterait les choix en cas de prise de pouvoir.
Comment une centaine d'individus peuvent-ils prendre plaisir et fierté à poursuivre deux hommes isolés, les frapper une fois qu'ils sont à terre, avec la mort pour perspective, jusqu'à la réaction inattendue du policier ? Les historiens, les psychologues, relayés aujourd'hui par les romanciers, nous le rappellent : cela aussi est une potentialité humaine, et une potentialité fréquente. Mais pour que ce comportement soit érigé en norme dans un groupe, il faut que la hiérarchie des valeurs qui fondent une humanité commune soit mise à bas au profit d'autres hiérarchies : celles des nazis d'hier et d'aujourd'hui, les règles du gang toujours. La levée des tabous qui fondent nos conduites laisse libre place à la fascination de la violence, idéologiquement et socialement légitimée. C'est pourquoi il ne faut pas seulement considérer les misérables chasseurs de la porte de Saint-Cloud comme des anomalies marginales : ils sont peut-être aussi les poissons pilotes des nouvelles barbaries, qui viendront, comme les précédentes, de minorités extrémistes agissantes.
Au moins pouvons-nous nous dire que dans cette triste affaire, si les faits se confirment, il y a un grand motif de fierté : un policier en civil, qui aurait donc pu se fondre dans la masse des indifférents, des craintifs ou des aveugles, a choisi de protéger un homme en danger poursuivi par une meute, et y a risqué sa vie. Je le salue avec respect. Qu'il soit noir et que le pourchassé soit juif, qu'ils aient dû tous deux entendre les ignobles injures habituelles, remet à l'heure des pendules que d'aucuns s'acharnent à dérégler : le combat contre le racisme et l'antisémitisme est un combat que nous avons à mener ensemble.
Richard Prasquier, président du Comité français pour Yad Vashem, est membre du bureau exécutif du CRIF.
Article paru dans le Monde daté du 29 novembre : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-839901,0.html
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