Vu sur le site du Monde :
PRÉSIDENTIELLE 2007 Trois candidats, trois confrontations télévisées, trois meetings devant les militants : le PS met en scène ses primaires. De la couleur des décors à l'emplacement des pupitres, récit des négociations.
Trente centimètres, pas plus, sépareront le pupitre, légèrement en retrait, du candidat placé au milieu des deux autres, le tout formant une sorte de V. Jusque dans le moindre détail, l'organisation des débats télévisés entre les candidats à l'investiture présidentielle du Parti socialiste retransmis en direct, à 20 h 35, sur les chaînes parlementaires le 17 octobre, puis le 24 et le 7 novembre, a été âprement négociée par les représentants de Laurent Fabius, Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn.
De la couleur du décor au relevé précis des temps de parole en passant par la disposition des caméras, tout a été étudié à la loupe, soupesé. Jean-Pierre Elkabbach, président de Public Sénat, n'a pas pu s'empêcher de s'exclamer : " Vous revenez à la télévision de Brejnev, je vous rappelle qu'il est mort. "
Les pourparlers ont duré deux jours : lundi 9 et mardi 10 octobre, au siège du PS. Pour la première réunion, les présidents des deux chaînes, M. Elkabbach et Richard Michel (LCP-Assemblée nationale), avaient fait le déplacement avec une armada de techniciens, le réalisateur Philippe Lallemant. Ils s'étaient munis des cassettes des duels américains Bush-Kerry ou allemand Merkel-Schröder.
En face, la direction du PS était représentée par Stéphane Le Foll, directeur de cabinet de François Hollande, et chaque présidentiable par ses conseillers. L'équipe de " DSK " était assistée de Laurent Habib, PDG de l'agence Euro-RSCG. Mardi matin, une deuxième réunion - entre responsables socialistes uniquement - a permis, cahin-caha, de déboucher sur un accord rédigé avec la minutie d'un contrat de mariage devant notaire.
Les pupitres, donc. Les partisans de Mme Royal souhaitaient que les trois objets en question, " bois et transparent ", accompagnés de sièges de bar " blancs ", soient parfaitement alignés. " Quand l'un parlera, les deux autres finiront par attraper un torticolis pour le regarder ", ont protesté leurs concurrents fabiusiens et strauss-kahniens. " En triangle, c'est déjà une confrontation ! ", s'est échauffé, au nom du camp Royal, l'ex-fabiusien Thierry Lajoie - étant entendu que les candidats n'ont pas le droit de s'interpeller.
L'intervention de chaque prétendant - et sa place - dépendra du tirage au sort réalisé avant le début de l'émission, d'une durée de 100 minutes. Une quinzaine de questions, exclusivement consacrées à l'économie et au social pour la première édition du 17 octobre, leur seront soumises à tour de rôle.
Les chaînes parlementaires ont convaincu les socialistes qu'il ne s'agissait " ni d'un spectacle ni d'un jeu " et qu'il fallait donc abandonner l'idée de tirer au hasard, " dans un bocal transparent ", les questions des militants présélectionnées sur Internet. Ces dernières serviront de canevas aux journalistes Emilie Aubry (LCP-AN) et Emmanuel Kessler (Public Sénat), qui pourront relancer le candidat - une concession arrachée de haute lutte par les dirigeants des chaînes.
Chaque réponse sera chronométrée : pas plus de trois minutes quinze secondes. Trente secondes avant, une petite lumière rouge, sur le pupitre, préviendra l'orateur qu'il lui faut conclure. Le temps " non consommé " sera redistribué. Les prétendants disposeront par ailleurs de deux à trois minutes, en début et en fin d'émission, pour présenter leur candidature. Les plans de coupe des caméras ont finalement été acceptés, ce qui évitera - autre concession négociée -, des images figées sur celui qui parle.
Les autres chaînes de télévision sont furieuses d'avoir été exclues du jeu par leurs consoeurs parlementaires, qui ont mis en avant leur " rôle civique " et plaidé pour une audience potentielle de 11 millions de téléspectateurs (câble, satellite, TNT et ADSL cumulés). Elles pourront toutefois retransmettre l'émission avec un décalage d'un quart d'heure. Elles auront également la possibilité de diffuser des extraits dans leurs journaux, sans passer, comme le suggérait l'équipe Royal, par les règles que la FIFA impose pour les matches de football : 90 secondes maximum, déjà montées, versées au pot commun.
Mais les partisans de la candidate sont demeurés intraitables sur un autre point : il n'y aura pas d'autres journalistes présents dans les studios VCF de Saint-Cloud, même dans une salle à part. Seuls, pourront pénétrer sur le plateau 30 invités (10 par candidat), à la condition expresse qu'ils soient muets et restent assis dans la pénombre. Devant ce cahier des charges draconien, M. Michel a fini par trouver les mots : " C'est une confrontation indirecte comparative. "
C'est aussi une première pour une primaire socialiste. Ségolène Royal n'a jamais caché son hostilité à ces débats, réclamés avec insistance par Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, arguant que cela servirait avant tout la droite à fourbir ses armes pour " l'autre " campagne. François Hollande a hésité. Puis les dirigeants du parti réunis en bureau national sont parvenus à un accord le 26 septembre, alors que Mme Royal se trouvait en visite au Sénégal, et la candidate favorite des sondages a dû s'incliner à contrecoeur.
" Je vais voir comment - ces débats - vont se dérouler, il y en a trop, confie-t-elle au Monde. C'est à désespérer, ce qui se passe dans le parti : on n'arrête pas de se regarder le nombril ! " Et de prévenir : " J'en accepte le principe, mais je me réserve pour la suite. " Mardi, le ton est monté avec la " suite " justement, c'est-à-dire le second volet des débats, organisés cette fois devant les militants, le 19 octobre, le 26 puis le 9 novembre. Les deux derniers auront lieu à Paris et à Toulouse tandis que le premier est encore en balance entre Tours ou une ville du Gard.
Le numéro deux du parti, François Rebsamen, rallié à Mme Royal, a tenté d'exclure toute présence de la presse, " même régionale ", mais il a été finalement convenu que les journalistes pourraient assister à ces rencontres, mais sans micro ni caméra. " Pourquoi pas débattre avec des cagoules ? ", s'énervait à la sortie le fabiusien Claude Bartolone. " On veut un débat maîtrisé mais pas étouffé ", soulignait pour sa part Jean-Christophe Cambadélis, proche de M. Strauss-Kahn. La délégation de Mme Royal, menée par Patrick Mennucci, elle, n'a cessé de répéter au fil des discussions : " Nous, on ne voulait pas de ces débats. "
Isabelle Mandraud
Sur Internet, les militants jouent le jeu du débat
DÉJÀ NOYÉES sur le site Internet du PS, leurs questions ont statistiquement - très - peu de chances d'être soumises aux candidat (e) s à l'investiture socialiste. Qu'à cela ne tienne ! Plusieurs centaines de militants du PS se sont glissés par cette fenêtre pour interpeller leurs présidentiables. " Bonjour, le PS est-il social-libéral ? ", interroge Yassine Jabri, militant du Val-de-Marne. " Que faire pour les quartiers populaires ? ", demande une Parisienne, Laetitia Avec.
Rares sont les questions aussi concises. Car l'exercice offre surtout un moyen détourné d'exprimer de multiples préoccupations. Difficile, en la matière, de faire court. Didier Naon, de Seine-Saint-Denis, a choisi de résumer sa propre situation : " Je suis retraité. J'ai fait le constat suivant : entre 2003 et 2006, le montant net de mes retraites (SS et complémentaires) a été augmenté de 19 euros, soit 1,5 % en 3 ans. Pensez-vous mieux faire, messieurs les candidats ? Merci. "
" DÉSINFORMATION "
Les questions récurrentes sur le cumul des mandats, la réduction du " train de vie " de l'Etat, ou encore la lutte contre la corruption, témoignent en creux d'une défiance persistante vis-à-vis des responsables politiques. " Si vous étiez élu, (...) votre programme en matière économique et sociale sera-t-il en totalité réalisé ? ", interroge Pascal Heisserer (Bas-Rhin), avant d'ajouter ce post-scriptum : " Un candidat de gauche devrait toujours avoir en tête que les classes populaires ne supportent pas la moindre fausse promesse. "
Le sort de la VIe République, que prônait Arnaud Montebourg avant de se rallier à la candidature de Ségolène Royal, fait l'objet de plusieurs interrogations. De même que la construction européenne, le souvenir du référendum interne restant très vivace. Les militants en tirent des leçons diamétralement opposées. " Quelle légitimité a monsieur Fabius après ses mensonges, sa désinformation quant aux questions européennes ainsi que son mépris pour le vote des militants ? ", écrit Dominique Bron (Yvelines), alors que Roger Ramos (Hérault) voudrait savoir, à l'inverse, si " les candidats respecteront le choix des Français sur le non à la Constitution ".
Invités à questionner les candidats, certains en profitent pour afficher leurs préférences. Evoquant l'" expérience " nécessaire à tout candidat, Florian Pattaconi (Lot-et-Garonne) fait mine de s'interroger : " Ne pensez-vous pas que Fabius surtout, ou Strauss-Kahn en second, auraient davantage de chance de vaincre la droite que Royal qui n'émerge qu'actuellement par un effet de mode et une communication efficace ? "
" N'y a-t-il pas comme une sorte de provocation à remettre sur le devant de la scène un ancien ministre de l'économie ou un ancien premier ministre qui, quoi qu'ils en disent, représentent aux yeux des Français un modèle traditionnel, voire dépassé, dont ils ne veulent pas ? ", semble répliquer Jean Fabre (Aude). Le débat a déjà commencé.
Jean-Baptiste de Montvalon
Commenter cet article