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Est-ce parce que l'abbé est bricoleur ? Laguérie reçoit en la paroisse Saint-Eloi, «joyau bordelais du XIIe siècle» sise en plein centre-ville et présentement en travaux. Des ouvriers s'y activent, dont un jeune abbé portant également une soutane, très sale celle-là, et perché sur un échafaudage. En cette chaude matinée de septembre, l'abbé Laguérie est tout sourire. Il y a deux ans, il était viré comme un malpropre, pour «dissidence», des rangs de la Fraternité Saint-Pie X branche du catholicisme traditionaliste créée en 1977 par l'évêque schismatique Mgr Marcel Lefebvre dont il fut l'un des bergers.
Lui, l'ancien curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, fief intégriste parisien, était prié par Mgr Bernard Fellay, supérieur général de l'ordre, de quitter Saint-Eloi pour aller évangéliser au Mexique. Ce qu'il a refusé. Il y a un mois, il était accueilli comme un fils prodigue par le pape Benoît XVI. Alors que les lefebvristes sont toujours excommuniés, leur rabibochage avec le Vatican ayant échoué, Laguérie a été intronisé supérieur général d'une nouvelle fraternité, «le bon pasteur», qui sera rattachée directement à Rome.
Grâce suprême : il aura le droit de célébrer «exclusivement» la messe en latin selon le rite dit de saint Pie V, et d'engager une «critique sérieuse et constructive» du concile Vatican II (1962-1965). Pour les intégristes, il s'agit là d'une belle victoire. Vatican II, en effet, sent pour eux le soufre. Et la mission qu'ils se sont fixée est de faire revenir l'église catholique sur deux acquis de ce concile : la nouvelle messe dite de Paul VI «un affreux bricolage par rapport à la tradition, inventé de toutes pièces avec le concours de nombreux protestants» et l'oecuménisme. Fort de la consécration de Benoît XVI, Laguérie affiche l'ambition d'ouvrir des paroisses «partout en France et ailleurs».
Y parviendra-t-il ? Pour l'heure, l'abbé est à la tête d'une armée groupusculaire même s'il annonce des ralliements en provenance des rangs catholiques et lefebvristes. Hors de la sphère traditionaliste, la nouvelle légitimité donnée à Laguérie et ses troupes inquiète. Car ce prêtre intégriste n'est pas un enfant de choeur. Pendant plus de dix ans, il a été curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, paroisse illégalement occupée par les traditionalistes. En 1993, il investit une autre église parisienne, Saint-Germain-l'Auxerrois. En 2002, Laguérie obtient d'Alain Juppé, alors maire de Bordeaux, la mise à disposition de l'église Saint-Eloi. La justice, saisie par l'évêque du diocèse, Jean-Pierre Ricard, juge cette mise à disposition illégale. Entre temps, Laguérie et ses troupes ont entamé d'importants travaux de restauration. «Si la ville nous chasse, je leur dirai : "Vous me devez telle somme." Les travaux sur le grand orgue ont coûté 226 000 euros"», prévient Laguérie. Sur ce tumultueux passé, l'abbé glisse rapidement : «Peut-être que je suis passé un peu en force. Quand je me trouve face à un obstacle, je ne fais pas demi-tour. Aujourd'hui, cette époque est révolue, cette page est tournée. Le pape et la curie regardent avec beaucoup de bienveillance ce que nous faisons.»
Décrit par Laguérie, le catholicisme intégriste est un club pacifique d'amis des arts et de la belle liturgie. «Ce que cherchent les fidèles n'est pas compliqué : une belle messe du dimanche pour éduquer leurs enfants dans la sérénité. Ici, ils ont une belle paroisse avec une école, la catéchèse, une troupe scoute, une belle liturgie, des sacrements, des prêtres à leur affaire, ils se sentent dans une grande famille. Ils sont heureux, contents, et je le vois à la sortie de la messe le dimanche.»
A Bordeaux, les adversaires de Laguérie voient en Saint-Eloi un bubon réactionnaire, «un abcès de fixation fasciste. Les liens entre les lefebvristes et l'extrême droite sont établis», affirme Gérard Boulanger, avocat qui plaida contre l'abbé quand celui-ci voulut faire interdire d'affichage dans trois librairies bordelaises le livre de Bettina Rheims et Serge Bramly, Inri , dont la couverture montrait une femme en croix.
Autant que ses faits d'armes, ce sont les accointances de Laguérie avec les extrêmes qui alarment. Le fait est que son bêtisier est assez garni. En 1987, il déclare à Libération à propos des juifs : «Depuis quarante-cinq ans, ils tiennent la France en dictature, ils contrôlent les médias et la banque...» En 1996, il célèbre les obsèques du milicien Paul Touvier qu'il décrit comme «une âme délicate, sensible et nuancée». Devant le «tribunal divin, il n'y a pas de médias ni de coups médiatiques, pas de communistes, pas de franc-maçonnerie, pas de partie civile et pas de Licra [Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, ndlr] », déclare l'abbé qui se présente alors comme «l'avocat de Paul Touvier auprès de Dieu». En 2003, l'abbé Guillaume de Tanoüarn, prêtre intégriste et directeur de la publication de la revue Pacte Laguérie étant membre de son comité de rédaction est condamné pour provocation à la haine raciale. Il lui est reproché d'avoir publié un article d'un dénommé Claude Rousseau, selon lequel les Maghrébins sont des «benladenistes en herbe». Les «Arabes envahissent Lutèce, Lugdunum ou Phocée, c'est la France qu'ils menacent d'étrangler». Les juifs sont des «financiers transnationaux». Il existe une «solidarité foncière entre ces deux mondes», une «collusion d'intérêts» pour affaiblir la France.
Interrogé sur ses idées, Laguérie élude. Répond que, comme son père, il se «situe religieusement, pas politiquement». «Pendant la guerre, on a caché quatre juifs dans notre maison de Solignac. Mon père a fait de la résistance. En 1958, il a voté de Gaulle.» Les Laguérie c'est une tribu modèle vieille France. Père ingénieur général des PTT. Famille catholique pratiquante : «On n'a jamais manqué une messe du dimanche, ni un chapelet.» Neuf enfants. Philippe est le dernier. Jacques l'avant dernier est également prêtre, également intégriste, mais lui est demeuré fidèle aux lefebvristes. En 1968, Laguérie est en seconde au lycée Lakanal de Sceaux. «Je n'étais pas dans la rue, ni d'un côté ni de l'autre, j'ai attendu que ça se passe en jouant aux échecs.»
Après son bac, il fait deux ans d'économie politique à l'université d'Assas, puis entre au séminaire. «J'ai été voir Mgr Lefebvre tout de suite. C'était le seul à former des séminaristes à la messe ancienne, grégorienne.» Pour lui, la France est alors en train d'entrer en décadence sous l'effet conjugué du concile Vatican II et de mai 1968 : «Et l'Eglise au lieu de réagir en se resserrant sur la tradition et ses valeurs propres a emboîté le pas.» Souvenir : «En 1967, j'arrive à ma paroisse Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, la messe ressemblait à un concert de rock n'roll, ça m'a pris à la gorge. C'était des années zazou pour la liturgie.» Rupture avec la tradition, remise en cause de l'autorité, apparition d'une forme de relativisme religieux avec la promotion de l'oecuménisme. «Nous avions prévu que ça allait vider les églises, ça n'a pas manqué.» Pour ce soldat du Christ, l'heure de la reconquête a sonné.
Catherine Coroller
Philippe Laguérie en 5 dates :
° 30 septembre 1952 Naissance à Sceaux.
° 29 juin 1979 Ordination par Mgr Marcel Lefebvre.
° 1983-1997 Curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris.
° Septembre 2004 Est exclu pour «dissidence» de la fraternité Saint-Pie-X.
° 8 septembre 2006 Se rallie à Rome.
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