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Interview
Didier Convard
Didier Convard revendique ses convictions écologiques et son appartenance à la franc-maçonnerie. A travers un parcours au large champ d'exploration, il a acquis la réputation d'un auteur complet et engagé et s'est offert une place de choix dans la BD contemporaine.
Nous avons profité de la venue, à Limoges, de Didier Convard (auteur du thriller historique et ésotérique "Le triangle secret" et de sa suite "INRI", dont le 3ème tome vient de paraître) pour lui poser quelques questions sur sa déjà longue carrière ! Ses premières BD, chez Bayard ou chez Fleurus, étaient, la plupart du temps, des illustrations d’histoires écrites par d’autres scénaristes. Pourquoi notre interviewé n’a-t-il pas écrit d’emblée ses propres scénarios ?
«J’ai commencé très jeune en BD ; j’avais tout à apprendre. Je sortais à peine d’une école d’Arts Appliqués lorsque j’ai obtenu mes premiers contrats chez Bayard, Fleurus et le Lombard. A l’époque je dessinais pour des revues s’adressant à un public jeune et les histoires que j’avais envie d’écrire n’étaient pas conformes à la ligne éditoriale de ces magazines. De plus, passer par l’illustration BD, représentait un excellent apprentissage pour mon métier de scénariste à venir. J’y apprenais le découpage, la mise en scène, les cadrages : une véritable grammaire de l’image qui me servirait plus tard à mieux préciser mes scénarios. Le dessin était alors ma priorité par la force des choses. On m’avait rapidement cantonné dans la presse pour jeunes et j’animais des séries qui devinrent vite populaires ; il me fallait donc «fournir» des pages à un rythme endiablé pour ne pas encourir la foudre des lecteurs ! Car l’univers de la BD se limitait alors le plus souvent à des parutions hebdomadaires, feuilletonesques. Les albums sont arrivés bien plus tard…»
Qu’est-ce qui a fait, alors, qu’il se soit consacré de plus en plus au scénario ?
«C’est mon passage par le journal Tintin, avec la création de la série "Neige", qui m’a permis de me détacher progressivement du dessin. Le succès immédiat de cette saga m’a propulsé chez Glénat, lequel m’a donné la possibilité de réaliser enfin les scénarios plus adultes que je souhaitais écrire depuis longtemps. Vinrent alors des séries comme "Les héritiers du soleil" ou "Toussaint" et, plus récemment "Le triangle secret" et "INRI". Entre temps, j’avais inventé le personnage de "Finkel" avec Gine, pour les Editions Delcourt. La charge de scénario devenait si lourde, si prégnante que je lâchais complètement le dessin. Parallèlement, j’écrivais des romans pour la jeunesse aux Editions Magnard. J’ai rapidement compris que l’écriture était le mode d’expression qui me convenait le mieux. Bien plus que le dessin qui m’a laissé souvent insatisfait. J’en étais le premier critique et toujours le plus sévère !»
Après avoir enseigné la publicité, Didier Convard (qui est né en 1950) publie quelques planches dans des magazines comme Saga ou le Record des éditions Bayard («Irlabert Forsiad» avec Serge Saint-Michel et un récit complet avec Yves Juvin), en 1972. Il réalise aussi des illustrations pour un ouvrage didactique de Serge Saint-Michel («Le français et la BD» chez Nathan, en 1972) et rejoint le groupe de presse Fleurus (Formule 1, Djin, Fripounet, Triolo…), multipliant les séries populaires en tant que dessinateur («Jet» avec Serge Saint-Michel en 1973, «François Vildrac» avec Claude Verrien, en 1976, «Isabelle Fantouri», de 1976 à 1980, en collaboration avec André Juillard et Jacques Josselin, «Chroniques de Dorian» avec Mortimer, en 1978…), puis en tant que scénariste («Sherlock Holmes» avec Pierre Brochard, en 1983, «Le festin oublié» avec Laurent Parcelier, en 1985, «Fripounet et Marisette» avec Roland Gremet, puis Christian Goux, en 1985…). Etait-ce pour être moins qualifié d’auteur prolixe que notre interviewé avait pris le pseudonyme de Grégory pour cette dernière série ?
«Si j’ai pris le pseudonyme de Grégory, il y a bien longtemps (!), pour scénariser «Fripounet et Marisette», c’était plutôt pour ne pas interférer avec mes réalisations plus adultes. Et plutôt qu’auteur prolixe, je préférerais qu’on m’appelle auteur gourmand ! Au regard de certains auteurs actuels qui sont capables avec talent et originalité d’écrire une dizaine d’albums par an, je trouve que je joue «petit bras» dans leur cour avec mes quatre à cinq scénarios annuels.»
Justement, pratiquement, comment présentez-vous ces scénarios ?
« Tout d’abord, je propose au dessinateur un synopsis très précis d’une quinzaine de pages à partir duquel peut s’engager une discussion. Les scories de ce premier travail effacées, les retouches nécessaires apportées à la structure propre du récit, je passe à l’écriture définitive du scénario que je livre totalement abouti à l’illustrateur. C’est alors un document comprenant près de cent cinquante pages dans lequel j’ai tenté de mettre des descriptifs très précis, de nombreuses indications concernant les décors, la psychologie des personnages, les ambiances… Il m’arrive même de préciser une bande-son pour faire comprendre au dessinateur l’atmosphère qui m’a porté tout au long de mon travail. En réalité, mes scénarios de BD ressemblent de très près à des scénarios de films.»
Toujours à quatre mains, avec son complice André Juillard, Didier Convard dessine “Les Cathares”, en 1978, pour l’hebdomadaire Djin : long récit didactique repris en album aux éditions Magnard, en 1980. Or, cette année-là correspond à son entrée au journal Tintin où il réalise les textes et dessins de nombreux récits complets (“Les huit jours du diable” et “Le neuvième jour du diable”), illustre “Cranach de Morganloup” (scénarios de Jean-Luc Vernal, en 1982) et scénarise quelques séries éphémères mises en images par Sonk ou Roland Gremet (en 1981) : puis, ce sera “Neige” (1986), l’une de ses plus célèbres séries, écrite pour son ami Christian Gine. On lui doit même, en 1986, quelques aventures du mythique “Chevalier blanc”, réalisées avec les créateurs de la série : Liliane et Fred Funcken. Pour le mensuel Gomme des éditions Glénat, en 1981, il reprend les dessins de “Brunelle et Colin” (personnages créés par François Bourgeon, sur des scénarios de Robert Génin) et propose les enquêtes de “Mathieu Lamy” illustrées par Gine (1982). Sa collaboration avec les éditions Glénat se poursuit encore aujourd’hui puisqu’il en est l’un des directeurs éditoriaux (il s’occupe notamment de la collection “La loge noire”), après avoir mis successivement à leur catalogue “Sur les ailes du temps” (compilation de récits complets réalisés pour la revue Circus, en 1985), “Les héritiers du soleil” (série sur l’Egypte antique, créée en 1986 et reprise graphiquement par Frédéric Bihel), “Henri-Georges Midi” (avec Christian Goux, en 1988), “Les souvenirs de Toussaint” (avec François Dermaut, puis Joëlle Savey, en 1989), “Les chevaliers de la cloche” (avec Yves Juvin, en 1990) et, bien sûr, “Le triangle secret” et “INRI”, en 2000 et 2004 (avec Denis Falque et Pierre Wachs ainsi que des dessinateurs invités). Cet auteur à l’imagination fertile passe-t-il facilement de l’écriture d’une série à une autre ?
“ Le hasard des parutions peut faire croire que j’écris toutes mes séries en même temps ; il n’en est rien. J’essaye de ne pas faire se chevaucher plusieurs histoires car je n’aime pas trop passer d’un univers à un autre. J’ai l’impression, dans ce cas-là, de sauter d’un cheval à un autre, le tout au triple gallot… Je travaille avec beaucoup d’avance. Si je prends “Le triangle secret” comme exemple, les sept tomes étaient pratiquement entièrement écrits avant que n’interviennent les dessinateurs. Tandis que ceux-ci donnaient corps à cette grande entreprise, j’écrivais “INRI”. En fait, j’ai réalisé avec les années, que je devais être très structuré dans mon mode de fonctionnement. L’organisation et la rigueur sont deux solides béquilles sur lesquelles je m’appuie. Elles m’évitent la schizophrénie !”.
Quelle est la partie que Didier Convard préfère dans l’élaboration d’un scénario : l’imagination de l’histoire, la recherche de la documentation, la discussion avec le dessinateur, l’écriture proprement dite, le découpage… ?
« Le moment le plus confortable est l’instant où l’idée vous apparaît, prend une vague forme dans l’esprit, s’installe en vous, n’aspirant qu’à être aidée dans sa gestation. Je crois que c’est la partie la plus excitante, la plus stimulante car elle se situe hors de la technique. Tout est possible alors. Des milliers de voies, une infinité de possibilités s’offrent à moi. Ce qui suit cette étape impose justement une technique narrative, une utilisation précise de certains codes, un réel travail de metteur en scène, puisque tout ce que vous écrivez deviendra du visuel. Bien sûr, tous les échanges avec le dessinateur sont autant de moments nécessaires, constructifs et amicaux. A mon avis, un scénario n’a de valeur que s’il est écrit pour un illustrateur particulier, choisi au départ de l’aventure.»
Et où trouve-t-il l’inspiration et quelles sont ses principales influences ? Enfin, le fait que notre interviewé soit franc-maçon et qu’il le revendique l’aide t-il dans l’approche de ses scénarios ?
« Tout est source d’inspiration. Et l’on ne sait d’ailleurs pas souvent quelle fut l’origine de telle ou telle idée. Il est vrai néanmoins que mes références à l’écologie («Neige») et la franc-maçonnerie («Le triangle secret») sont manifestes. Sans doute parce que l’une et l’autre font intrinsèquement partie de mon existence et sont matière à réflexion, remise en cause, doute… Je me contente rarement d’un scénario n’offrant qu’une seule et unique lecture. J’aime y glisser une seconde approche, un sens parfois caché que l’on découvre un peu plus tard. Un scénario peut être populaire – prenons le mot dans sa véritable acception – et cependant proposer un deuxième degré de lecture. J’ai toujours fait le pari que les lecteurs étaient des gens intelligents. C’est presque malgré moi que mes personnages s’abîment dans de longues quêtes romanesques ou spirituelles. Ils portent sur leur dos le poids qui doit peser sur mes épaules ! Je n’y peux rien si mes héros sont existentialistes… Après tout, ils ne sont que le fruit de mes propres questionnements. Quant à la franc-maçonnerie en particulier, elle sert épisodiquement de toile de fond à mes récits. Je préfère la voir là qu’à la première page des magazines à scandales où elle sert injustement de bouc émissaire… Je ne me livre à aucun prosélytisme ; je me contente de mettre en scène un univers passionnant fondé sur la Tradition.»
Didier Convard, dessinateur réaliste au trait précis et scénariste inspiré, a travaillé également pour d’autres maisons d’éditions puisqu’on retrouve sa signature au sommaire du magazine de jeux Joker, dans les mensuels Je Bouquine (pour des adaptations de romans classiques en BD) et Gullivore ( «Les lectures de Quentin» avec Christian Goux, en 1990), dans la collection «L’histoire du peuple dieu» aux éditions du Bosquet, chez Magnard (sur «Songe et les forces de la guerre» avec Sonk, en 1985, et sur divers romans pour la jeunesse), chez Blanco («Last» avec Gine, en 1990), aux éditions Dargaud («Chats», en 1992, «Editnalta», «Polka» avec Siro, en 1995, «Le dernier chapitre», des textes illustrés par André Juillard en 1998), Ifrane («La nuit du président» avec Paul, alias son fils Sébastien Convard, en 1996) puis Delcourt («Finkel» avec Gine en 1994 ou «Rogon le Leu» avec Alexis Chabert puis Sébastien Cosset, en 1996). Il a même été coloriste (notamment sur un «Blake et Mortimer» dessiné par son vieux complice André Juillard), le rédacteur en chef de la revue Vécu et, maintenant, il est directeur éditorial chez Glénat. Pourquoi ce besoin de toucher à tous les aspects des métiers de la BD ?
«J’aime sincèrement la BD. J’en aime tous les angles, toutes les facettes. La BD est un monde où des adultes peuvent encore jouer, raconter des histoires, les mettre en images, les publier. Et pourquoi ? Pour partager des univers originaux et personnels. Pour apporter aux lecteurs une chose très simple: un peu de plaisir. Et parfois un zeste de réflexion. Si Jacques Glénat a bien voulu me confier quelques responsabilités éditoriales (en collaboration avec Laurent Muller), c’est sans doute parce qu’il a pensé que je pourrais donner un certain esprit aux productions que je choisirai de suivre. Une certaine couleur ! C’était aussi l’occasion de fédérer quelques uns de mes amis autour de projets particuliers, renouant un peu avec la tradition antédiluvienne et héroïque de la presse ! C’est dans cet esprit qu’est né «Le triangle secret», autour d’une équipe, d’un sujet, d’une envie de retrouver le goût du feuilleton ! Et puis, chaque âge possède ses attraits. On se calme un peu, on s’assagit. On est alors en droit de transmettre aux plus jeunes quelques bribes de son savoir.»
En tant que directeur éditorial, Didier Convard accepte-t-il des scénarios manuscrits qui n’ont pas encore trouvé de dessinateur adéquat et quels conseils peut-il donne à un scénariste débutant ? Propos recueillis par Gilles Ratier 20 septembre 2006
«L’un des principaux intérêts d’un éditeur est de découvrir de nouveaux talents. Nombreux sont les jeunes à présenter des manuscrits auxquels il faut associer des dessinateurs. Les mariages sont rendus possibles par le vivier étonnant d’excellents graphistes qui chahutent actuellement la BD avec bonheur. Quoique je sois issu de la tradition de l’Ecole Belge, je me passionne pour la nouvelle BD, pour ses inventions, sa manière d’appréhender le récit en tordant le cou aux règles, sa façon de mélanger l’autobiographie et le romanesque avec une dérision pimentée d’une pointe de cynisme. Un éditeur apprend chaque jour de ces auteurs «modernes». Imaginez quand cet éditeur est aussi auteur… Quel conseil donner à un jeune auteur ? Terrible question ! Par quelle face la prendre ? La technique ? Parler de la cohérence d’un récit, de son découpage, de ses dialogues ? Ou évoquer la sincérité, l’imagination, la pertinence de l’auteur ? Je pense que je donne peu de conseils en règle générale. Je préfère offrir quelques albums de grands maîtres passés et présents et demander au jeune scénariste de les lire, relire et relire. Pour ne pas faire la même chose naturellement, mais essayer de le faire mieux !»
Nombreux sont les scénaristes qui pensent qu’ils sont comme le bon vin, c’est à dire qu’ils deviennent meilleurs en vieillissant. Et le scénariste du «Triangle secret», qu’est-ce qu’il en pense ?
«C’est vrai pour la plupart. Pour ceux qui ne versent pas dans le nombrilisme bêtifiant des vieux sages inébranlables. Les autres, les plus nombreux dont j’espère faire partie, trouvent dans la maturité de nouvelles forces. De nouvelles inspirations. Le temps leur a montré les erreurs à ne plus commettre et enseigné quelques vertus à préserver. Leur technique aiguisée est alors mise au profit de solides histoires… Dans lesquelles apparaît parfois une pointe de nostalgie.»
En tout cas, Didier Convard est aujourd'hui en pleine possession de ces moyens puisqu’il nous concocte plusieurs projets forts alléchants : un thriller qui se déroulera à Rome, à l'époque de la Renaissance («L'ange brisé», dessiné par Gilles Chaillet), un feuilleton avec «Fantomas» qui se passera en 1913 («L'année sanglante», en collaboration avec Jean-Yves Delitte), et il planche même sur l'écriture d'une série TV pour France 3 !
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