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Le Blog des Spiritualités

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Juifs et chrétiens renvoyés à leur ghetto spirituel

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 25 Août 2006, 21:06pm

Catégories : #Religions

Vu sur le site du Monde. Un article de Nicolas Weill a propros du livre "LE JUDÉO-CHRISTIANISME" de Javier Teixidor paru chez Gallimard, collection "Folio histoire" :

Sur un sujet aussi sensible que le "judéo-christianisme" on aurait pu attendre d'un spécialiste de Palmyre et du monde araméen un regard nouveau sur la réalité des échanges entre chrétiens et juifs dans les premiers siècles de notre ère. Or tel n'est pas le projet de Javier Teixidor, professeur honoraire au Collège de France. Dans cet ouvrage où il déborde de son domaine, il entend réfuter la réalité même d'une notion, qui à ses yeux, ne mérite pas plus que le nom de "chimère". Le véritable thème de cette étude est plutôt la fortune et l'avenir d'une illusion qui prétend que les deux confessions seraient solubles l'une dans l'autre. Pour les chrétiens avec l'espoir de la conversion des incrédules, pour les juifs avec l'idée que le judaïsme pourrait se trouver une place comme religion de la raison.

La réfutation de l'idéologie prêtée aux fondamentalistes américains selon laquelle juifs et chrétiens seraient les invités d'un grand festin, dont l'islam serait l'exclu, constitue également l'un des enjeux sous-jacents de cette étude.

Car, pour son auteur, le judéo-christianisme se ramène principalement à un mythe, susceptible de multiples récupérations politiques, contemporain du grand mouvement d'émancipation qui marque l'entrée des juifs dans les sociétés occidentales depuis deux cents ans. S'il n'est pas étonnant qu'il y ait eu des penseurs chrétiens avides de voir les juifs reconnaître enfin la Bonne Nouvelle afin d'accomplir la fin des temps, l'existence d'une intelligentsia juive, illustrée par le rabbin de Livourne Elie Benamozegh (1822-1900), représente des protagonistes moins connus de cette tentative de jeter des ponts au-delà des divergences.

La théologie du "retour" d'Israël, accordant aux juifs une place de choix dans l'eschatologie chrétienne au prix de leur conversion finale, a certes l'Epître aux Romains (XI) la matrice des relations, souvent tragiques, entre les deux confessions. L'histoire critique de cette conception du "Verus Israel", représenté par l'Eglise quand les juifs post-christique se voyaient ravalés au rang de témoins servant uniquement à attester de l'Antiquité des Ecritures, a cependant été faite depuis longtemps, notamment par des historiens comme Marcel Simon ou Jules Isaac qui ont pavé le chemin menant aux réévaluations de Vatican II.

Mais Javier Teixidor qui se réclame de la laïcité à la française, seule garantie d'indépendance pour les "dénominations" qui s'abritent sous son aile, juge que les réconciliations ont, elles aussi, leurs limites quand, loin de manifester un respect des identités de chacunes, elles déforment à l'envi le message des deux religions.

Le problème est que cette revendication en séparation se fait au nom d'une épure qui reste mystérieuse. Pis, elle conduit à son tour à des conceptions extrêmement réductrices du christianisme comme du judaïsme. S'il n'est pas faux de soutenir que la lecture allégorique de l'Ancien Testament ("figure" du Nouveau qui en serait la "vérité" dans le christianisme) demeure tributaire d'un projet de conversion, on ne peut écarter que l'herméneutique juive aussi inclut une dimension allégorique dans son rapport à la Bible, laquelle fleurit par exemple chez Maimonide.

"LÉGISLATION RÉVÉLÉE"

Javier Teixidor pense que si Jésus et ses premiers disciples étaient incontestablement juifs, le christianisme se serait très tôt détaché de la culture juive pour recueillir l'héritage gréco-romain. N'est-ce pas faire bon marché des philosophes juifs, de Philon à Maimonide - qu'il cite - mais aussi des cabalistes voire des sages du Talmud - à peine évoqués - qui ont confronté la tradition biblique avec l'aristotélisme ou le néoplatonisme.

Mis à part Spinoza ou Hannah Arendt, personnalités marginales, la référence de Javier Teixidor en matière de judaïsme, c'est le philosophe juif des Lumières Moses Mendelssohn (1729-1786). Face aux appels à la conversion de Lavater, ce dernier avait répondu en qualifiant le judaïsme de "législation révélée" tandis que le christianisme consisterait en une "religion révélée". Quoi qu'il en soit de l'interprétation ici proposée de Mendelssohn, il n'est pas sûr qu'elle livre le dernier mot de ce que l'on peut dire sur le judaïsme, civilisation extrêmement diverse, ni qu'elle empêche de repérer des similitudes de fond.

Il n'est pas sûr non plus que l'analyse soit au diapason des tendances actuelles des études juives, désormais plus sensibles qu'autrefois aux interactions entre univers juifs et chrétiens et à leurs effets sur l'élaboration des deux corps de doctrines. C'est ainsi qu'un historien de l'université hébraïque de Jérusalem comme Israël Yuval a pu réinterpréter la Haggadah (le récit de la sortie d'Egypte) comme un contre-Evangile. Ou qu'un philosophe comme Amos Funkenstein a établi l'influence de saint Augustin sur la conception de l'histoire propre au philosophe juif Franz Rosenzweig. Preuve, s'il en était besoin, que le ghetto spirituel n'est pas le vrai antidote à l'"enseignement du mépris".


LE JUDÉO-CHRISTIANISME de Javier Teixidor. Gallimard,"Folio histoire", 336 p., 7 €. En librairie le 31 août.

Nicolas Weill
Article paru dans l'édition du 25.08.06

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