Article de Jean-Michel Quillardet, Grand Maître du Grand Orient de France, publié dans le Figaro du 19 août 2006 :
Dans quelques jours, la principale obédience maçonnique de notre pays, le Grand Orient de France, réunira son convent. À n'en pas douter, ce rendez-vous annuel donnera lieu, ici ou là, à quelques articles divers ou, comme à l'automne dernier, à un livre «à succès», présentant une maçonnerie obscure éso térique renouant avec le vieux mythe du complot maçonnique.
La réalité que vivent les quelque 47 000 francs-maçons du Grand Orient ? et plus largement les 100 000 francs-maçons et franc-maçonnes des principales obédiences reconnues en France ? est tout autre.
Ces hommes et ces femmes ne sont pas en maçonnerie pour discuter à l'infini de la gestion de leurs institutions. Ils demandent simplement à leur représentant d'assumer celle-ci d'une manière rigoureuse, fiable et transparente. Leur vie maçonnique se déroule loin des éclairages médiatiques, dans leurs loges où tous les quinze jours ou presque, ils se rencontrent et font vivre la réalité d'une pratique maçonnique qui pourrait bien constituer pour l'honnête homme du XXIe siècle une voix pour lui-même et pour la société.
La maçonnerie est d'abord un conservatoire de tradition, un savoir partagé par tout initié qui par-delà la chaîne du temps, retrouve ce que vécurent Mozart, Montesquieu, Condorcet ou Goethe, selon peut-être des rites différents, mais dont l'esprit s'est depuis le début le XVIIIe siècle perpétué.
Cette tradition n'est pas figée : elle constitue le corpus indispensable qui assure à la démarche maçonnique une certaine forme d'unité permettant aux maçons, de déconstruire pour mieux reconstruire, démultiplier, recentrer, démultiplier encore. La maçonnerie est un projet qui s'inscrit parfaitement dans la modernité, mais qui ne doit pas s'adapter à la modernité, car elle risquerait alors de s'affadir et de s'affaiblir.
Ce qui fait la force du Grand Orient de France, du fait de sa longue histoire et du particularisme de son recrutement, c'est la rencontre du contradictoire, le dialogue de l'opposition, la confrontation des différences puisées dans les mêmes sources : les Lumières.
Le maçon, par les outils et les méthodes de travail qui lui sont offerts, peut ainsi se situer au-dessus du quotidien, de l'immédiat, de l'actualité.
La démarche initiatique et symbolique propose un langage commun. Il n'y a pas de pensée maçonnique, d'opinion maçonnique, de doctrine maçonnique : il y a des individus qui se construisent leur propre regard. Et parce qu'ils ont travaillé, selon la formule d'Edgar Morin, «l'un avec l'autre, l'un et l'autre, l'un contre l'autre, dans le respect mutuel, ils peuvent dire la complexité du monde».
Le Grand Orient est sans doute aujourd'hui l'un des rares endroits où peuvent s'exprimer le cosmopolitisme des idées et des êtres, l'idée républicaine et laïque, l'universalisme de l'humanisme. Ses membres, de gauche ou de droite, croyants ou incroyants, athées ou agnostiques, rationalistes ou spiritualistes, n'ont qu'un objectif : travailler à l'épanouissement de l'homme dans sa dignité et sa liberté, la liberté absolue de conscience, la fraternité.
L'avenir du Grand Orient de France est là, dans sa capacité à offrir ce qui manque aujourd'hui tellement à nos démocraties occidentales : un savoir historique, une culture ancestrale pour mieux vivre la modernité, un don de chacun pour rendre l'autre plus fort, une puissance intellectuelle, une philosophie de la transmission de richesses contradictoires.
Les Églises, quelles qu'elles soient, revendiquent leurs vérités comme la Vérité. Les partis politiques s'épuisent, le plus souvent, dans la conquête d'un pouvoir toujours plus illusoire et éphémère, sans expression d'une véritable pensée.
Chez nous, le débat est riche parce qu'il n'oppose pas un camp contre un autre, mais permet aux maçons de prendre la parole sans contrainte, sans consigne, sans posture. Chaque frère développe une pensée libre et c'est l'ensemble de ces pensées libres qui justifie le regard maçonnique devant être posé sur notre nouveau siècle. Telle est la maçonnerie qui se pratique quotidiennement au sein du Grand Orient de France. On est loin alors des obscurantismes troubles qui n'ont existence que dans l'imaginaire de certains auteurs.
La vraie question est de savoir si l'institution maçonnique est à la hauteur des attentes de ses membres. Le Grand Orient de France n'est pas en déclin, mais il doit incontestablement réinvestir le champ de la pensée, de l'écoute et de l'action. De nombreux chantiers nous sont ouverts : réaffirmer les grands principes de la République. Redonner sens à la laïcité comprise en tant que liberté absolue de conscience et séparation de l'Église et de l'État. Réanimer le respect de l'État de droit et des libertés individuelles et collectives si chèrement acquises au cours de l'histoire de notre pays, sans que celles-ci soient conditionnées ou limitées par les émotions populaires, les raisons d'État ou l'opinion médiatique. Promouvoir l'universalisme qui commence par la construction d'une Europe, non pas en tant que fin et continent, mais en tant qu'idée. Régénérer le développement de l'éducation et de la culture, à commencer par la culture maçonnique permettant de donner à tous hommes et toutes femmes les outils nécessaires à la compréhension de soi, la connaissance de l'histoire, la rencontre de l'autre.
Là sont les vrais enjeux non seulement de notre prochain convent, mais de tous les travaux auxquels se livrent les francs-maçons dans la discrétion de leurs loges, loin des éclairages médiatiques, des couvertures de magazine et des livres «à succès».
Certains diront : «Vaste programme !» Oui. Il s'agit d'un idéalisme. Mais j'ai la conviction que cet idéalisme-là, humblement, modestement, degré par degré, peut porter les hommes à se dépasser eux-mêmes et, comme l'écrivait Albert Camus, «éviter ainsi que l'humanité ne se défasse».
Source : Le Figaro.
Le site réactionnaire et ultra conservateur Chrétienté info a réagit vigoureusement à cette tribune dans un article intitulé "Pub pour la Franc-Maçonnerie dans le Figaro" dont voici quelques extraits :
Le Figaro offre lamentablement aujourd'hui une tribune à Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand-Orient de France, écrite sous forme de publicité de recrutement pour la rentrée :
(...)
Face à cette banalisation de la franc-maçonnerie, qui reste fidèle à ses racines historiques plongées dans les Lumières rougies du sang des martyrs de la révolution dite française, un catholique doit avoir deux attitudes :
- Replacer la franc-maçonnerie dans sa réalité en reprenant la magnifique phrase de Charette qui situe l'hérésie maçonnique à sa place, c'est à dire en Adam, l'homme qui s'affranchissant de sa relation avec Dieu, auteur de toute chose, veut construire le monde sans Dieu et avec le fruit de l'arbre de ses propres connaissances :
"Il est vieux comme le diable, le monde qu'ils disent nouveau et qu'ils veulent fonder dans l'absence de Dieu..."
- Rappeler la vérité de l'Eglise sur cette erreur et l'incompatibilité de la foi catholique avec cette hérésie comme le fit le cardinal Ratzinger :
"Le jugement négatif de l'eglise sur associations maçonniques demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Eglise, et l'inscription à ces associations reste interdite par l'Eglise".
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