Vu sur le site de Canadian Jewish News :
Le judaïsme au Maroc est en voie de disparition, rappelle le cinéaste Simon Benchimol dans son remarquable et très émouvant documentaire Les derniers témoins. Les Juifs au Maroc.
Canadian Jewish News: Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser ce documentaire sur les derniers Juifs vivant encore au Maroc?
Simon Benchimol : L’idée même de ce documentaire est partie d’un constat effectué lors de plusieurs voyages dans le Royaume chérifien. En effet, il m’était difficile de rester insensible à l’observation de cette vie juive marocaine et de ne pas être fasciné par la symbiose culturelle que les Marocains, Juifs et Arabes, ont vécue. Mais, en même temps, j’avais acquis la quasi-certitude que cette osmose vivait ses derniers moments, que les vicissitudes de l’Histoire allaient entraîner le départ de cette Communauté.
C.J.N.: Donc, vous vouliez évoquer une époque jadis révolue ?
S. Benchimol: J’éprouvais le désir d’immortaliser des instants de vie susceptibles, tôt ou tard, de disparaître à jamais. Mais, avant de mettre en branle ce projet de film, je voulais mieux connaître les Juifs du Maroc, leur Histoire, plusieurs fois millénaire, leurs traditions et leur parcours fort singulier. Je me suis alors documenté sur le sujet en lisant un grand nombre d’ouvrages, de documents glanés sur Internet et, surtout, en interrogeant et interviewant certaines personnes que je considérais comme des témoins de ce vécu. Je tiens à rendre un hommage posthume à Haïm Zafrani, éminent historien du judaïsme marocain, qui, grâce à ses livres imposants, m’a fait découvrir toute la subtilité de la vie juive marocaine, son Histoire ainsi que ses modes de fonctionnement.
Mes parents ont aussi beaucoup contribué à éveiller mon intérêt pour le judaïsme marocain. À travers les récits qu’ils me faisaient, ils m’ont fait aimer cette vie juive marocaine. Toute mon enfance a été bercée par ce mode de vie, à travers les traditions, la culture, la musique, la cuisine…
J’ai donc décidé de réaliser un documentaire susceptible de figer un instant cette Communauté, dont le nombre n’a cessé de diminuer d’année en année. Ce fut le départ d’une grande aventure qui a duré trois ans, de 2000 à 2003.
C.J.N.: Vous êtes assez pessimiste en ce qui a trait aux perspectives d’avenir des Juifs du Maroc ?
S. Benchimol: En intitulant ce documentaire Les derniers témoins, je posais dès le départ le problème. Par contre, à la fin du film, j’ai posé à trois de mes interlocuteurs juifs marocains la question suivante: “Comment voyez-vous l’avenir des Juifs du Maroc?” Deux points de vue sont assez optimistes et un point de vue fort pessimiste. Il y a quand même une touche d’optimisme que, personnellement, je trouve peu réaliste.
Je considère sincèrement, compte tenu de l’évolution de l’actualité et de ce que j’ai pu observer au Maroc au cours de mes nombreux séjours, que, dans dix ans, il ne restera plus que quelques irréductibles dans la Communauté juive de ce pays. Tout sera alors derrière nous. J’en suis pratiquement convaincu. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelque 2500 Juifs dans tout le Maroc. Majoritairement des personnes âgées. À Casablanca, il y a encore quelques jeunes qui sont dans les Affaires, mais qui ont leurs attaches en France. Le judaïsme au Maroc est en voie de disparition.
C.J.N.: Vous n’avez pas recueilli uniquement les témoignages de Juifs, mais aussi d’Arabes. Pourquoi ?
S. Benchimol: À Essaouira, le seul témoignage que j’ai pu recueillir est celui d’un Arabe. Il ne reste plus que trois ou quatre Juifs dans cette ville. Ils ont refusé de me recevoir. Pourquoi? Peut-être parce qu’ils sont déconnectés du judaïsme, parce qu’ils avaient peur de nous livrer leurs témoignages, parce qu’ils sont devenus un peu schizophréniques, parce que le sujet de mon documentaire ne les intéressait pas? Je ne saurais vous répondre. Nous avons rencontré cet Arabe qui parle de Rabbi Yitzhak, de Rabbi Yaacov et qui nous a dit avec amertume: “C’est trop tard, tous les Juifs sont partis!” Il y a tout le poids du regret, de la nostalgie, dans ses propos.
C.J.N.: Le Maroc d’aujourd’hui s’est-il considérablement islamisé ?
S. Benchimol: Absolument. On le sent dès qu’on met les pieds dans le pays. Par exemple, à Tanger, jadis ville internationale citée en exemple pour son cosmopolitisme et son mélange de nombreuses cultures, j’ai vu dix fois plus de femmes voilées que dans le reste du Maroc. À Tanger, la majorité des chauffeurs de taxi arborent une très grande barbe. C’est impressionnant! On sent que les Tangérois n’ont même plus la volonté d’accueillir les touristes.
En lisant la presse marocaine, on se rend vite compte qu’il y a aujourd’hui beaucoup moins de compréhension à l’égard des Juifs. Il n’y a plus de retenue. On ne s’affiche plus avec les Juifs. Beaucoup de Marocains musulmans prennent leur distance de peur d’être pointés du doigt comme projuifs. Dans le film, une femme déplore qu’aujourd’hui la majorité des jeunes marocains n’aient jamais vu un seul Juif. Il n’y a plus de Juifs dans les petites bourgades.
C.J.N.: La société marocaine, fortement influencée par l’islamisme, est-elle plus antisémite?
S. Benchimol: Est-ce de l’antisémitisme pur ou est-ce le vecteur de l’antisionisme et des problèmes sulfureux du Moyen-Orient? Est-ce le rejet véhément de l’État d’Israël qui fait que par amalgames les journalistes, les leaders d’opinion, les intellectuels et les universitaires marocains deviennent antisémites? L’antisémitisme est-il aujourd’hui fortement enraciné dans la culture populaire marocaine? Je ne le pense pas. Je crois que c’est plutôt une réaction viscérale par rapport aux problèmes récurrents du Moyen-Orient et au sempiternel conflit israélo-palestinien. Il ne faut pas oublier, bien sûr, que l’antisionisme est désormais le nouvel habit de l’antisémitisme.
Quand je suis allé visiter le cimetière juif de Fès, deux Arabes assis près de la porte d’entrée ne voulaient pas me laisser entrer. C’était très symptomatique et significatif. Ils ne voulaient pas enlever leurs jambes pour que je puisse passer. Je leur ai adressé un regard rigoureux. Surpris et dépités, ils m’ont alors laissé entrer au cimetière. À travers ce geste acrimonieux, c’était leur façon à eux de rejeter le Juif. Des petits signes hostiles aux Juifs comme celui-ci, on en retrouve quotidiennement dans la société marocaine.
C.J.N.: Comment qualifieriez-vous l’expérience que vous avez vécue lors du tournage de ce documentaire?
S. Benchimol: J’en tire une grande et fructueuse expérience. J’ai été agréablement surpris par l’accueil chaleureux que m’ont réservé les Communautés juives marocaines que j’ai visitées. Elles m’ont convié à partager avec elles leur Shabbat et leurs fêtes juives. J’ai été très touché par cet accueil.
Je retire de cette belle aventure une très grande satisfaction. J’ai essayé, à ma façon, de contribuer à un travail de Mémoire, à mes yeux vital et impératif.
-Pour vous procurer le film Les derniers témoins. les Juifs au Maroc, contacter Simon Benchimol à l’adresse courriel: sbenchimol@wanadoo.fr
Ce film, disponible en version “toutes zones”, peut être visionné au Canada.
Filmmaker Simon Benchimol talks about his documentary on the decline of the Jewish community of Morocco.
Source : Canadian Jewish News
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