Voici un article très intéressant de Joël
Reymond, paru dans "Christianisme Aujourd'hui" et reprit sur le site Vox Deï :
Après des siècles d'antipathie pour la figure centrale du christianisme, les Juifs s'intéressent de près à Jésus, qu'ils voudraient bien «ramener à la maison»
«Avec le temps, la communauté juive, au fur et à mesure de sa renaissance, reconnaîtra la valeur de Jésus», avait annoncé en prophète le philosophe Martin Buber, le plus
grand, quoique marginal, penseur du judaïsme moderne.
Pendant la majeure partie de l'histoire du christianisme, Jésus de Nazareth n'a pas eu de valeur religieuse pour le judaïsme. Ce désintérêt pour celui qui a été l'un des Juifs
les plus marquants, sans doute le Juif le plus connu de l'Histoire, peut sembler incohérent au regard du XXIe siècle, mais il trahit la mesure du ressentiment de la communauté juive face au
christianisme oppresseur et face à celui qui en était le principal étendard.
Or cette attitude a commencé à changer avec l'avènement du sionisme moderne, à la fin du XIXe siècle. Des figures comme Joseph Klausner ou Franz Rosenzweig ont
été parmi les premiers à écrire sur Jésus. La période de l'après-guerre a été marquée par une floraison d'écrits, qui a connu un petit recul dès les années 80, d'après Arnold Fruchtenbaum.
Aujourd'hui, l'intérêt pour la personne de Jésus et les thèmes messianiques en général n'aurait jamais été aussi fort dans la communauté juive, observe Josué Turnil, directeur
parisien des Juifs pour Jésus. De l'antipathie, les historiens juifs sont passés à une vision favorable de Jésus.
Regard pluriel
Le regard du judaïsme moderne sur Jésus est pluriel, allant de théologiens rompus à l'historico-critique (comme Jacquot Grunewald dans "Shalom, Jésus" ou Armand
Abécassis, auteur notamment "d’En vérité, je vous le dis", une lecture juive de l'Évangile de Matthieu) à des sympathisants comme le romancier Sholem Asch (qui
publiait "Le Nazaréen" au début de la Seconde Guerre mondiale) ou, plus récemment, Shlomo Kalo ("Le jour vient", 2003) qui a mûri une foi messianique.
Mais le courant qui domine est celui qui veut réinterpréter Jésus à la lumière de la tradition juive et de la littérature rabbinique, en contestant ou en ignorant le manteau messianique dont
l'Église l'a chargé, manière de le «rendre aux siens» (selon la formule de la compilation de Salomon Malka). À cette aune, Jésus apparaît comme un maître de morale
judaïque, sans originalité exceptionnelle dans ses idées par rapport à la Torah et aux Prophètes. Yitz Greenberg, rabbin orthodoxe américain, est de ceux qui ont exhorté les
Juifs pieux à cesser de voir Jésus comme un faux messie pour voir en lui un messie raté : une personne avec de sincères aspirations messianiques, mais que les circonstances ont empêché de
concrétiser son œuvre.
Je ne crois pas en Jésus, mais je crois avec lui
Ressuscité, mais pas messie
Pour Albert Baumgarten, Jésus fut un réformateur qui a proposé une notion de sainteté fondée sur la liberté et non les obligations; pour Daniel Schwartz, une
figure politique d'opposition à la domination romaine.
Plus originale, quoique marginale, la thèse de Pinchas Lapid ("Résurrection"), professeur de Nouveau Testament à Francfort, selon laquelle la résurrection physique de
Jésus est un fait crédible au regard des éléments à disposition (les Évangiles), mais que cela ne fait pas de lui le Messie de Dieu pour autant.
Christianisme et judaïsme : vocations complémentaires
Le libéralisme théologique ne voit pas d'inconvénient à cette rejudaïsation de Jésus, pas plus d'ailleurs que les chrétiens israélisants, mais pour des raisons opposées. Dans le même temps, le
judaïsme a pu accepter l'idée que le christianisme soit, plus qu'un des avatars du judaïsme, l'un de ses rameaux et même que les deux traditions aient, dans le cœur de Dieu, des vocations
complémentaires pour amener l'humanité à Dieu par l'entremise de la Torah.
Un domaine reste fort sensible: les relations avec les Juifs qui ont reconnu en Jésus leur messie, souvent considérés comme des traîtres, en particulier s'ils se lancent dans une activité
missionnaire auprès de leur peuple. Toujours le contentieux historique.
Au cours de l'Histoire, c'est le judaïsme rabbinique qui s'est imposé, au détriment du judaïsme messianique (pas forcément chrétien). Mais les attentes messianiques refont périodiquement
surface. Le rabbin Itzhak Kadoury, l'éminent cabbaliste décédé récemment, aurait livré sur son lit de mort des informations (codées) sur celui qui devrait être le messie.
Menahem Schneerson, le guide spirituel des Loubavitch (un courant important du hassidisme) décédé il y a douze ans, a été acclamé comme messie par les siens, dont certains
s'attendaient même à ce qu'il revînt à la vie.
En attendant l'illumination complète d'Israël dont Paul dévoile la perspective en Romains 11, le Juif pieux d'aujourd'hui est prêt à voir dans l'œuvre de Jésus une contribution
majeure au développement du messianisme juif et à s'identifier à la parole de Martin Buber: «Je ne crois pas en Jésus, mais je crois avec lui.»
Joël REYMOND.
Source : Vox Deï
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