A lire dans Le Figaro d'aujourd'hui un article consacré à Youssouf Fofana et à son gang des Barbares de Bagneux. En voici quelques extraits :
Les complices du cerveau de la bande, impliqués dans le rapt et la mort d'Ilan Halili, ont raconté aux enquêteurs de quelle manière ils ont été recrutés.
À LA CITÉ de la Pierre plate, les plus petits l'appelaient craintivement «le boss» tandis que ses rares potes le surnommaient «Django». Pour les filles que son bagout impressionnait, il était encore «Oussama» ou «Mohamed». Quant à Tifenn, visiblement troublée par sa sombre détermination, elle l'avait inscrit dans son répertoire téléphonique sous le nom de «Youssouf le barbare».
Chef de bande, Fofana commandait en effet ses complices tel un caméléon, s'ingéniant à offrir un visage tantôt copain, tantôt cruel pour asseoir son autorité. Devant les policiers, les 21 membres présumés du gang l'ont tour à tour dépeint en caïd terrifiant, en séducteur prévenant et en chef de meute paternaliste. Avant d'expliquer comment cet ancien taulard d'à peine 25 ans a su les enrôler puis les tenir sous sa coupe jusqu'à ce que la mort d'Ilan fasse voler le gang en éclat. Quelques semaines avant le rapt, les futurs geôliers du vendeur de téléphones, âgés de 17 à 27 ans, se connaissent à peine. Au plus, ils se sont croisés au lycée, voire simplement dans la cité du Prunier-Hardy. Les uns vendent un peu de shit, d'autres se promènent armés et tous guettent les «cochonnes», ces filles qui «s'habillent sexy lorsqu'elles sortent».
Au début janvier, Fofana recrute Samir, 25 ans, père de deux enfants qu'il n'a pas reconnus. Sans emploi ni domicile fixe, il squatte les halls d'immeuble et partage son temps entre les jeux en réseau, le basket et le cannabis. Autre pilier de la bande, Jérôme vivote depuis qu'il a quitté l'école à la fin de la troisième en vendant du shit «par doses de vingt euros» et en squattant à l'occasion un foyer pour jeunes travailleuses.
Souvent, la persuasion suffit
Dans la bande, il y a aussi Yalda, élevée par une mère célibataire et violée par trois garçons à l'âge de treize ans. Ou encore Tifenn, qui a tenté de se tuer peu avant Noël parce qu'elle en avait «marre de la vie», de sa famille «qui ne [l']aime pas».
Le moment venu, Fofana n'aura guère de mal à convaincre chacun de participer au rapt. Si nécessaire en ayant recours à la violence. Une proie raconte : «Il m'a attrapée par les cheveux, insultée de tous les noms et menacée de me tuer.» Le plus souvent, toutefois, la persuasion suffit. «Viens voir s'il te plaît, je veux t'expliquer un truc, lance-t-il ainsi un matin de janvier à Nabil. On va enlever un mec et j'ai besoin de personnes pour le surveiller. On demandera une rançon et tu auras ta part. Est-ce que ça t'intéresse ?» D'abord surpris, «Bilna» demande un délai. Avant d'accepter, deux heures plus tard, contre la promesse de 5 000 euros.
Fofana assoit sa domination sur la bande. Parfois sur le registre de la menace. Tifenn raconte : «Comme il voulait être sûr que je ne parle pas, il m'a filmée en train de raconter tout ce que je savais en me faisant préciser que je savais que c'était pour un enlèvement.» La plupart du temps, il dispense aussi compliments et encouragements. «Il m'a dit : «Toi, tu peux faire des merveilles.» Il était content de moi», expliquera devant les enquêteurs Yalda, 17 ans, à qui Fofana a demandé d'aguicher Ilan.
Des instructions minutieuses
Minutieux, Fofana livre ses instructions jusque dans les moindres détails – il invite l'un à détruire la puce de son téléphone ou à porter des gants pour frapper l'otage, l'autre à changer de coiffure. Devant les policiers, Ruth résume : «Il gérait la situation comme un pro et faisait toujours très attention à son entourage.» Si besoin, le «boss» sait également rassurer. Il propose de «partir tous ensemble en vacances». Le rapt commis, il débourse 106 euros pour payer l'hôtel à son appât. Surtout, il s'engage à ne séquestrer «le garçon» que deux jours au plus et promet de ne lui faire aucun mal.
Au début février, alors que la détention d'Ilan s'éternise, les geôliers flanchent l'un après l'autre. «Yaya disait qu'il en avait marre de garder l'autre, que sa mère l'engueulait parce qu'il était pas beaucoup à la maison, confie Tifenn. Il disait même que Jérôme pleurait et qu'il n'en pouvait plus.» Samir, lui, perd pied, affolé à l'idée que «le Mossad vienne [le] buter». Pour les calmer, Fofana lâche quelques billets. Un jour, il descend des cigarettes et des boissons au sous-sol du 4, rue Prokofiev mais semble, lui-même, à bout. Plus tard, désarçonné, il hausse le ton. Il menace un complice de finir «dans la cave» et le prévient : «Tu sais que ça peut-être dangereux d'arrêter comme ça.»
Le dénouement semble imminent. Jérôme décroche. Ilan est retrouvé mourant à Sainte-Geneviève-des-Bois. Et tandis que la police procède aux premières interpellations, les «barbares» accablent, un par un, Youssouf Fofana en le désignant comme le cerveau.
Par Delphine Chayet et Cyrille Louis
Source : Le Figaro
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