Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur l’ancien Premier Ministre
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Maire de Paris,
Madame la Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
Messieurs les Représentants des cultes,
Messieurs les Présidents, et ils sont nombreux ce soir
Chers Amis, et peut-être futurs présidents
Monsieur le Premier Ministre, c’est la première fois que le CRIF a le très grand honneur de vous recevoir au titre de cette fonction.
Mais c’est la 5ème fois que je m’adresse, depuis cette tribune, au Premier ministre. Une fois de plus, je parlerai des actes antisémites commis dans notre pays. Cependant, et j’en suis très heureux, ce sera pour évoquer un recul significatif de ces actes en 2005, de l’ordre de la moitié.
C’est une bonne nouvelle qui nous fait du bien après les années que nous venons de vivre. Et nous avons tenu à le faire savoir en Europe comme en Amérique.
C’est une bonne nouvelle qui est le fruit d’une mobilisation très large.
Mobilisation en tout premier lieu du Président de la République, du Premier ministre, du Gouvernement, de tous les partis politiques démocratiques de gauche comme de droite.
Mobilisation de la société civile et mobilisation des médias.
Monsieur le Premier ministre, nous avons pu apprécier votre engagement personnel dans ce combat. Nous avons été sensibles à votre émotion, ce 17 Juillet 2005, square des Martyrs Juifs du Vel d’Hiv, lorsque vous avez lu un texte écrit par un enfant, mort en pleine jeunesse, parce que juif, victime des nazis, avec la complicité d’hommes portant des uniformes français.
L’amélioration constatée en 2005 est due notamment à l’action des forces de police qui sous l’impulsion énergique du Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy, font preuve d’une efficacité dont je tiens à les remercier. Les Ministres de la justice, de l’éducation nationale, et les autres membres du comité interministériel contre le racisme et l’antisémitisme ont également droit à notre gratitude.
Cette évolution ne signifie pas que les racines du mal ont disparu. Les actes antisémites se situent encore à un niveau sept fois supérieur à celui d’il y a 6 ans. Un immense effort éducatif reste à mettre en oeuvre. La célébration du centième anniversaire de la réhabilitation du Capitaine Dreyfus, que le CRIF compte organiser, y contribuera sans doute.
Aucun enfant ne naît raciste ou antisémite. Il faut enseigner à nos enfants, qui sont notre avenir, des règles de respect, des principes de civilité, qui sont à l’opposé du climat de la société actuelle. Une société marquée par ses problèmes sociaux, par ses replis identitaires, et par ses conflits. Et aussi par la violence, cette violence que le cinéma, la télévision, y compris satellitaire, et Internet nous assènent quotidiennement.
J’ai assisté vendredi à l’enterrement bouleversant d’un garçon de 23 ans Ilan Halimi, sauvagement torturé et assassiné par une bande nombreuse et organisée, une bande de monstres. Le Crif a appelé au calme et au sang froid. Mais une question s’impose à nous de manière pressante. Ilan est-il mort parce que juif ? Monsieur le Premier Ministre, vous devez la vérité à notre pays. Je demande à votre gouvernement de nous fournir la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, sur cette affaire et notamment sur les motivations des assassins.
Aucun être humain ne doit être attaqué en raison de son identité, de son origine, de sa religion ou de la couleur de sa peau. Violer la dignité, l’essence d’un être humain, l’agresser en raison de ce qu’il est, ou, plus encore, de ce qu’il paraît être, ce n’est pas exprimer une opinion, c’est commettre un crime, un crime contre l’intégrité morale d’un individu.
Il appartient certes aux juges de dire ce qui est un crime et ce qui n’en n’est pas un, de même qu’il appartient aux juges de protéger la liberté d’expression et la liberté de la presse. Nous avons heureusement constaté que les décisions de justice semblaient prendre davantage en compte la gravité particulière des délits racistes et antisémites. Il n’en demeure pas moins que les crimes doivent relever du droit commun- et non pas du droit sur la presse comme c’est le cas aujourd’hui pour les délits racistes et antisémites. L’acharnement de quelques juges spécialisés, dans le droit sur la presse, à toujours relaxer le prétendu comique qui déclare « les juifs c’est une secte, une escroquerie » est choquant. Nous renouvelons notre demande de réintégrer les délits racistes et antisémites dans le droit commun.
J’espère, comme vous, Monsieur le Premier Ministre, que le recul des actes antisémites se poursuivra.
Mais la société française est confrontée, en ce début du 3ème millénaire, à d’autres maux.
Notre pays connaît aujourd’hui une situation paradoxale. La France est un des pays les plus riches du monde. Mais, en même temps, bien des Français s’angoissent pour leur vie de tous les jours.
Les mutations économiques, les drames sociaux – le premier d’entre eux étant le chômage, sont porteurs de crises et mettent à jour les défaillances de notre société. Mais les tensions sont devenues aussi identitaires.
Aujourd’hui, notre société française a besoin de s’apaiser dans son cadre républicain. Il faut redonner aux Français de l’espoir, mais aussi le respect des symboles de l’Etat, mais aussi la fierté d’appartenir au pays des droits de l’homme et de la laïcité.
Dans cette perspective, la lutte contre les discriminations est une priorité. Personne ne doit se voir refuser un logement ou un emploi en raison de ses origines. Il en va du principe de fraternité auquel nous adhérons tous.
D’autres maux minent encore la société française, en mettant en cause ses valeurs fondamentales.
Je redoute pour la France une pensée unique, nourrie des clichés de la bonne conscience populiste, et démagogique. Cette pensée est présente dans les forums internationaux. Elle fait entendre dans notre pays la voix du dénigrement et de l’auto flagellation.
Cet état d’esprit est trop souvent intolérant. Il incite certains au lynchage médiatique et à la diabolisation d’un Alain Finkielkraut, ce philosophe qui a combattu l’intolérance toute sa vie.
Je n’aime pas la concurrence des mémoires. Une victime est toujours une victime, et un bourreau reste un bourreau. Mais cette universalité ne signifie pas que les événements qui se sont déroulés en différents lieux et à différentes époques puissent être étalonnés, ou comparés.
Dans ce contexte, la loi Gayssot, qui lutte contre le négationnisme, est un élément essentiel du cadre moral et juridique dans lequel nous vivons. Comme l’a écrit Claude Lanzmann, « la loi Gayssot n’est pas une limitation de la liberté de l’historien. Elle n’est rien d’autre que le rappel de l’obligation de vérité ».
L’histoire est importante. L’avenir ne l’est pas moins. Le dialogue est précieux pour préparer notre avenir commun. C’est pourquoi le CRIF a une longue tradition de dialogue. Dialogue avec les responsables politiques démocratiques, avec les médias, avec la société civile.
Nous avons rencontré presque tous les syndicats et notamment les syndicats des enseignants et des magistrats. Sur notre demande l’Ecole de la Magistrature a introduit une formation sur l’antisémitisme.
Nous avons participé à la fondation d’une association de l’amitié entre Juifs et Afro antillais. Cette association promeut le dialogue là où certains, précisément, souhaitent créer un fossé de haine.
Nous avons renforcé une relation fructueuse avec l’Eglise catholique, marquée par notre présence à Rome, aux obsèques de Jean Paul II et à la commémoration de Nostra Aetate.
Avec la Fédération Protestante de France nous avons organisé un colloque commun ainsi qu’un voyage au Proche Orient.
Dans le même souci de dialogue, nous avons créé conjointement avec le Consistoire de Paris et la Mosquée de Paris une association de l’amitié judéo musulmane. Cette association a fait circuler, avec l’appui des délégations régionales du CRIF, et sans aucun incident, un bus de l’amitié dans trente villes de France pendant l’été 2005.
Au moment d’aborder la politique étrangère, je voudrais partager avec vous notre émotion devant la sortie de la scène publique d’Ariel Sharon. Lui qui a affronté les périls de la guerre, le voilà terrassé par un accident de santé à un moment crucial pour l’avenir du Proche Orient. Au-delà de l’homme hors du commun, c’est son patriotisme, son sens des responsabilités, qui nous inspirent le respect. Cet homme qui avait mené tous les combats pour la survie d’Israël, qui avait même réussi à réduire la vague terroriste, a eu le courage d’amener son pays, contre la volonté de son propre parti, à se retirer de Gaza, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux espoirs de paix.
Nous aimerions tant avoir le moyen de lui faire savoir notre reconnaissance pour le courage de son action en direction de la paix. A cet instant, toutes nos pensées vont vers lui, vers son lit d’hôpital, pour lui adresser depuis cette terre de France, tous nos vœux dans cet ultime combat, et aussi pour souhaiter la réalisation de son projet d’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.
Vous avez dit, Monsieur le Premier Ministre, que l’histoire de France est faite de quête de l’universel, plutôt que de la gloire des armes. L’universel, c’est le droit qui doit prévaloir sur la force, et la morale sur le calcul politique.
Il fut un temps où Yasser Arafat et la famille Assad jouissaient à Paris d’une grande considération. Il fut un temps où on ne parlait guère au Premier Ministre de l’Etat d’Israël.
Il fut un temps où une visite officielle en France d’Ariel Sharon n’allait pas de soi.
Il fut un temps où il était impossible à un Président du Crif, soucieux de sincérité, de ne pas critiquer les déséquilibres de la politique de la France au Proche Orient, au risque de susciter de l’irritation.
Mais quand de plus en plus d’événements ont une portée planétaire, comment penser que la politique étrangère puisse être absente du débat public ?
J’ai le plaisir de constater un changement appréciable. L’invitation faite à M. Sharon de venir à Paris, après quatre années sans rencontre au sommet, a été un acte politique important. Et c’est un accueil chaleureux que le Président de la République et vous-même avez réservé au Premier Ministre d’Israël fin juillet 2005.
Certains évènements ont joué un rôle dans cette évolution :
-----Le remplacement de Yasser Arafat par un homme de dialogue Mahmoud Abbas.
-----La décision prise par le Premier Ministre d’Israël du retrait de Gaza
-----L’assassinat, par qui nous savons, de l’ancien Premier Ministre libanais Rafic Hariri, avec le refroidissement subséquent des relations entre la France et la Syrie. Chacun sait que la Syrie sert de base arrière aux organisations terroristes, et n’est pas étrangère à l’élimination des patriotes libanais opposés à la domination syrienne.
Le temps du désamour d’Israël semble révolu. Je suis particulièrement heureux de cette harmonie retrouvée entre la France et Israël. J’en sais gré au Président de la République, à vous-même, Monsieur le Premier Ministre, ainsi qu’au Ministre des Affaires Etrangères. Il serait injuste d’omettre le rôle joué par le gouvernement de M. Jean Pierre Raffarin dans le début de cette inflexion.
Une nouvelle page semble en train de s’écrire entre la France et Israël, matérialisée par la création d’une Fondation France Israël. Elle est destinée à promouvoir une meilleure compréhension entre Français et Israéliens.
Désormais la France est à nouveau l’amie de tous les dirigeants de raison de la région, qu’ils soient arabes ou israéliens.
J’en profite pour dire combien nous sommes heureux de la présence hautement significative parmi nous ce soir des ambassadeurs d’Algérie, d’Egypte, de Jordanie, du Maroc, de Mauritanie, du Pakistan, et de Tunisie.
Le CRIF a constamment manifesté sa conviction que la solution du conflit du Proche Orient passait par l’existence d’un Etat palestinien aux côtés de l’Etat d’Israël. La petite flamme de l’espoir de paix semblait à nouveau briller. La victoire du Hamas aux dernières élections palestiniennes nous replonge dans l’inquiétude.
Ce mouvement figure sur la liste européenne des organisations terroristes. Le Hamas prône dans sa charte la destruction de l’Etat d’Israël. Le Hamas est responsable de la mort violente de centaines de civils israéliens, hommes, femmes et enfants, victimes d’attentats terroristes aveugles. Il est responsable de plusieurs milliers de blessés. Rien ne sera possible si le Hamas ne renonce pas définitivement à sa charte et à l’action terroriste.
En revanche tout deviendrait possible si le Hamas, cédant aux réalités du pouvoir, prenait conscience des intérêts véritables du peuple palestinien. La communauté internationale a un rôle crucial à jouer. Elle doit refuser que le gouvernement d’un Etat ait pour projet la destruction d’un autre Etat.
Ses pressions pour être efficaces doivent s’appliquer de façon unanime et sans tergiversation. Je crains que l’initiative russe d’inviter à Moscou les dirigeants du Hamas ne soit un premier pas dangereux dans la voie du renoncement aux principes de fermeté affichés par la communauté internationale. Et j’avoue ne pas comprendre la précipitation de notre diplomatie à approuver cette initiative russe.
La France est aujourd’hui en position de jouer le rôle du médiateur qui inspire confiance à toutes les parties. Elle est en position d’être entendue.
Lorsque la France s’est jointe aux Etats-Unis pour exiger de la Syrie qu’elle se retire du Liban, cette demande a été immédiatement satisfaite. De même, l’Europe, pour la première fois, a été appelée conjointement par les Israéliens et par les Palestiniens à surveiller la frontière entre Gaza et l’Egypte. La paix au Proche-Orient passe par l’implication conjointe et ferme, et de l’Europe, et de l’Amérique.
Dans le climat de rapprochement entre la France et Israël, permettez-moi, Monsieur le Premier Ministre, de rêver,
de rêver à l’entrée tant attendue, et si légitime, d’Israël dans l’Organisation Internationale de la Francophonie. A l’occasion par exemple de la prochaine réunion, à l’automne, en Roumanie. Le maintien de l’exclusion serait choquant, serait incohérent.
de rêver aussi à la célébration du 14 juillet dans ce bel édifice qui abrite, en plein quartier juif, le Consulat de France à Jérusalem. Mais Israéliens et Arabes y seraient invités cette fois ensemble, en une fête unique, au lieu des deux cérémonies séparées de ces dernières années,
de rêver enfin au transfert de Tel-Aviv vers Jérusalem, de l’Ambassade de France en Israël. La France serait ainsi la première grande puissance à reconnaître un fait simple, un fait réel. Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël.
Utopique tout cela ? Non, le mot utopie n’a pas de sens en Israël, car Israël est la terre des miracles !
Mais revenons aux réalités immédiates ! Il y a dans cette région du monde une cause nouvelle d’immense inquiétude.
Monsieur le Premier Ministre, l’histoire nous a appris qu’il fallait toujours prendre au sérieux les menaces. Il y a plus de 70 ans, en Europe, un petit homme moustachu, et vociférateur avait déjà écrit son projet de suprématie raciale. Pour ne l’avoir pas cru, l’Europe a payé le prix fort.
Aujourd’hui un autre petit homme tient un langage aussi inquiétant. Il vient d’Iran.
Les déclarations du président iranien n’ont rien à envier au Mein Kampf de Hitler. Hitler l’a écrit. Hitler l’a dit. Hitler l’a fait. Et Hitler n’avait pas la bombe atomique.
Va-t-on s’accoutumer à ces délires ?
Les projets de ce président iranien constituent un danger pour tous les musulmans qui ont une vision modérée de l’Islam, ainsi que pour les droits des femmes musulmanes.
Ils sont aussi un danger pour les pays occidentaux.
Ils sont évidemment un danger pour Israël.
Ses propos ont été immédiatement accueillis par de fortes déclarations de rejet par toutes les chancelleries occidentales. L’opinion publique française les condamne sévèrement à 85% selon un sondage que le CRIF a commandé à la Sofres. On doit s’en féliciter ! Mais après ? Que fait-on ? Où va-t-on ?
Comment faire comprendre au grand peuple iranien que son Président fait courir des risques à la terre entière, et pour commencer au peuple iranien lui-même ?
Faut-il rappeler que l’Afrique du Sud, du temps de l’Apartheid, subissait des sanctions économiques, et ne pouvait participer à la plupart des compétitions sportives internationales ? Cette pression fut efficace et l’Afrique du Sud s’inclina devant l’opprobre international.
Va-t-on appliquer à l’Iran des sanctions économiques ?
Va-t-on exclure l’Iran des compétitions sportives internationales ? Et notamment de la phase finale de la Coupe du Monde de football ? Une telle décision aurait un impact considérable sur le peuple iranien, très fier, et à juste titre, de son accession à cette phase finale.
Va-t-on réagir après l’agression contre notre ambassade à Téhéran ?
Va-t-on rompre les relations diplomatiques ?
Va-t-on exclure l’Iran de l’ONU ?
Il y a danger et le temps presse.
Il y a danger car nous savons, d’expérience, que les dictatures n’ont que mépris pour les démocraties. Il y a danger car l’Iran entend mener à terme son programme nucléaire.
Il y a danger car les menaces du Président iranien sont incompatibles avec la détention de l’arme nucléaire. Certes il n’existe pas de solution indolore. C’est peut-être ce que pensaient les représentants de la France et du Royaume-Uni à Munich en 1938.
Aujourd’hui, il est essentiel que l’Iran acquière la conviction qu’il fait face aux descendants de De Gaulle, et de Churchill, et non à ceux de Daladier et de Chamberlain.
La France, seule, ne peut rien dans cette affaire. Mais elle peut tout, si elle agit en union complète avec l’Europe et les Etats-Unis.
Monsieur le Premier Ministre, nous souhaitons que la France joue un rôle moteur dans l’union des grandes puissances occidentales. L’Europe et les Etats-Unis doivent imposer aux Iraniens, par tout moyen, de renoncer à l’arme nucléaire alors qu’il est encore temps. Et le temps presse.
Monsieur le Premier Ministre, nous sommes heureux du chemin parcouru par la France dans la lutte contre les actes antisémites, et dans une politique lucide et équilibrée au Proche-Orient. Nous voulons espérer que vous saurez jouer un rôle déterminant dans cette affaire iranienne, si dangereuse, si complexe.
Parce que nous savons votre volonté de contribuer à tous les efforts de paix,
Parce que nous savons ce que nous devons à notre République,
Parce que nous croyons aux valeurs éternelles de la France,
Nous avons confiance dans l’avenir.
Vive la République !
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