Il y a des moments où le discours diplomatique doit faire place à des actes dépourvus d'ambiguïté. C'est très exactement ce qui se passe pour les dirigeants européens dans leurs relations avec l'Iran depuis le 8 décembre.
Le président iranien a en effet dépassé toutes les bornes admissibles en déclarant lors du sommet extraordinaire des membres de l'Organisation de la conférence islamique, rassemblés à La Mecque la semaine dernière, que «certains pays européens insistent pour dire que Hitler a tué des millions de Juifs dans des fours», et que «les Européens devraient offrir une partie de leur territoire, comme l'Allemagne, l'Autriche ou d'autres pays, de manière à ce que les Juifs y installent leur Etat». Jamais un chef d'Etat en exercice ne s'était encore avancé aussi loin, pas même le Malaisien Mahathir, qui avait fait scandale le 16 Octobre 2003 en affirmant que les Juifs «dirigeaient le monde par procuration».
Mahmoud Ahmadinejad est même allé plus loin à cette occasion que le 26 octobre dernier quand il avait comparé Israël à une «tache honteuse» qui «devait être rayée de la carte». Et cette grande première, qui mélange le négationnisme historique des milieux néo-nazis avec l'impératif de détruire Israël, n'a pas eu lieu lors d'une conférence à Téhéran, mais hors des frontières iraniennes, devant les représentants de 57 pays, fort embarrassés d'ailleurs par la violence inattendue de l'intervention iranienne. Le 14 décembre, Mahmoud Ahmadinejad mettait à nouveau en doute le génocide juif, comme s'il s'agissait désormais d'un thème permanent.
Il est temps de reconnaître ouvertement qui est le nouveau président de l'Iran et d'en tirer des conséquences avant qu'il ne soit trop tard. Les premières réactions se contentent de redire, comme en octobre, qu'il s'agit de «propos inacceptables».
Elles auront, si elles ne sont suivies d'aucune mesure plus substantielle, exactement le même effet que les précédentes, c'est-à-dire un effet nul. Le président iranien est convaincu qu'il peut tout se permettre, en particulier avec les Européens, et ce pour la bonne raison que chacun fait jusqu'à présent semblant de ne pas comprendre à quel point il s'agit d'un personnage dangereux.
Avolens nolens
Ceci est d'autant plus nécessaire que le négationnisme et l'incitation à la haine raciale sont interdits par la loi de plusieurs pays européens, dont la France, où le président iranien, même couvert par l'immunité que lui confère sa fonction, ne devrait plus pouvoir se rendre avant d'être revenu publiquement sur ses propos. En outre, trois capitales européennes ont depuis 2003 des négociations nucléaires avec Téhéran, interrompues de façon unilatérale par l'Iran en août avec la reprise des activités de conversion à Ispahan. Certains diront peut-être qu'il ne faut pas tout mélanger.
Mais il est difficile d'oublier que Mahmoud Ahmadinejad exprime sa profonde conviction qu'Israël doit disparaître dans un contexte où personne n'ignore que l'Iran cherche à se doter de l'arme nucléaire. Le missile Shahab 3 a été récemment modifié pour pouvoir emporter une tête nucléaire, et des documents remis à l'AIEA en 2005 font état d'une communication à l'Iran par le réseau pakistanais d'AQ Khan des techniques d'usinage et de moulage d'uranium métal en hémisphères. La simple acceptation par l'Iran de ces documents est interdite par le TNP, comme le recel de drogue est puni par la loi, même s'il n'y a pas eu de demande formelle de drogue de la part du receleur.
En clair, l'Iran n'a pas seulement violé les engagements pris auprès de l'AIEA, ce qui suffit à imposer le transfert du dossier à New York, mais, ce qui est plus grave, ceux de l'article II du TNP permettant une saisine directe du Conseil de sécurité, sans même passer par le Conseil des gouverneurs de l'AIEA. Il est donc plus que temps d'agir aussi dans ce domaine.
La seconde est que les Européens ont une crédibilité voisine de zéro à Téhéran, en raison de l'incapacité démontrée de mettre en oeuvre les menaces qu'ils proféraient au plus haut niveau de l'Etat. Si cette situation doit être redressée, c'est maintenant qu'il faut le faire. Tout le monde nous en saura gré, y compris les pays musulmans dont la réunion à La Mecque a été bouleversée par un leader populiste piétinant tous les usages.nfin, il faut bien garder deux choses en mémoire. La première est que Mahmoud Ahmadinejad, qui a été porté au pouvoir par les Iraniens les plus frustrés, les laissés pour compte de l'économie iranienne, n'a aucun moyen de remplir les promesses électorales qu'il leur a faites pendant la campagne. Le danger d'une fuite en avant est donc bien réel et doit même être tenu pour le scénario le plus vraisemblable dans les mois et les années à venir. D'après des témoignages concordants, l'actuel président iranien dirigeait le deuxième commando chargé d'éliminer les trois personnalités kurdes et avait aussi en charge la logistique du premier commando qui a finalement exécuté le meurtre. L'Autriche est un des pays directement interpellé par le président iranien à La Mecque. Elle peut ainsi faire preuve de courage et de dignité.'occasion est également excellente pour que la justice autrichienne fasse connaître au reste du monde la nature de l'implication de Mahmoud Ahmadinejad dans l'assassinat d'Abdul-Rahman Ghassemlou, le charismatique secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan iranien, tué avec deux autres dissidents kurdes le 13 juillet 1989 à Vienne. Peter Pilz, député autrichien, et l'ancien président iranien Bani Sadr ont pu recueillir des témoignages directs qui ont été communiqués à la justice autrichienne. Le président autrichien, qui avait avec le leader kurde des relations d'amitié, pourrait faire le jour sur cet épisode tragique et effacer l'image peu reluisante qu'a donnée Vienne au moment des faits. à le renforcer, à l'intérieur comme à l'extérieur, et a donc une responsabilité dans l'évolution du régime, qu'elle le reconnaisse ou non. En conséquence, il faut impérativement passer à la vitesse supérieure si l'on veut éviter que Mahmoud Ahmadinejad ne le fasse lui-même, ce pour quoi il semble avoir d'excellentes dispositions. Et la seule mesure diplomatique qui ait un sens consiste à rappeler les ambassadeurs des 25 pays européens pour consultations. vec cette attitude, l'Europe contribue.
Source : Le Figaro
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