Qui viendra crier avec moi : "Nous sommes tous des sionistes à effacer de la carte du monde", comme nous avons crié : "Nous sommes tous des juifs
allemands" ? Ce qu'auraient dû crier nos grands-parents quand le Führer a proclamé qu'il allait "effacer les juifs de la carte de l'Europe" .
J'ai découvert le président iranien sur un écran de télévision russe dans la salle d'attente de l'aéroport de Moscou. Il paraissait calme, déterminé. La mort de millions d'Israéliens lui
paraissait aller de soi.
Des passagers de toutes nationalités qui suivaient avec moi son discours étaient ahuris. Je l'étais aussi. Et surpris. Non pas que j'aie cru le nouvel élu iranien plein d'amour pour l'humanité,
mais je ne pensais pas qu'il prendrait le risque de se retrouver au ban des nations en appelant publiquement à la destruction d'un Etat légitime, reconnu par tous.
J'avais tort. Il ne risquait rien et il le savait. Il a le pétrole et, bientôt, la bombe atomique. Il savait aussi que les dirigeants des pays démocratiques n'oseraient pas, aujourd'hui, après
les interventions en Afghanistan et en Irak et en prise avec les difficultés économiques, provoquer une crise politique majeure dans le monde.
Certes, les protestations ont été unanimes, mais sans suite. Aucun pays n'a rappelé son ambassadeur à Téhéran, ne serait-ce que pour consultation.
Le monde musulman, que Mahmoud Ahmadinejad aspire visiblement à représenter sur la scène politique, comme le fait dans la clandestinité Oussama Ben Laden, n'a pas réagi non plus. Et, pourtant,
plusieurs dirigeants arabes étaient eux aussi visés par le discours du leader iranien.
Non, personne, aucune autorité religieuse musulmane, aucun homme politique ne s'est désolidarisé de cet appel au meurtre. Sauf... l'Autorité palestinienne. Et c'est un immense signe d'espoir.
Où en est-on avec ce devoir de mémoire dont on nous chauffe les oreilles depuis soixante ans ?
Qu'avons-nous appris de la lâcheté de nos parents dans les années 1930 ? Un homme politique leur avait promis la géhenne. Eux pensaient qu'en lui serrant la main à Munich, ils gagneraient le
paradis. A défaut du paradis, ils nous ont laissé en héritage des cimetières.
Les politologues, les commentateurs de tout bord trouveront certainement des excuses au discours de Mahmoud Ahmadinejad. Ils évoqueront son inexpérience, les difficultés internes, la nécessaire
réponse à la pression internationale, aux "provocations" américaines... Peut-être.
Mais, pour les dizaines de juifs iraniens, représentant l'une des plus anciennes communautés juives du monde, qui ont été enlevés par la police secrète et dont on est toujours sans nouvelles, ces
excuses ne changent rien. Comme elles n'atténuent pas la douleur des mères israéliennes et palestiniennes dont les enfants meurent dans la nouvelle vague de violence que les propos de Mahmoud
Ahmadinejad ont suscitée.
Il faut "balayer les stigmates du sionisme de la face de la terre de l'Islam", nous dit le président iranien. Ne nous sentons-nous pas, nous qui ne sommes pas israéliens, ni peut-être
même pro-israéliens et pour la plupart pas juifs, un peu sionistes, ces temps-ci ?
Amis, hommes politiques de gauche comme de droite, intellectuels, simples citoyens d'un pays que j'aime, vous, femmes et hommes admirables que je croise régulièrement lors de nos multiples
manifestations pour la défense des droits de l'homme, contre le racisme, pour la paix, venez crier ensemble contre cette nouvelle épidémie qui nous menace. Epidémie plus dangereuse que la grippe
aviaire, plus tenace que les ouragans et le tsunami : l'épidémie de la haine.
par Marek Halter
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Marek Halter est écrivain.
Source : Le Monde
Article paru dans l'édition du 02.11.05
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