Entretien avec Pascal Mailhos, directeur général des Renseignements généraux
Cette année, plusieurs activistes islamistes condamnés dans les années 1990 sont sortis de prison. Cela vous inquiète-t-il ?
Il est évident que la sortie de prison de ces activistes constitue un fort sujet de préoccupation pour tous les services de renseignement. Une dizaine d'individus, condamnés pour les attentats de 1995-1996 ou le réseau démantelé avant la Coupe du monde de football en 1998, ont ainsi recouvré la liberté. Certains ont immédiatement quitté la France, en vertu de l'interdiction de territoire prononcée avec leur peine. D'autres ont repris leurs activités.
La prison a donc plutôt renforcé leurs convictions...
C'est là, en détention, que se tissent effectivement des liens entre une minorité d'activistes islamistes, soit une centaine de détenus, et d'autres individus ancrés dans la délinquance, qui trouvent ou retrouvent le chemin de la religion sous sa forme radicale. Nous en constatons les effets sous la forme d'un prosélytisme fort et d'actes de provocation : les prières pendant les promenades, les détériorations de bibles dans les bibliothèques ou des sapins au moment de Noël. L'exemple de Safé Bourada, sorti de prison en février 2003 et animateur d'une cellule démantelée il y a quelques semaines, est emblématique.
Quels avantages concrets vous apporte le projet de loi antiterroriste actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, et qui prévoit, notamment, la criminalisation et l'allongement des peines pour association de malfaiteurs dans le cas où elle aurait des visées mortelles ?
Ce texte nous offre un éventail d'outils essentiels pour contrer les terroristes, qui s'affranchissent des frontières, voyagent sans cesse et utilisent massivement les moyens modernes de communication. Je pense en particulier à quatre points : la vidéosurveillance, le contrôle des déplacements grâce aux données sur le transport aérien, les données sur la téléphonie et les consultations d'Internet et, enfin, l'accès facilité aux fichiers du ministère de l'intérieur.
De quels fichiers parlez-vous ?
Jusqu'à présent, pour vérifier une information dans le fichier des permis de conduire, des passeports ou des étrangers, nos fonctionnaires devaient soit utiliser des moyens détournés, via d'autres services de police, soit passer par le biais des services gestionnaires comme les préfectures. Il s'agissait d'un processus administratif lourd, long et aléatoire. Or, très souvent, comme l'a révélé l'enquête sur les attentats de Londres, le basculement dans l'action violente s'opère de façon brutale. Il est impensable qu'on ait un temps de retard sur nos adversaires. Voilà pourquoi cet accès sera précieux, tout en étant entouré des garanties indispensables en termes de libertés individuelles, telles que l'habilitation nominative des fonctionnaires et la traçabilité de leurs demandes.
Les salles de prière sont-elles encore un lieu important pour les RG ? Il semble que le prosélytisme prenne des formes plus discrètes que les prêches...
C'est un fait : il y a moins de prêches radicaux. Mais la surveillance de certains lieux est essentielle, moins à cause de ce qu'il se dit que des rencontres faites dans les parages. Sur 1 700 lieux de culte recensés il y a un an, 75 avaient fait l'objet d'une tentative de déstabilisation. La moitié avait résisté, l'autre avait été conquise par les radicaux. Depuis le mois d'octobre 2003, 31 activistes ou prêcheurs radicaux ont été expulsés. Une dizaine d'imams restent aujourd'hui dans notre collimateur. L'influence étrangère est toujours forte. Nous avons constaté que, sur environ un millier d'imams, 360 avaient une bonne maîtrise du français, 315 une maîtrise moyenne et 350 une mauvaise maîtrise de la langue. C'est une source d'inquiétude.
Autre préoccupation de vos services, l'extension du salafisme (doctrine radicale prônant une pratique de l'islam des origines) à des villes de province...
C'est vrai. L'ensemble du territoire est aujourd'hui touché, mis à part quelques régions comme la Basse-Normandie, la Corse, le Limousin et le Poitou-Charentes. Il n'y a pas dans ce mouvement de hiérarchisation, mais des liens personnels forts à l'intérieur de la toile.
La création des pôles régionaux de lutte contre l'islam radical, il y a un an, a-t-elle permis de mettre au jour de nouvelles voies de financement ?
Je ne veux pas trop entrer dans les détails pour une raison simple : les activistes s'adaptent à grande vitesse. Quand on parle de boucheries halal, ils font des cybercafés ; quand on parle de cybercafés, ils investissent dans les vêtements. Nous avons contrôlé 350 lieux au cours des sept premiers mois de l'année, dont 300 étaient des commerces.
Les pôles régionaux permettent des échanges entre tous les services de l'Etat : vétérinaires, fiscaux, préfectoraux, policiers, etc. Nous avons développé une forte réactivité et nous pouvons prendre des mesures immédiates de fermeture, d'éloignement, de contrôle des comptes et de l'hygiène. Toutefois, la lutte contre l'islam radical n'empiète pas sur le travail des services antiterroristes, qui gardent leurs cibles prioritaires.
Plusieurs affaires récentes ont révélé le phénomène des convertis à l'islam radical. Comment l'analysez-vous ?
Ce phénomène est en plein essor et nous inquiète, mais il faut absolument éviter les amalgames. On admet généralement qu'il y a 5 millions de musulmans en France. Environ 200 000 sont des fidèles pratiquants. Les salafistes représentent quelque 5 000 personnes. Les convertis sont environ 1 600, selon notre recensement. Environ 1 sur 4 est engagé dans l'islam radical.
En cinq ans, le salafisme a fait autant de convertis que le mouvement Tabligh en vingt-cinq ans. Le processus est souvent très rapide et offre à des gens déstructurés une nouvelle façon d'organiser leur vie, avec des perspectives spirituelles et sociales.
Comment jugez-vous l'implication des islamistes dans le cycle de violences urbaines ?
La part des islamistes radicaux dans les violences a été nulle. Les facteurs du retour au calme ont été multiples. Le premier est l'action constante des forces de l'ordre. Le deuxième est le rôle qu'ont pu jouer des responsables institutionnels ou associatifs, parmi lesquels ceux de la communauté musulmane. Les jeunes ont agi par mimétisme et concurrence entre cités, sans une grande organisation. D'ailleurs, les appels au rassemblement dans des lieux symboliques, lancés sur des blogs assez inquiétants, n'ont pas été suivis d'effets.
Les RG participent-ils à la promotion des minorités dans leur recrutement ?
Dans certains groupes opérationnels, leur part est très significative. Nous repérons les meilleurs éléments dans d'autres services ou bien nous allons les chercher dans les écoles, tous grades confondus. Ils viennent des quartiers qui retiennent toute notre attention, font preuve d'une grande motivation et veulent défendre la République.
Propos recueillis par Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du
Monde du 25.11.05
Commenter cet article